« Toute chose a son prix. ». Les mots étaient animés d’un lent mouvement de ressac et s’échouaient avec mollesse à la lisière de son esprit, car, plus important encore, il possédait désormais le Noctum Al-Iksyr, l’élixir de la nuit ; celui qui plongerait sa victime dans un sommeil sans fin. Hélas, il subsistait un point délicat. Il savait où il se terrait, il ignorait de quelle manière il le lui administrerait. Pendant ce temps, alors que le seigneur Baldavi était tout à ses ruminations, dans un temple dissimulé au cœur d’une épaisse forêt, deux femmes et deux hommes se regardaient en chiens de faïence.
– Bien ! Maintenant que les parties sont réunies, commençons !
Celle qui venait de s’exprimer était une femme âgée, au visage parcheminé, mais dont le regard d’airain trahissait une vigueur peu commune. Ses yeux, avec lenteur toute calculée, balayèrent l’assemblée ainsi formée.
– Je débuterai par vous, Nyx.
Elle avait appuyé sur ce dernier mot, avec une morgue surprenante. Assis à côté d’elle, les deux hommes acquiescèrent d’un hochement de tête.
– Merci Nostria. En d’autres circonstances, je n’aurai pas agi de semblable manière. Hélas, certains faits m’amènent à revoir ma position. Aussi vous apporterai-je mon concours, ainsi que celui de l’ordre, même s’il ne sera qu’un lointain renfort.
L’homme, dont les yeux verts lançaient des éclairs, darda sur sa personne un regard lourd de sens.
– Vous ne nous dites qu’une part de la vérité, très chère amie. Les cartes ont été rebattues et l’ordre ne vous sera plus d’aucun secours dans votre entreprise. Vous nous concédez la défaite de manière à ne pas perdre la face.
En cet instant, la beauté surnaturelle de Nyx disparut et, à la place, révéla les traits de la furie qui se dissimulait derrière.
– J’apprécie la beauté du geste, ajouta-t-il d’un ton badin.
Échevelée, son visage était désormais semblable à celle des fabuleuses gorgones qui, d’un regard, pétrifiaient le malheureux qui le croisait. En la matière, c’était ces yeux, que Nyx lui aurait volontiers arrachés. Cependant, pareille à la vague scélérate qui reflue et disparaît, la figure cauchemardesque s’effaça. À nouveau, ses traits étaient emplis de douceur et de gravité.
– Vous… siffla-t-elle.
Mais elle n’en dit pas plus, après qu’elle eut surpris le geste de Nostria.
– Vos querelles ne sont pas l’objet de cette réunion. Que vous vous soyez emparé de l’ordre de Styrr pour servir vos desseins ne nous préoccupait pas, tant que l’équilibre n’est pas rompu. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous contenter de contempler vos manœuvres, jeta-t-elle acide.
– En effet. Pourquoi m’en cacher ? Néanmoins, n’espérez pas de ma personne que je vous révèle les dessous de ce revirement. Je vous ai promis mon aide et mon soutien, j’honorerai ma parole. Ensuite, vous reprendrez votre route, et moi la mienne, en souhaitant que jamais nos chemins ne se croisent de nouveau, murmura-t-elle, acerbe. Cela vous convient-il : messieurs ?
– Oui, répondirent-ils en chœur.
– Ah ! Encore une chose, susurra-t-elle.
Nostria, soupçonneuse, pointa sur elle un regard lourd de sous-entendus.
– Je désirerais châtier moi-même le coupable à l’issue de son procès.
– Fort bien. Qu’il en soit ainsi Nyx. Mais revenez sur votre parole et…
– Vos menaces sont inutiles Nostria. Vous n’ignorez pas qu’il m’est impossible de me dédire, chuchota-t-elle tout sucre tout miel.
– En effet, et si vous nous confiiez ce que vous brûlez de nous révéler.
Un sourire étrange se dessina sur ses lèvres.
– Bien entendu ! Cependant…
Mais elle n’acheva pas sa phrase, Nostria l’avait interrompue d’un geste impérieux. Aussitôt, un voile éthéré se déploya tout autour de la table et les coupa du monde. Quiconque se serait ensuite introduit dans la salle n’aurait découvert qu’une pièce vide, hantée par quelques meubles, dont une console couverte d’une nappe en brocard bleuté, entourée de quatre chaises disposées de façon singulière. Mais un regard dans un miroir aurait révélé une tout autre vérité ; celle d’un conciliabule secret.
Satisfaite, Nostria admirait son cocon, le renforçant à l’aide de quelques sorts.
– Toutes mes excuses Nyx. Hélas même entre ses murs, il se peut que traînent certaines oreilles.
Cette dernière pinça les lèvres :
– Soit, je les accepte. Sachez seulement que j’ai failli considérer cette interruption comme un affront.
Nostria plissa les yeux. Elle n’était en aucune manière dupe de ses paroles mielleuses.
– Donc, je soupçonne le seigneur marchand Baldavi de désirer se procurer le Noctum Al-Iksyr, seule substance en mesure de le rendre aussi docile que malléable.
Un pli barra le front soucieux du commandeur Ficini.
– Voici donc qui expliquerait les singulières allées et venues observées aux alentours de sa demeure.L’on m’ a même rapporté qu’il avait reçu la visite du comte Osario.
À l’évocation de ce nom, Nyx et Nostria eurent un haut-le-cœur
– Avez-vous dit le comte Osario ? grinça Nostria.
– En effet. L’on m’a, en outre, rapporté qu’il s’était rendu à l’hospice des mortalités. Hélas, j’ignore pour quelles raisons.
La mine assombrie, Jareth prit la parole :
– Je crains que nous ne devions précipiter les événements, car si le comte s’est rendu là-bas pour examiner un corps, ce ne peut-être que celui de votre assassin, commandeur. Il aura très certainement flairé ma trace, malgré toutes les précautions dont je m’entoure.
Son regard se glissa en direction de Dame Nostria, dont les prunelles étaient chargées de colère.
– Il y a un temps certain que l’ordre de Styrr aurait dû le mettre hors d’état de nuire, gronda-t-elle.
Nyx eut un sourire amusé.
– Ma chère, vous n’ignorez pas, n’est-ce pas, que l’ordre ne peut agir sans la moindre preuve.
Nostria la foudroya du regard.
– Il y a des instants où je le regretterais presque.
Nyx éclata d’un rire sinistre.
– Il suffit ! Nous ne tolérerons pas que vos enfantillages interfèrent une fois de plus avec la marche du monde.
Cette dernière baissa les yeux, furieuse, car elle était consciente des limites de ses propres pouvoirs face à une force qui défiait l’entendement, une puissance issue de la nature qui s’incarnait à chaque génération dans un champion. Mais elle l’était aussi face à son frère qui n’avait que faire des règles et des lois, les enfreignant, les violant, les piétinant, avec volupté.
– Veuillez me pardonner, Dame Nostria. Nous ne serons pas en mesure, je le crains, d’empêcher une inévitable confrontation avec le comte Osario. Aussi, puisque je pourrai agir de mon propre chef, je chargerai mon champion, le seigneur-chevalier Kakeru, de s’occuper de ce noble.
Dans la pièce, la tension était palpable, chacun jaugeant de la sincérité des paroles échangées.
– Que nous proposez-vous, dame Nyx, l’interrogea soudain le commandeur Ficini, muet jusqu’alors. L’ordre, sans porter un coup à son intégrité, ne pourra intervenir, surtout à l’encontre d’un personnage aussi connu que le comte.
Nyx esquissa une moue qui dissimulait à peine la cruauté de ses pensées. Les pupilles étrécies, elle planta son regard acéré de prédateur dans celui du commandeur.
– Je crains que vous ne me sous-estimiez, signor. Le comte n’est pas le seul à savoir faire parler les âmes mortes. Votre assassin, par exemple. Votre suppléant s’est montré très coopératif…
La fureur gagna aussitôt le commandeur qui posa une main sur la garde son épée. Sur le point de jaillir de son fauteuil, il fut stoppé net dans son élan par Jareth.
– Il est inutile de vous emporter. Par la force des événements, elle fut obligée de réviser sa stratégie ; le fait que nous nous retrouvions ainsi réunis autour de cette table, n’en est-elle pas la preuve éclatante ?
– D’autre part, que ferez-vous une fois notre mission achevée ? ajouta-t-il tout bas.
Ficini secoua la tête.
– Pardon, Jareth. J’ai eu tort de m’emporter. Vous connaissez déjà ma réponse, n’est-ce pas. Ce rêve… en outre, ne trouvez-vous pas la situation pour le moins ironique ? Je suis certain que dame Nyx brûlait de savoir en quel lieu je me rendais et nous nous retrouvons ici.
Ficini eut un sourire las, tandis que lui revenaient en mémoire les terribles images, cependant que Jareth observait Nyx du coin de l’œil.
– Dame Nyx, que désiriez-vous nous soumettre au sujet de ce désagrément qui répond au nom de comte Osario ?
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