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tome 2, Chapitre 1 « Il était une fois... » tome 2, Chapitre 1

Comme toutes les histoires, elle commençait par « Il était une fois… ». Néanmoins, à l’inverse des autres contes, elle ne finissait pas.

L’homme reposa le livre sur le chevet. En était-il mieux ainsi ? Sans doute, était-il la seule personne en qui il avait confiance, de même que lui-même.

– Pourquoi s’en étonner ? songeait-il en contemplant les murs nus.

N’importe qui d’autre à sa place n’y aurait qu’une chambre d’adolescent semblable à toutes les autres, avec ses murs dégoulinant de posters de quelques groupes de métal ou de rock, tel que Messe Blanche, Dark Oyster Cult ou encore Jack l’écorcheur. Une grande étagère bringuebalante croulaient sous les livres et les journaux, une armoire où le linge s’entassait dans le chaos. Un peu plus loin, dans un coin, mourait un tas de chaussettes sales, à côté d’un lit fatigué et défait.

L’homme ferma les yeux, son cœur était empli de chagrin pour cet enfant qui, s’il n’avait menti, aurait fini sa vie dans une cage de verre, sous l’œil attentif de ceux qui auraient prétendu savoir le soigner. Le soigner ? L’homme eut un rire amer, car c’était ceux-là même qui l’avaient déclaré schizophrène, à défaut d’autres termes.

– De quoi avez-vous peur ? leur avait-il rétorqué lorsqu’ils étaient venus le chercher.

– De ça ? avait-il ajouté en exhibant le tatouage qu’il avait sur le visage. Ah, ah, ah.

D’aucun de ceux qui lui faisaient face ne désiraient lui révéler le fond de ses pensées, quand bien même leur figure les trahissait.

– Tristes sires, pensait-il en jetant sur eux un regard plein de dédain.

Son couple partait déjà à vaux-de-l’eau ; sa décision ne fit que hâter une chose devenue, que par trop, évidente à ses yeux, comme à d’autres. Qu’avait-il vu ce jour-là au fond de ses yeux. La réponse tenait très certainement en ce masque qu’il s’était tatoué sur le visage. Les mots de Paloma revenaient sans cesse. Elle avait la seule à ne pas lui tourner le dos et la seule encore à venir le voir dans son studio où, à défaut de contact direct avec d’autres humains, il recevait et donnait ses cours via un terminal informatique. C’était tout ce qu’il avait pu obtenir ; l’académie ne souhaitait pas héberger, en les murs de l’un de ses établissements, un punk comme professeur, aussi brillant soit-il.

– Au moins auraient-ils pu avoir le courage de leurs pensées, ajouter le terme infamant de pédophile. N’était-ce point là, la teneur de ces rumeurs qui couraient sur moi.

Il les avait ouïes et il n’avait rien dit. C’était un combat perdu d’avance.

– Si tu veux abattre ton chien, dit qu’il a la rage, professe la sagesse populaire.

Plongé dans le silence, l’enfant s’était assoupi et l’horloge affichait 10h33. Dans la pièce d’à-côté, couchés dans un lit factice, ses parents l’étaient tout autant. Il disait jamais rien à leur sujet ; il se contentait de les regarder tandis que ses yeux brillaient d’un chagrin retenu. L’homme éteignit la lampe, puis se leva et sortit. Il jeta un dernier coup d’œil sur l’enfant endormi et ferma la porte.

– Dors mon enfant, avait-il murmuré avant de disparaître.

D’un pas léger, il s’engagea dans le couloir plongé dans le noir. Arrivé au bout, il tâtonna quelques instants le mur. Ses doigts couraient à la surface jusqu’à ce qu’un petit déclic se fit entendre. Sans un bruit, il enfonça le panneau pour mieux le refermer derrière lui, pour faire face à un miroir. Sa surface ondoyait au gré d’un vent imaginaire. L’enfant et lui l’avaient confectionné afin qu’ils puissent se rendre visite sans attirer l’attention. Il prit soudain une grande inspiration, bien que cela fut sans intérêt ; l’enfant le lui avait expliqué, en vain, puis il plongea dans la surface ondoyante. Un vent glacé et humide lui cingla le visage.

– Zut ! On dirait que j’ai laissé la fenêtre ouverte, soupira-t-il, alors qu’il découvrait le parquet trempé et la porte-fenêtre grande ouverte.

Au-dehors, l’orage se déchaînait et les éclairs déchiraient le ciel. Il ferma le battant, puis se dirigea vers la cuisine où il attrapa une vieille serpillière et une bassine. Quelle importance ? Il était seul maître à bord de ce bateau ivre qui s’appelait sa vie. Tout à éponger le sol et les murs sur lesquels le ciel avait déversé son fiel, il portait son regard en direction de l’occident, là où se déchaînait les éléments. Des larmes couraient le long de ses joues, douces et amères. Était-il si différent de ce qu’il pensait être ? Sans doute était-il barjot, après tout, car il avait vécu trop longtemps avec deux noms et deux prénoms ; l’un était le don d’une institution, l’autre provenait de ses parents, disparus trop tôt après sa naissance. Dans la fenêtre, entre deux zébrures dans l’obscure, son visage se reflétait ; faciès horrible et grimaçant que d’aucun aurait qualifié de démoniaque. Pourquoi ? Parce qu’il s’était fait tatoué sur le visage la vérité enfouie au fond de son âme. Ce n’était pourtant qu’un légitime cri de révolte, sursaut face à la soumission, un viol de ces normes qui l’entravaient. Bien sûr, il en payait le prix. Mais qu’était-ce en regard de cette liberté enfin retrouvée ? Quelles règles avait-il enfreint pour ainsi subir l’exil et l’ostracisme, si ce ne sont celles de la bienséance et du bien-être du regard d’autrui ? Il préférait en rire et en sourire plutôt que d’en souffrir.

– Au fond, qui de vous ou de moi est le plus à plaindre ? avait-il rétorqué à ses assesseurs.

Ces derniers, pour toute réponse, ne lui avaient renvoyé qu’un silence aussi glacial que poli. Tout amusé qu’il était, il leur avait alors jeté en pâture l’une de ses prophéties dont il n’avait eu de cesse de les abreuver.

– L’immortel est un aveugle éreinté par la mort.

Il n’avait que faire de leurs questionnements et de leurs jugements, tout aussi étriqués que leurs esprits rapetissés. Les uns pensaient transfert de personnalité, d’autres substitutions, désordres, disparitions, précipitations, ils avaient trop de mots en bouche, et le seul qui approchait la vérité était trop connoté.

Ses mains tordaient la serpillière qui recrachait alors une eau grisâtre dans le seau posé sur le parquet. L’homme fit la moue. Depuis combien de temps n’avait-il pas fait mugir l’aspirant poussière ? Les miettes et les moutons étaient un indice. Cependant, il était bien trop préoccupé pour y porter la moindre attention. Il ne désirait pas plus déclencher la fureur du voisinage, aussi se contenta-t-il de pousser, à l’aide d’un simple balai, ce qui l’agressait hors de sa vue, après qu’il eut rassemblé les affaires dans la cuisine. Hélas, le temps ne suspendait pas sa course et il sentait le sommeil le gagner. Dans sa salle de bain, il procéda à son rituel, le regard toujours hors du champ du miroir. Le robinet crachota un instant, éructa de grosses bulles d’air, enfin un filet d’eau glacial s’en échappa.

– Ils auront encore coupé l’eau sans nous prévenir, grogna l’homme, la bouche pleine d’une mousse blanche ;

Au-dessus de sa tête, la lampe vacillait, hésitait entre ombre et lumière. Décidant pour elle, il la fit taire d’un geste. Ce studio n’était pas d’un luxe immense, mais cela lui suffisait, d’autant plus qu’il se logeait dans le quartier le plus sinistre et le plus lugubre de la ville, à cause des bruits et des rumeurs qui couraient à son propos.

Comme la peut fait naître les maux, songea-t-il de retour dans sa chambre, depuis laquelle il apercevait l’unique réverbère encore fonctionnel de la rue où il habitait.

Suis-je un oiseau de nui perdu dans un jour éternel ou une ombre prisonnière d’un lunaire artificiel.

S’il n’était si tard, il serait très certainement sorti, lui, le mort en marche.


Texte publié par Diogene, 15 octobre 2017 à 17h47
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