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tome 1, Chapitre 41 « Chimères et Ténèbres » tome 1, Chapitre 41

– Qu’attendons-nous, dame Nostria ?

En face de lui, Jareth étirait ses lèvres en un sourire, teinté d’une légère ironie, tandis que cette dernière serrait un peu les siennes. Dans le fond de la pièce, le cliquetis de l’horloge troublait un silence qui, devenu pesant, accentuait des tensions naissantes. Ficini bouillonnait. Il s’était rendu au temple d’Ourchosia, dans le but d’éclairer nombre de mystères qui entouraient ses hommes et dame Nyx, et voici qu’on lui servait des sourires mielleux. Comme il n’y tenait plus, il fit mine de quitter la salle, aussitôt interrompu par un geste impérieux de Nostria.

– Commandeur, la personne que nous attendons n’est pas des plus recommandables. L’alliance que nous avons conclue n’est que de circonstances, car, hélas, des forces mauvaises sont à l’œuvre. L’horizon s’assombrit, les graines du chaos sont sur le point d’être semées et nous ne pouvons permettre que des siècles de paix et d’harmonie fussent menacés par quelques désirs égoïstes et vénaux.

– En effet ! renchérit une voix qu’il ne connaissait que trop.

– Vous ! rugit-il hors de son fauteuil, une main posée sur le pommeau de son épée.

Nimbée de ce voile, que l’on croirait tissé dans les ombres elles-mêmes, dans l’embrasure de la porte, se tenait une femme à la beauté incroyable et en même temps monstrueuse. Son sourire affable n’était que le reflet d’une cruauté dissimulée tandis que dans ses yeux dansaient les ténèbres.

– Dame Nostria vous l’a expliqué. Il est des temps où des alliances improbables se nouent, murmura-t-elle les mains posées sur le dossier de son fauteuil.

À aucun instant, il ne l’avait vue esquisser le moindre pas.

– Verser le sang ne nous serait pour aucun d’entre nous du moindre secours. Nous avons des intérêts communs. Permettez que je vous les expose !

Ficini sentit Jareth relâcher son étreinte. Sur ses gardes, il consentit néanmoins à reprendre sa place, attentif aux traits tendus de Nostria.

– Merci de me recevoir en ce domaine, chère vénérable, ronronna Nyx qui marchait avec lenteur dans la pièce.

Les lèvres pincées, cette dernière réplique d’un ton sec :

– Gardez donc vos compliments pour vous-même, Nyx. Le temple d’Ourchosia est un lieu de stricte neutralité et, si nous ne prenons aucune part au conflit qui couve, il est en revanche de notre devoir de faciliter toute initiative qui rétablira l’équilibre de la balance.

Toujours souriante, Nyx ne parut pas se vexer de la remarque acerbe de Nostria.

– Commandeur ! Sachez qu’il est des sujets sur lesquels je demeurerai obscur, car leur instruction pourrait nuire à votre intégrité. Aussi n’évoquerai-je que les points dont je serai certaine que, porter à votre connaissance, ils ne vous mettront point en danger, pas plus que notre ami, ici présent, reprit cette dernière.

– Vous êtes trop bonne, siffla-t-il, un brin sarcastique.

Elle ne releva pas la pique et poursuivit :

– Jamais il ne le reconnaitra. Néanmoins, je nourris peu de doute à son égard. Il en sera à tout le moins l’inspirateur, sinon l’instigateur. Hélas, toute chimère se rebelle et se retourne contre celui qui, un jour, fut son maître. Or si j’ai tenu à être présente au monastère dès l’arrivée de vos hommes, ce fut, en toute première intention, pour remonter la piste de ce… chenapan.

Jareth demeurait silencieux, mais son regard acéré démentait son calme. Les yeux fixés sur sa personne, il était à la recherche des failles dans son armure de suffisance.

– Fort bien. En ce cas pourquoi l’ordre de Stryrr a-t-il dépêché l’un de ses émissaires, le seigneur-chevalier Kakeru ? rétorqua Ficini.

Un sourire pincé se dessina sur les lèvres fines de Nyx.

– Il serait malvenu de ma part de nier que l’ordre ne s’intéressât point de près à cet incident, à cause de ses potentielles conséquences.

Ficini s’apprêtait à ajouter quelque chose lorsqu’une voix s’insinua dans sa tête.

– Ne dites plus un mot, commandeur. J’ai mené mes propres recherches sur cette femme et sur son ordre. Ils nous appuieront en même temps qu’ils nous manipuleront. Nous sommes des pièces rapportées sur un jeu de go, dont l’espace nous dépasse, de même que son enjeu.

– Très bien, soupira ce dernier. Après tout, votre ordre est né des cendres du conflit et vous veillez au respect de cette paix chèrement acquise.

– En effet et l’ordre de Nott est là pour… hum, contrebalancer nos propres excès, dame Nostria.

La fureur dansait dans son regard, car, sans leur présence, depuis longtemps les royaumes seraient sous le joug d’un ordre dont la cruauté n’aurait d’égale que celle des autres.

– Venez-en aux faits, Nyx ! lança sèchement cette dernière.

Nul trouble, nulle surprise ne se lisait sur ses traits. Calme, elle prit une profonde inspiration et planta ses prunelles acérées dans celle de Nostria qui le soutint sans sourciller.

– Le seigneur Osario.

Le nom était tombé semblable à une pierre, chargé de fiel et de haine. À son évocation Ficini, comme dame Nostria blêmit.

– Que vient donc faire cette abomination dans notre royaume ? cracha-t-elle.

– Je lis à votre visage que vous ignorez tout de ce sinistre personnage, ronronna Nyx à l’adresse de Jareth, dont les yeux s’étrécissaient. Enfin, je laisse ce soin à notre vénérable Nostria et au commandeur. L’heure n’est pas aux palabres, me semble-t-il. Je ne sais pas ce que vous avez fait à cet homme que la garde a retrouvé au pied de la demeure du commandeur. Néanmoins, vous paraissez avoir éveillé quelques intérêts, seigneur Jareth. Je crains qu’il ne soupçonne le lien qui existe entre vous et lui.

– Sous-entendriez-vous qu’une personne ou un groupe seraient assez inconscients pour tenter de l’asservir et de faire de lui une arme ?

Nyx hocha la tête ; ses cheveux bouclés suivaient le mouvement avec grâce et soulignaient la finesse de ses traits.

– En effet ! Saisissez-vous désormais l’enjeu de notre entrevue ?

– Bien sûr ! gronda le commandeur, car il avait encore en mémoire les récits tragiques de tous les conflits passés. Il n’envisageait que trop la situation, si quelqu’un ou si une force quelconque s’appropriait le pouvoir de cet être qui, par la seule grâce d’un sifflement, avait réduit sa troupe à une assemblée de nourrissons.

– Dame Nyx, notre ordre vous appuiera. Cependant, nous ne le ferons que dans les limites qui ont été définies lors de sa fondation. En revanche, commandeur Ficini et vous seigneur Jareth, vous bénéficierez de notre soutien inconditionnel, déclara Dame Nostria.

Sur ces paroles, elle se leva et s’en fut en direction d’un pan du mur, au travers duquel elle passa un bras noueux et en ressortit deux parchemins à la main.

– Ces documents scelleront notre accord. Je vous invite à y apposer maintenant vos sceaux respectifs. Je les déposerai ensuite dans le cœur du temps.

Chacun s’empara des précieux parchemins pour mieux les examiner. Si Jareth et le commandeur n’émirent aucune objection, sur le visage de Nyx se dessinait une mine contrite et dubitative.

– Auriez-vous quelques réserves à nous faire partager, ma chère ? susurra Nostria, comme la fureur se lisait sur les traits de la suivante de Styrr.

– Je suppute qu’il s’agit là d’un accord définitif sans négociation possible.

– En effet. N’oubliez pas que les pouvoirs de notre ordre sont bridés par l’observation d’une stricte neutralité, fondée sur les principes d’équilibre de la balance et de la justice. Nous ne sommes pas en mesure d’y déroger.

Les lèvres pincées, Nyx ôta la bague passée à son index droit. Le diamant en solitaire se déploya alors en une large corolle et révéla un cœur noir et palpitant, qu’elle écrasa, venimeuse, sur la cire chaude versée sur le parchemin.

– Tenez ! lança-t-elle avec mépris à Nostria tandis qu’elle lui remettait la promesse écrite sur laquelle s’étalait, désormais, une fleur de sang.

– Je vous remercie, murmura cette dernière. Sachez toutefois que ces serments engagent toutes les parties ici présentes. Que l’une ou l’autre ne les respectent pas et elle subira les conséquences, ainsi qu’elles ont été définies par les lois de notre ordre !


Texte publié par Diogene, 29 juillet 2017 à 19h38
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