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tome 1, Chapitre 38 « Le Temple d'Ourchosia » tome 1, Chapitre 38

– Soyez le bienvenu parmi notre congrégation, commodore Ficini. Que pouvons-nous pour vous ?

Celle, qui s’était ainsi adressée à lui, ne portait pour tout habit qu’une tiare d’où descendait une pièce de brocard qui lui dissimulait le visage. C’était la première fois qu’il se rendait en ce temple et, malgré tous les récits qu’il avait recueillis à son sujet, contempler la chose était au-delà de tous les mots. Il mit un genou à terre et s’inclina ;

– Relevez-vous, je vous prie. En ces lieux, nulle hiérarchie n’existe et si je suis assise, ici, c’est que je suis la doyenne, réceptacle de toutes les mémoires.

Prenant acte de sa requête, il se redressa et lui exposa les faits.

– Dame Nostria, il y a plusieurs nattas, six de mes hommes sont tombés dans une embuscade et, lorsque nous les avons retrouvés, ils avaient régressé jusqu’au stade de l’enfance. Cependant, ils ne faisaient que leur devoir et il me semble qu’ils auront surpris quelqu’un, dans la forêt, qui leur aura jeté un sortilège.

Ficini incapable de lire sur les traits de son visage s’attardait sur son corps ridé et dénudé.

– Que désirez-vous, commodore Ficini ? À votre ton, nous devinons que vous vous préoccupez du sort de vos hommes et sur ce que cela pourrait dissimuler.

Percé à jour, il n’en désarma pas moins :

– En effet, vénérable Nostria. Je me rends aussi souvent qu’il m’est permis au monastère où ils ont été recueillis et je ne note aucun progrès notable. Les sœurs leur sont dévouées et s’en occupent avec toutes les attentions nécessaires. Néanmoins, plus que de leur bien-être futur, j’ai la désagréable sensation qu’ils ne sont que de vulgaires sujets d’étude ; tout au moins aux yeux de certaines personnes. Ma foi, il est assez surprenant que l’ordre de Styrrr dépêche un émissaire, son éminence grise : Dame Nyx. Je l’ai observé à de nombreuses reprises. Elle me donne l’impression de jouer sa propre partition, d’autant plus qu’elle était accompagnée de l’un de leurs seigneurs de guerre.

En face de lui, le corps nu de Nostria se raidit ; tel un arc prêt à décocher sa flèche.

– Pourquoi être alors venu nous voir, commodore ?

– Parce que je n’ai découvert aucune réponse à toutes mes interrogations, vénérable ! affirma-t-il.

Nostria, derrière sa coiffe le dévisageait, un sourire entendu sur les lèvres.

– Ce n’est pas votre seule motivation. Vous êtes un homme d’armes, commodore, et pourtant vous aspirez à la paix. N’est-ce pas là un étrange paradoxe ?

Ficini ne savait que répondre. Il était militaire de corps et d’esprit, mais jamais il n’avait conduit ses hommes au champ de bataille, d’honneur comme le diraient certains. Ils n’étaient que querelles et vendettas éternelles dans lesquelles de trop nombreux royaumes avaient été engloutis. La chance, ou autre chose voulait que ce royaume en fût épargné depuis plusieurs onattas. Or depuis quelque temps, fermentaient les germes inutiles de complots dont le seul but était la conquête du pouvoir ou de nouvelles terres, ce qui ne manquait pas de l’inquiéter en plus de le répugner. Soudain, comme mue par une impulsion brusque, Nostria se leva et d’une démarche gracieuse et aérienne, malgré son grand âge, descendirent les quelques marches pour se placer à gauche du commodore.

– Ne dites plus un mot, seigneur. Vos yeux parlent pour vous. Suivez-nous ! Nous vous apporterons toutes les réponses à vos interrogations. En échange, nous souhaiterions vous soumettre une proposition. Vous êtes libre de refuser, nous ne vous retiendrons pas.

– Je ne comprends pas, vénérable Nostria.

Cette dernière poussa un étrange soupir tandis qu’elle posait ses doigts parcheminés sur son épaule.

– Que ne comprenez-vous pas dans notre propos, seigneur ? lui glissa-t-elle.

– Pourquoi m’apporter des réponses et me soumettre ensuite votre proposition ?

Nostria laissa courir sa main le long de son bras, jusqu’à la hauteur de son poignet, dont elle se saisit avec une vivacité et une poigne tout à fait extraordinaire.

– Comment, dès lors que vous n’auriez pas en votre possession tous les éléments, seriez-vous en mesure de prendre une décision ? sourit-elle. N’êtes-vous point chef militaire. Ce sont des choses qui vous sont pourtant familières, n’est-ce pas ?

Ficini sentit Nostria se reculer. Elle lui octroyait un peu de cette sérénité si propice à la réflexion.

– Que ferez-vous si je refuse d’honorer votre engagement ?

– Je vous l’ai déjà exposé. Vous serez libre de quitter ces lieux.

Il cherchait, en vain, le moindre accent de la tromperie ou de la dissimulation.

– Nous ne désirons nullement vous duper, commodore Ficini. Pour vous confesser la chose, c’est un pari que nous avons lancé lui et moi, susurra-t-elle.

Piqué par la curiosité, ce dernier répliqua :

– Ah, je suppose que je suis l’enjeu de celui-ci. De plus, qui est donc ce mystérieux lui dont vous sous-entendez la présence en ces lieux ?

Un rire cristallin s’échappa de la tiare.

– Qui sait ? Vous ne tarderez pas à le découvrir, puisque c’est cet homme qui détient toutes les réponses à vos interrogations.

– Venez donc, minauda-t-elle.

Indolent, Ficini la suivit. Ils passèrent par une minuscule porte habilement camouflée dans la bibliothèque et s’engouffrèrent dans un couloir mal éclairé, sur les murs de laquelle étaient déposés des corps anatomiques de toutes sortes. Ils marchèrent ainsi plusieurs minutes dans l’étroit boyau jusqu’aux pieds d’un escalier en colimaçon et double hélice. Bâti de cette manière, personne ne se croisait, qu’il montât ou qu’il descendit et l’on évitait de bien fâcheuses et dangereuses coïncidences.

– Après vous, seigneur Ficini, l’enjoignit dame Nostria.

Dune inclinaison du buste, il acquiesça, puis s’engagea dans le dédale tortueux. Ce ne fut qu’au septième tour que le calvaire prit fin avec la présence d’un courant d’air frais.

– Pardonnez-moi, vénérée Nostria. Mais me serait-il possible de profiter quelques instants de ce vent qui file par cette meurtrière que j’aperçois ; les entrailles me balancent et je me sens comme le mal en grand océan.

Celle-ci, compatissante, obtempéra :

– Je vous en prie. Nous autres, habitants du temple, sommes familiers de sa géométrie tortueuse et nous n’en ressentons plus les effets.

– Merci, vénérable, marmonna le commandeur tandis qu’il appuyait sa tête tout contre la meurtrière.

Petit à petit, les couleurs lui revenaient, de même que son souffle. Il manquait d’exercice et se morigénait en silence.

– Comment vous sentez-vous à présent ? Êtes-vous en mesure de poursuivre notre route ? s’enquit Nostria tandis qu’il se redressait.

– Je vous suis, ma dame ! affirma-t-il, le visage encore pâle.

Cependant, ils n’eurent pas fait plus de quelques pas que ce dernier étouffa un cri de surprise en découvrant ce qui se dissimulait derrière l’imposante porte à double battant ; une forêt suspendue qu’aucune salle en ce temple n’aurait pu contenir. Il devinait derrière une rangée d’arbres la présence d’une pièce d’une taille assez importante trahie par les éclairs lumineux que reflétait sa surface.

– Soyez le bienvenu dans les Jardins du Memnys. L’escalier que nous avons emprunté est en réalité un portail et pourvu que nous accomplissions le bon nombre de tours, nos pas inscrits dans ceux qui l’ont construit, alors nous pouvons nous rendre dans ce lieu.

Pour le commandeur Ficini prenait un sens nouveau, toutes les recommandations, qu’il avait reçues de la doyenne, avant qu’il n’emprunte à son tour le chemin en tour d’écrou.

– Où sommes-nous, dame Nostria ? murmura-t-il, le regard égaré dans le paysage bucolique.

– Nous nous trouvons à un carrefour, lieu de rencontres et de souvenirs, lança-t-elle énigmatique.

Le bois était d’un intérêt botanique remarquable si l’on considérait sa diversité essentielle, de plus sa surface que semblait illimité, avec en son centre une silhouette allongée ; un rêveur.

– Si vous voulez bien me suivre, commodore. Quelqu’un désire s’entretenir avec votre personne.

Au même instant, l’ombre se redressa et celle-ci se découpa sur le tronc d’un cycophore géant. Il n’en devinait que les contours, indistincts, flous, pris dans les rets d’une brume invisible. À côté, il distinguait à grand-peine la silhouette d’une table accompagnée de sept chaises disposées au gré d’une folie. À leur vue, celle-ci les salua et se saisit d’une théière ventrue qu’il brandit bien haut. Chose étrange, ce singulier personnage lui en rappelait un autre qu’il avait croisé dans un conte, Alicia à l’envers du Miroir. Il ne lui manquait que le brocard et la coiffe. De plus, plus ils s’approchaient de lui, plus il tendait à disparaître comme aspirer par les ombres traîtresses. Cependant, lorsqu’il fut arrivé à sa hauteur, il ne put retenir un cri de surprise :

– Vous !

– Enfin ! Pourquoi autant de surprise peinte sur votre visage, commandeur ! s’écria-t-il faussement outré. Vous m’étonnez. Ne désiriez-vous point me mettre la main au collet ?

En face du commandeur Ficini, la mine radieuse, se tenait l’homme qui avait aidé à la capture de sa patrouille. Il était également celui qui s’était introduit chez lui et l’avait averti.

– Mais enfin ! Qui êtes-vous ?

Le chamelier fou aurait-il eu envie d’ajouter, si la plaisanterie fut à propos. Ce dernier poussa devant deux tasses fumantes emplies d’un breuvage ambré.

– Une excellente question ma foi, commodore, sourit Nostria. Quelque peu, prématurée. Cependant, je vous présente Jareth Kiokuobae.

– Aventurier ? ajouta-t-elle soudain.

– Faute de mieux ! Oui ! rit-il tout en se fendant d’une révérence outrageuse et ridicule. Allons, ne vous faites pas prier, commandeur. Il est délicieux.

Celui-ci accepta l’invitation, malgré la prudence qu’il affichait, et trempa les lèvres dans l’infusion aux saveurs d’orange amère.

– Exquise, en effet. Néanmoins, je doute que nous ne soyons pas là pour deviser autour d’un thé, fût-il savoureux.

– Tout à fait, gronda Jareth, dont le sourire s’était effacé.


Texte publié par Diogene, 5 juillet 2017 à 23h20
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