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tome 1, Chapitre 36 « Illumination » tome 1, Chapitre 36

Journal d’Adarra

Plusieurs jours de suite, Estrella s’est refusée à me voir. Elle prétextait une soudaine fièvre. Je n’en crois rien, car je l’observe la bougresse. C’est cette chose, cette boîte, qui l’obsède. Elle est sans cesse en train de la manipuler et, fait étrange, elle a encore grossi. Elle est désormais de la taille du poing d’un adulte. Pourtant, je n’ai pas l’impression qu’elle grandira encore. Elle change. C’est indéniable. Sa surface change et apparaît de bien singuliers motifs. Hélas, je ne pourrai en savoir plus, car Estrella ne me laisse plus approcher. Elle est possédée. J’en suis certaine, car je l’entends lui chuchoter d’étranges paroles, quand elle ne colle pas son oreille toute contre. Quel souhait cela peut-il être là ? Oh ! Comme je brûle de le découvrir, mais elle ne veut plus de moi. Elle devrait pourtant, car j’ai toujours été la plus fidèle et la plus proche de ses suivantes et il est l’heure de la récompense. Allons… Estrella… Je désire seulement examiner ta boîte. Rien qu’un petit instant insignifiant. Mais elle s’entête et refuse toujours, malgré mes suppliques. Cependant, j’en ai le cœur encore tout retourné, elle a accepté, car le moment est proche. Surtout, et c’est là que sa confidence prend toute sa saveur, elle désire que je sois présente lorsqu’elle prononcera son vœu. J’en suis toute excitée, car il me vient une idée. Bien sûr, je ne devrai pas avoir de semblables pensées. Ah, mais elle m’a tout expliquée et m’a rassurée ; ma joie n’en est que plus grande. Comme il me tarde…

Journal de Vicente Naldasio

Ah ! Je ne devine que trop ses intentions. Elles sont limpides, sublimes ! Pourtant, chaque fois que j’esquisse le désir de l’exprimer ma langue et ma plume se figent. Je soupire de ne pouvoir confier ce secret à personne d’autre que mon âme. Je me rappelle encore lorsqu’il est parti, j’étais terrorisé, terrassé, accablé par ce mystère qu’il m’a laissé entrevoir. Cependant, ce ne sont pas là mes seuls tourments, car je désire sa présence, qu’il revienne parmi nous, qu’il revienne pour moi. Encore aujourd’hui, comme les autres jours, je guette l’horizon ; les membres de la caravane pensent que je guette la venue de brigands. Il n’en est rien bien sûr, car c’est lui que je cherche. Aveugle je deviendrai à scruter ainsi le désert brûlant, mais tel le prix de mon désir. Seulement, je ne peux les trahir et lui, lui, je ne peux le haïr. Que ne puis-je ne point souffrir ? Non, car j’expie sa fuite.

Journal d’Elisia Morelli

Où est-il ? Où est-il ? Cette question ne cesse jamais de s’en revenir. Elle me l’a promis. Mais que n’ai-je fait là ? Ah… Je soupire chaque fois qu’elle m’apparaît et pourtant mon cœur la rejette. Et de cœur ? En a-t-elle, elle-même ? Elle qui chaque nuit se glisse dans les tentes et les couches où, en échange de quelques faveurs, elle distille un venimeux bonheur. Car, oui, je l’ai vu à l’œuvre, quand elle tourmente et trouble les sens de chacune de ses victimes. Cependant, je prends bien soin de ne rien en dire, personne à qui je parle n’en a le moindre souvenir. Alors serait-ce à moi, à moi seule, qu’elle souffle ses promesses ? Je me perds. Chaque fois que je la surprends, elle m’attend et l’espace d’un instant c’est lui que je vois au travers de ce masque de chair féminine. Et si tout cela n’était qu’ illusions, suggestions de sa part ? Tout cela est si savoureux. Je dois me rapprocher, encore plus près que je ne le fais, devenir elle et lui reprendre. Oh oui, car je détiens enfin ce secret. Je le vois, il m’apparaît. Seulement, seulement, je ne peux me permettre, car d’autres me le voleraient. En attendant, je veux dévorer sa chair.

Journal de Enrico Tetano

Ah ! Comme je lui rends grâce. Je ne suis plus celui que j’étais. J’ai réuni autour de moi quelques disciples qui, comme moi, sont tombés au fond de la fange. Bien sûr, nous prenons toute sorte de précautions. Il serait fort dommage que le reste de la caravane découvre la chose avant l’heure. Nous ne pouvons le permettre, car déjà l’on me rapporte que bruissent des murmures étranges dans le camp. Hélas, j’ignore s’ils nous sont ou non adressés et nous nous interdisons certaines radicalités. Cependant, elle s’en est venue nous rassurer, car, dit-elle, elle dispose de bien des savoirs à même de faire taire ceux qui nous entraveraient dans notre quête. En outre, elle nous a promis qu’aucun sang ne serait versé. En échange, elle nous sollicite afin que nous lui rapportions ces quelques mots glanés de-ci de-là, ces innocentes paroles qui flottent au gré des vents.

Journal d’Armando Littore

Elle m’avait promis et voici qu’elle me trahit. Infâme ! Elle m’a affamée, car je ne puis me résoudre à commettre pareil outrage. Je le vois qui me nargue et me moque. En fait, elle se délecte. Elle se délecte de ma souffrance, ne me sustentant que de ses fragrances, ce qui accroît un peu plus ma douleur. Mes pouvoirs ne peuvent contenir son maléfice. Il est bien trop puissant pour moi, m’a-t-elle expliqué, les yeux emplis d’une profonde détresse. Je ne puis le croire. Non ! Pas après l’avoir vu faire. Elle nous guide ! Elle est ma guide ! Elle m’avait mis en garde. Que n’ai-je été aussi goulu ! Car hélas, il m’en faut plus, toujours plus, pour survivre aux rayons mortels de cet orbe solaire qui nous brûle et nous dessèche. Je ne suis pas le seul. Nous ne sommes que peu nombreux, une poignée tout au plus, alors qu’eux sont si nombreux. Ah, il est l’heure que j’apaise cette faim dévorante. Je l’aperçois maigre et décharnée silhouette qui hante le camp. Qui verra la différence ? Personne pour elle pour qui se meut dans l’indifférence.

Journal de Valerio Alvede, dit la Chatte

Dansez ! Dansez donc ! Ignorants que vous êtes, car moi seule ait percé son secret. Mais n’était-ce pas là son désir, leur désir. Moi seul les comprends, car je partage avec eux cette singularité qui fait de nous des êtres à part. Désormais, j’évolue seule, démiurge, dans ce qui est devenu un misérable théâtre d’ombres et de faux-semblants, dont j’aimerais me vanter d’en être le metteur en scène. Je ne saurai, bien sûr être à sa hauteur, à leur hauteur. Cependant, et de cela, je me réjouis grandement, elle a accepté que j’ajoute ma touche à son œuvre. En effet, elle, il m’a offert le baptême ; non sans me mettre en garde contre l’orgueil qui, alors, m’anéantirait. Mesurée, reste mesurée, Valeria me glissait-elle, me soufflait-elle tout en me couvrant de ses tendres caresses. Je le suis, tandis que virevolte sous mes yeux le petit peuple désuni, maintenant que je tisse de nouveaux fils pour le nouveau marionnettiste que je suis.

Journal d’Ettore Escaggieri

Que n’avons-nous accueilli au sein de notre famille ? Entre nous, il n’est plus de doutes à son égard, mais plutôt à nos égards lorsque se tournent vers nous les regards de nos camarades. Nous le savons parti. Nous avons fouillé le camp en tout sens sans jamais avoir découvert aucune trace de sa présence, alors même qu’elle continue de planer au-dessus du camp. Autrement, comment expliquer ces choses qui abusent nos sens ? Même les mots se vident de leur substance. Je les emploie, mais ne représentent plus rien. À quoi bon coucher mes peurs, mes appréhensions, ce serait vain et sans fin.

En revanche, j’ai ordonné que soient décrochés le bras et la tête. Nous sommes tous trois tombés d’accord. Cependant, je nourris des doutes quant à sa réalisation, car il ne peut en être ainsi. Je ne peux me faire complice d’une semblable abomination. Cela serait contraire à ma foi et à mes convictions. Nous les avons abandonnés, pourtant il me faut m’en emparer, car ils seront le cadeau parfait pour elle ; elle qui me souffle un à un les mots que je couche.

Journal des jumeaux Juan et Don

Maman a été méchante. Maman a été vilaine. Et que fait-on aux vilaines teignes ? On les punit !

Maman n’a pas été gentille, alors nous l’avons punie.

Juan avait dessiné une femme. Don avait dessiné un homme. Tous deux étaient beaux et ressemblants. Mais maman a été méchante. Alors, on a puni maman.

Qu’avaient donc nos dessins qui lui déplaisaient tant ? Nous étions très contents. En plus, nous avions pris notre temps, comme quand on a puni maman. Non, vraiment ! Nous ne comprenons pas. Ils avaient tous deux, deux bras, deux jambes et la tête là où il fallait. En plus, Juan l’avait habillé de sa plus belle robe. Don l’avait habillé de son plus beau pourpoint.

Alors, pourquoi maman s’est-elle mise à crier, comme quand on l’a puni, après avoir vu nos beaux tableaux ? Heureusement, l’homme l’a expliqué à Juan et la femme l’a expliqué à Don. Après, nous avons été contents, car nous avions compris pourquoi maman avait été méchante.

Et que fait-on avec les gens méchants, Don ?

On les punit, Juan !

C’est l’homme qui nous a dit comment. C’est la femme qui nous a montrés comment.

Et papa ? Est-ce qu’il a été méchant ?

Journal de Melina Marchi, la Barde

Il était une fois… Toutes les histoires commencent ainsi ; un roi, une princesse, un chevalier et un démon ou un dragon. Mais aujourd’hui, je n’ai plus d’auditoire et plus personne n’est là pour les écouter. On pourrait croire désormais que notre caravane ne marche qu’au rythme du désespoir qui la gagne chaque soir, au crépuscule, lorsque s’en vient la lune. Ils m’ont oublié un soir, j’étais assise devant les cendres froides ; semblables à mes histoires. Longtemps, j’ai ruminé. Longtemps, j’ai été peiné. Longtemps, j’ai pleuré, car je voyais mes histoires s’effilocher et s’en aller. C’est alors qu’il est arrivé avec son verbe coloré. Il me narrait des histoires invraisemblables que je ne peux conter, car elles ne sont rien que pour moi, m’a-t-il soufflé tandis qu’il enflammait mon cœur d’un baiser.

Journal de Julia Vanazio

Papa ment. Papa est mon amant. Je le sais, car je connais l’histoire. C’est lui qui me l’a soufflée un soir dans le grand miroir. Il m’a dit très nettement : Papa ment. Papa est un garnement. Est-ce qu’il mérite un châtiment ?

Mais comme papa est grand, encore plus grand quand c’est mon amant, je n’ai pas compris ce qu’il me disait du fond de son miroitement. Parce que moi, je crois mon papa, surtout quand il ment.

Alors l’autre a boudé, arguant qu’il disait la vérité. D’ailleurs, je le croyais, car jamais il ne grandissait. Alors, je me suis mise moi-même à bouder et à douter.

C’est alors que papa est devenu méchant. Mais l’autre m’a dit d’arrêter et j’ai cessé de bouder.

Et qu’a fait papa pendant ce temps ?

Papa s’est trouvé une autre amante et je n’ai pas été contente. Alors, je suis retourné voir l’autre dans le miroir et je suis devenu son amante. Lui aussi sait mentir, encore mieux que papa. Et que me raconte-t-il, chaque fois qu’il me prend ?

Des histoires de châtiments.


Texte publié par Diogene, 1er juin 2017 à 07h49
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