– Quelque chose ne va pas maman ? s’écria soudain l’enfant.
Son père s’était brutalement levé de table avant de se précipiter dehors, le regard noir. L’enfant fixait sa mère, ses yeux, autrefois de la couleur de la forêt profonde étaient devenus des puits de ténèbres. En lui-même, il ressentait l’appel, c’était un cri déchirant chargé de vie et de sang, qu’il se savait incapable de contenir en l’absence de ses parents. Jadis, alors qu’il n’était encore qu’un enfanton, il avait déjà assisté à cette singulière métamorphose. Alors, à chaque fois, ils s’en allaient le coucher et, une fois ses yeux fermés, ils s’éclipsaient et ne revenaient que fort tard, bien après le lever du soleil parfois. Petit à petit, ils lui avaient expliqué les choses, par bribes au travers de mythes et de récits, de contes et de légendes fabuleuses et merveilleuses. Sa mère, moins son père lui racontait des histoires terribles où de farouches gardiens, tantôt léonins, tantôt canins, s’en allaient, non pas punir, mais rétablir un équilibre. Il n’y avait dedans aucune morale, mais une éthique qui, aux yeux de beaucoup, paraîtrait monstrueuse.
Ainsi, dans un royaume lointain et depuis fort longtemps oublié, un enfant naquit. Son père était fier, car c’était là son premier fils. Et il faisait la joie de sa mère, car il était robuste et déjà fier. Cependant, peu de temps avant sa naissance, un oracle avait parlé, annonçant à son père que son fils causerait sa perte. Le roi aurait pu en rire et, cependant, il n’en fit rien, car la magie baignait son royaume. Aussi s’était-il longuement entretenu avec le vieillard chenu, qui lui avait révélé la prophétie.
Ce dernier vivait en ermite au milieu de la forêt des sombres, nommée ainsi à cause de des nombreux corvidés qui la peuplaient. Et, ce fut revêtu de sa seule pelisse et à pied, bien que cavalier émérite, qu’il s’y était rendu, car alors le chemin était bien trop abrupt pour sa monture. L’ayant rejoint au creux de l’arbre géant, l’oracle avait parlé, le mettant en garde sur le fait qu’il ne voyait avec netteté que quelques-uns des fils de la destinée.
– Prenez soin d’entendre et de comprendre mes paroles. Ce que je vous ai prophétisé n’est que l’une des vérités, l’un des possibles pour votre fils. Il n’appartient qu’à vous et à votre fils de dénouer et de déjouer ma vision.
– Et que dois-je faire pour cela ? avait demandé le roi.
– Abstenez-vous d’offrir le gîte à l’homme aux yeux miroirs.
Ainsi avait parlé l’oracle. Et malgré l’instance du roi, ce dernier s’était muré dans le silence, avant de le reconduire à l’orée de la forêt, où l’attendait sa monture.
Sur le chemin qui le ramenait à son château, le roi songeait à ce que l’haruspice entendant lorsqu’il évoquait un homme aux yeux miroirs. Finalement, il se dit qu’il pourrait poser la question aux érudits. Passant leur temps, par monts et par vaux, ou entre les quatre murs d’une bibliothèque, il trouverait très certainement auprès d’eux la réponse si désirée. Cependant, il était fort tard lorsqu’il rentra et, sitôt le souper consommé, il s’en fut se coucher auprès de son épouse et s’endormit sans un mot, l’esprit toujours hanté par les mystérieux propos : « Abstenez-vous d’offrir le gîte à l’homme aux yeux miroirs. »
Dès le levant, il se précipita à la recherche des mages occupant la bibliothèque d’ivoire ; ainsi nommée à cause de la couleur écrue du bois utilisé pour ses rayonnages. Hélas, amer et immense fut sa déception, car il était venu trop tôt et, en homme pressé qu’il était, il dut renoncer et s’en alla déjeuner, auprès de celle qu’il appelait « mon aimée ». Ainsi, le repas matinal achevé, il s’en fut dans les coursives rejoindre les sages et leurs ouvrages. Hélas comme la première, non que personne ne fût là, il s’en retourna sans la moindre réponse, car personne n’avait jamais ouï de l’existence d’un homme aux yeux miroirs. Refusant de s’enterrer dans son château avec sa famille, le roi dépêcha moult courriers, à travers le pays et les autres royaumes, afin de s’enquérir de la présence de ce prodige. Le temps passa. Ses filles et son fils grandirent, lui et sa femme verdirent, sans que jamais personne leur apporta la moindre réponse, quant à leurs interrogations.
Cependant, dans les royaumes, au sein des populations terriennes, existaient d'étranges rumeurs au sujet d’un être, dont on disait que les yeux étaient d’azur et d’obscur, et qui, partout où il passait, semait les graines du chaos. Les petites gens le craignaient, non pour ce qu’il était, mais pour ce qu’il faisait, car alors se déchaînait la colère des gardiens tonnerre. On les appelait ainsi à cause des grondements sourds qu’ils poussaient à chacune de leurs apparitions. C’étaient des êtres terriblement étranges, des figures de cauchemar aux yeux de ceux qui les avaient vu. Néanmoins, ils étaient dépourvus de toutes néfastes attentions, car ils étaient la manifestation de la disruption de l 'équilibre naturel et du sang, qu’ils versaient, ils le régénéraient. Et sans le savoir, le roi et sa descendance respectaient cet ordre caché, car jamais ils prenaient plus que nécessaire et toujours ne semaient les graines pour les futures générations. Ainsi, donc, étaient leurs enfants et surtout son fils au-dessus de la tête duquel planait le si sombre présage.
Souvent, trop sans doute, bruissaient au détour d’un couloir, dans l’intimité d’un boudoir, ou encore dans le réfectoire des murmures, des messes basses, des noms revenaient plus que de coutume, comme celui du prince et de la malédiction qui pesait sur lui. Chagrin d’être ainsi le centre de bien trop d’attentions, le prince dépérissait peu à peu. Il avait conscience d’être au cœur du tourment et il se consumait de ce que l’on ne lui dévoilait que peu de choses.
Son père, le roi, inquiet, s’en vint et lui demanda, quelle affliction le minait ainsi. Alors le fils s’en ouvrit et se confia à lui :
– Père, depuis que je suis en âge de percevoir le monde, je devine que vous me dissimulez bien des faits. Et je ne fais aucune allusion aux affaires du royaume, mais de celles qui concernent les hommes.
Pressentant ce que son fils allait dire, le roi l’interrompit :
– Je n’ai rien à te cacher mon enfant, car je ne sais pas plus que ce que je m’apprête à te confier. Mon fils un oracle a prophétisé quelques jours après ta naissance que tu causerais ma perte, ajoutant que pour jamais cet événement ne se produisit, nous ne devrions offrir le gîte à l’homme aux yeux miroirs.
Effondré par le poids de la vérité, le prince s’était assis dans le grand fauteuil poussiéreux.
– Père, pourquoi m’avoir alors gardé à vos côtés ?
– Je ne me serai jamais résolu à t’exiler, ni même à ordonner ton exécution, pas plus que je ne t’aurai emprisonné dans les oubliettes du château. L’oracle m’a dit que sa prophétie n’était que l’un des possibles. Alors depuis ce temps, je dépêche sans relâche courriers et chevaliers à la recherche de cet homme que personne n’a jamais vu de son vivant, soupira le roi.
En son cœur, le fils fit alors le serment de partir et de retrouver cet homme qui était la cause de tant de malheur, afin de le pourfendre et de lever ainsi la malédiction qui l’accablait tant. Ses sœurs, plus âgées, étaient en âge de se marrer et la fin de leurs errements serait un soulagement pour leurs parents, mais plus encore le serait de mettre un terme à ce tourment, semblable à une épée tournoyant au-dessus de leur tête. En voyant briller la lueur de détermination brûlée dans le regard de son fils, le roi sut tout de sa résolution et n’entreprit rien qui eût pu l’entraver ou le décourager. Au contraire, il s’employa à lui venir en aide, en lui fournissant une monture robuste et endurante, des provisions et une bourse fort garnie. C’est ainsi que, lorsqu’il fut enfin prêt, ses parents et ses sœurs lui firent leurs adieux, avant de s’en aller, courir le vaste monde.
Les premiers temps, lorsque la curiosité aidant, l’enthousiasme tenait lieu de volonté, il n’éprouvait nulle solitude ou amertume malgré ses échecs répétés. Hélas, pareil à la flamme rugissante du pin, celle-ci éclate puis meure, sombrant rapidement dans une profonde torpeur. En effet, il avait passé de longs moments parmi les érudits et les instruits, sans que, hélas, aucun d’entre eux lui apporta la moindre bonne fortune et tous le renvoyaient vers d’autres chapelles. De royaume en royaume, des mois durant, il erra avant de renoncer à chercher du côté des lettrés, pour mieux s’engager comme bûcheron, car il avait ouï dire que les gens de la forêt étaient bien plus versés dans ces secrets.
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