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tome 1, Chapitre 5 « Le Monastère » tome 1, Chapitre 5

-- Alors, pensez-vous qu’ils puissent un jour recouvrer leurs facultés ou, du moins, nous narrer ce qui les a ainsi terrorisés cette nuit ?

L’homme, qui avait pris la parole, était drapé dans une large cape pourpre, qui ne laissait deviner que ses bras croisés. Son visage anguleux contrastait presque avec sa chevelure sauvage, aile de corbeau, qui lui courait jusqu’au creux du dos.

-- Je ne sais pas. Cependant, je suis certain d’une chose : ce n’est pas en les enfermant dans de sombres cachots, comme semblent le penser certains, que ces hommes retrouveront leurs esprits.

Vêtue d’une étole en toile écrue, le capuchon rabattu sur sa tête, rien ne pouvait faire deviner les traits de son visage. Sa voix était ferme et sèche, quant au ton qu’elle employait, il n’admettait aucune réplique.

-- Si vous le dites, Dame Nyx. Et où souhaitez-vous qu’ils soient transférés ?

Pour toute réponse, elle lui tendit un rouleau cacheté.

-- Sont-ce vos hommes qui leur ont mis ces morceaux d’étoffe sur la figure.

Celui-ci la regarde, étonné.

-- Non, je ne crois pas. Mais…ah ! Cela me revient. Le capitaine m’a parlé d’un chasseur qui les a accompagnés. Ce sera lui, qui les aura convaincu de les coiffer ainsi.

-- Un chasseur, dites-vous, murmure-t-elle d’une voix de velours.

-- Bien sûr, vos hommes n’auraient jamais eu assez d’esprit pour imaginer cela, siffle-t-elle, méprisante.

-- Vous avez dit quelque chose, Dame Nyx ?

Mais celle-ci secoue la tête et s’en alla ouvrir la cage de fer, qui retenait ces malheureux. Derrière elle, l’homme esquissa un geste.

-- N’ayez aucune crainte, commandeur. Ces hommes dorment à présent. Faites-les coucher sur des litières de feuilles et faites les transporter là où l’indiquera cette lettre.

Ce dernier l’avait déjà décacheté et en commençait la lecture. À mesure que ses yeux parcouraient le texte, il ne savait s’il devait ou non en prendre le contenu au sérieux.

-- Détrompez-vous, commandeur. Il n’y a pas de quoi rire. Regardez donc le cachet au bas de la lettre.

Celui-ci obéit et se mit à pâlir.

-- Veui… veuillez pardonner mon impertinence, madame…

-- Vous l’êtes commandeur. Maintenant, permettez que je me retire. Nous avons quelques aménagements à préparer. Ils seraient dommage que ces chers petits se retrouvent tout de suite à leur contact, murmura-t-elle en dévoilant une main d’albâtre, où scintillait à son majeur une aigue-marine, du bleu le plus pur.

L’homme posa alors un genou à terre et baisa l’anneau. Il se releva et regarda la dame s’éloigner, puis disparaître dans l’escalier en colimaçon, qui la conduirait jusqu’à la cour. S’approchant de la cage ouverte, il constata, lui aussi, dans quel sommeil paisible ils étaient plongés. Un instant, il fût tenté d’ôter l’une des étoffes, mais y renonça aussitôt. Il ne voulait surtout pas s’attirer les foudres de la dame et de son ordre. Aussi, dans le plus grand silence, il sortit à son tour de la pièce et s’en alla donner ses ordres, afin que soient préparés les couches et les transports. Quelques instants plus tard, quatre hommes entraient dans une pièce, poussant devant eux de lourdes litières. Un cinquième guidait deux chevaux de trait, aux yeux bandés. L’un d’entre eux les attacha au convoi, tandis que les autres s’occupaient de coucher les assoupis sur des couches de feuillage, ainsi que l’avait ordonnée la dame de l’ordre. Quand tout fut achevé, l’on alla quérir le commandeur, qui ordonna que l’on ouvrît les passages souterrains. Ainsi, prenant la tête de la mystérieuse équipée, ils sortirent de l’enceinte dans le secret le plus absolu, ne redécouvrant le jour qu’à quelques lieux de la ville, aux portes d’un monastère. Mais ce n’était ni le silence des méditants, encore moins le son des cloches sonnant les offices, qui les accueillit. Non, c’étaient des cris et des rires d’enfants courant et jouant, seulement troublés par quelques voix fortes de figures d’autorités. Les hommes s’étonnaient et commençaient à bruire, quand un regard terrible du commandeur les fit taire immédiatement. D’un geste, il leur demanda de l’attendre, malgré le malaise qui les emplissait. De nombreux bruits couraient au sujet de ce monastère, où les enfants étaient instruits, au lieu d’aider aux travaux des champs.

À la porte, le commandeur frappa quelques coups et la figure, elle aussi encapuchonnée, d’une sœur apparut. De l’étoffe ne dépassaient que quelques mèches cendrées.

-- Vous nous les avez amenés commandeur ?

Ce dernier hoche la tête.

-- Très bien, grince la voix de la sœur.

Et bientôt s’ouvrirent les larges portes du monastère, tandis que le commandeur et sa troupe s’avançaient. À l’intérieur, une nuée de silhouettes s’empressait à décharger les contemplateurs, hors de la litière, avant de les emporter dans le cœur du monastère. Pendant ce temps, une dame, les bras plongés dans ses manches, s’était approchée.

-- Dame Nyx, murmura le commandeur, qui s’agenouillait pour baiser l’anneau. Il en a été fait selon vos instructions. Qu’allez-vous faire à présent ?

La femme étrécit un instant les yeux, avant de se radoucir :

-- Ces hommes sont retombés dans les strates les plus profondes de leur enfance. Nous pensons qu’au contact d’autres enfants, ils s’apaiseront et pourront alors nous révéler librement ce qu’il leur est arrivé, cette nuit. Néanmoins, commandeur, gardez bien à l’esprit, qu’il n’est nullement certain qu’il recouvre un jour le leur.

Le ton sur lequel elle avait prononcé ces derniers mots le fit frissonner de terreur. Même le tintement de la bourse, qu’elle venait de sortir de sa manche, ne suffisait pas à l’apaiser.

-- Pour vos services, commandeur.

-- Merci, madame, souffla-t-il, en faisant disparaître l’objet dans les plis de son pourpoint.

-- Naturellement, vous garderez le silence, commandeur… De même que vos hommes.

Une main glacée enserrait désormais sa gorge et ce dernier n’acquiesça qu’à grand-peine. Certes, ils avaient reçu une large récompense. Mais lui savait que ce n’était pas là le prix de son silence. Sur ces entrefaites, il fit signe à ses hommes de se retirer. Ce qu’ils firent sans tarder, entraînant à leur suite l’attelage, car les chevaux renâclaient à sortir de l’enceinte, comme si une force invisible les retenait. Finalement, ils ne se calmèrent qu’une fois profondément enfoncés dans les tunnels. Le commandeur ne se posait aucune question, non plus que ses hommes, qui attendaient simplement leur part de la récompense.

De retour dans les sous-sols du château, les chevaux mis au pré, ils se retrouvèrent tous les quatre dans la salle d’armes, déserte à cette heure.

-- Bien, nous avons trente pièces d’or à nous partager. Cela nous fait donc sept pièces pour chacun, une supplémentaire pour moi, car je suis le plus haut gradé, et la dernière au pot commun. Des objections ?

Aucune protestation ne fut émise et chacun empocha son gain. Quant à la dernière pièce, elle s’en alla rejoindre le tonnelet de bière, qui s’emplissait petit à petit des largesses du commandeur. Le rituel accomplit, chacun regagna ses quartiers et le commandeur s’en fut, lui, rédiger son rapport au premier conseiller. Ce n’était qu’une affaire mineure. Mais pour que l’ordre de Styrr, par l’entremise de Dame Nyx, vienne y mettre son nez, il serait bien naïf de croire l’incident sans la moindre importance. Cependant, c’étaient là des faits qu’il se garderait bien de mentionner, car il avait bien plus à perdre que sa tête. Enfermé dans son cabinet, il se reprit à de trop nombreuses reprises, froissant et brûlant une à une ses missives. Finalement au bout de plusieurs heures de rédactions ininterrompues, il cacheta enfin son courrier. Ayant pris soin de vérifier que le moindre de ses ratés était réduit à l’état d’une cendre friable, il sortit de la pièce. Fermée à double tour, il s’en fut remettre sa lettre à son secrétaire, qui se chargerait de la transmettre à qui de droit. Et maintenant qu’il en avait fini avec ce bien pénible travail d’intellectuel, il était fermement décidé à s’offrir de quoi oublier cette détestable journée.

Vautré sur une table à l’auberge de la Sirène Vigoureuse, une ribaude à califourchon sur ses genoux, le commandeur a les yeux vitreux. Posé devant lui, une large choppe, en bois de chêne, débordait d’une mousse orange. Passablement ivre, il attrape maladroitement la choppe qui heurte avec brutalité la table, manquant de peu de répandre son contenu sur la table.

-- Ben lors commandeur, on ne tient plus ?

-- Faut croire que les beaux jours ont disparu, avoua-t-il d’une voix pâteuse.

-- Laisse-moi finir ça pour toi, qu’on aille un peu s’amuser dans les coulisses.

Et, sans lui laisser le temps de protester, elle attrapa la pinte et la vida d’un trait, éructant avec volupté pour bien marquer sa satisfaction.

-- Bah, autant le dépenser. Au moins, j’en profite, pas comme cet apôtre qui avait vendu je ne sais plus quel obscur prophète des anciens temps, vénérés par ces tribus paumées de l’est. Comment s’appelait-il déjà ? songeait-il.

La théologie n’avait jamais été sa discipline de prédilection. Le commandeur Esterias préférait,et de loin, l’art militaire. Son livre de chevet, n’était-il pas, après tout, l’Art de la Guerre de Tzun Su ?


Texte publié par Diogene, 27 mars 2016 à 13h14
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