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tome 1, Chapitre 1 « Le Serpent à Sornettes » tome 1, Chapitre 1

L’enfant courait à perdre haleine, lorsque son pied se prit dans une racine traîtresse. Étalé de tout son long sur l’épaisse couche d’humus, il sentit une brûlure au niveau de ses genoux. Se retournant, tout en se tortillant, il vit la ronce acérée dans laquelle il avait versé. Son pantalon, quant à lui, était maintenant tout déchiré et de grosses épines affleuraient au sommet de ses genoux cagneux. Il savait que sa mère, comme son père le gronderait à cause de son pantalon. Mais de cela, il n’en avait cure, car il avait entre les mains, quelque de bien plus précieux et qui valait bien plus que toutes les remontrances, que l’on pourrait lui faire. Cependant, la ferme était encore loin et la forêt profonde. Néanmoins, cela ne lui procurait nulle gêne, car par cette nuit sans lune, il y voyait comme en plein jour. Et ses parents ne se formaliseraient pas de le voir rentrer si tard, puisqu’il avait, outre cette chose précieuse entre toutes, pu vendre cette damnée pièce et en tirer un prix, encore plus honorable qu’il ne l’aurait espéré.

Assis sur une souche couverte d’une mousse spongieuse et humide, il vérifia encore une fois la présence de sa bourse dans sa besace. Elle pesait fort lourd, emplie qu’elle était des pièces d’or, dont s’était délesté le marchand. Il riait fort, car il pensait à la tête qu’il ferait dans quelque temps, une fois éventée la supercherie. Oh, il lui prendrait sûrement l’envie de prévenir la maréchaussée et, cependant, il savait qu’il abandonnerait. On ne peut calomnier impunément certaines gens. Ainsi, après avoir compté, une fois encore, tout l’or, il rangea la bourse dans sa besace. Après quoi, il ouvrit la main pour contempler une fois de plus sa merveille. Dans le creux de sa main, ce n’est qu’une petite chose brillante et insignifiante, pourtant convoitée par bien des personnes. Beaucoup lui attribuaient une foule de pouvoir comme apporter la chance ou le malheur, la guérison ou l’empoisonnement. Élixir de vie et de mort. Au travers des siècles, elle reçut bien des noms, sans que jamais on ne sut si elle exista un jour. Ce n’était qu’une légende évanescente et éphémère. À peine évoquée au coin de la cheminée, qu’elle disparaissait aussitôt dans un rideau de fumée.

Mais il l’avait trouvée. De cela, il en était sûr. Et les bruits de pas, qui n’avaient cessés de le poursuivre depuis qu’il l’avait découverte, ne faisaient que renforcer son sentiment. Il savait que la garder ainsi serait dangereux, aussi l’avala-t-il en le gobant d’un coup. Mais comme il avait du mal à l’avaler, il mâchouilla quelques fragments de mousse gorgée d’une eau glacée et métallique. Il sentit son ventre gargouiller un peu, qui redevint très vite silencieux. Entre-temps les bruits s’étaient rapprochés, avant de se taire. Sans doute n’était-ce là que de lâches brigands, détrousseurs de petites gens. Il en était presque déçu, car ce ne serait pas si amusant, et certainement moins élégant. Feignant alors de s’être perdu, il commença à tourner en rond dans la clairière, à la recherche d’une issue ; fouillant en réalité le sombre horizon de la nuit en clair obscur.

Il ne s’était pas trompé et distinguait parfaitement une demi-douzaine de silhouettes longilignes et pour certaines informes. Il lui sembla même apercevoir l’éclat d’une lame, lorsque la lune se découvrit, profitant d’une trouée entre les nuages. Hélas, il ne pouvait tarder plus longtemps et, en même temps, il y avait si longtemps qu’il ne s’était ainsi amusé. Cependant, il hésitait, car ces grands bonshommes, en plus de lui offrir un bon divertissement, seraient un bon prétexte pour expliquer son pantalon déchiré. Alors pour mieux feindre l’ignorance, il courut se réfugier dans le trou d’un arbre, qu’il venait tout juste de remarquer. Autour de lui, les silhouettes s’agitaient de nouveau et ce qu’il avait pris, tantôt, pour des éclats de lame n’était en réalité que des éclats de flammes, prisonnières de cages de métal. Il sourit et ferma les yeux pour mieux attraper les bruits, surtout le murmure qui s’échappait de leurs bouches entrouvertes. Il ne comprenait rien à ce qu'il s’échangeait. En revanche, il n’éprouvait aucune difficulté à en saisir l’essence. Ils le suivaient depuis sa sortie de la grande ville, sûrement attirés par cette chose précieuse, qui reposait au creux de son estomac. Pourtant, cela ne lui semblait pas logique, puisqu’il l’avait trouvé dans les bois, bien après avoir roulé ce marchand dans sa propre farine. Alors quoi ? Était-ce après lui qu’ils en avaient ? Il haussa les épaules. Cela lui offrirait une bonne distraction.

Pendant ce temps, les silhouettes s’étaient rapprochées et ils pouvaient presque deviner leurs traits. D’après ce qu’il entendait, ils étaient en file indienne. Sauf trois qui avançaient de front, tenant une cage de lumière au bout de leurs bras.

Tout de même, se renfrognait-il. Il avait pris toutes les précautions possibles pour que personne ne le reconnaisse. En même temps, il était si amusant de contempler ses multiples visages qui s’étalaient sur de nombreuses façades. À chaque fois, une forte récompense était promise. Cependant, jamais encore, elle n’avait été remise. Il n’aurait qu’à changer de visages, encore une fois. Après tout, cela n’avait rien de très sorcier. Néanmoins, cela ne lui expliquait pas pourquoi ces hommes lui filaient le train, depuis qu’il avait franchi les remparts de la ville. Sûrement un haruspice ou un voyant un peu plus clairvoyant, qui l’aura dénoncé, pensant touché la récompense. En attendant, la lune poursuivait son chemin et s’il ne pressait pas le train, il serait sévèrement sermonné à n’en point douter.

La souche, en fait un arbre abattu, était creuse et il n’eut aucune difficulté à s’y enfoncer et à creuse une cavité dans l’écorce, à l’aide du coutelas qui ne le quittait jamais. Au moins n’aurait-il pas à se salir les mains, cette fois. Par le trou, ainsi creusé dans la chair tendre et humide du bois pourri, il passa la tête et découvrit ceux qui le cherchaient. C’était un groupe d’une douzaine d’hommes en armes, du moins s’il en jugeait par ce qui pendait à leur taille. À leur mine inquiète et déconfite, ils avaient perdu sa trace. Et qui l’aurait reconnu, tant sa figure et sa peau sombre se confondaient avec les ombres et les buissons de rameaux. S’il n’avait été si en retard, il se serait fait certainement une joie de se vautrer dans le carnage. Cependant, s’ils étaient là sur sa trace, il serait plus sûr de ne point laisser de trace. Alors, il se contenterait ce soir de ressusciter leurs cauchemars, de ceux que l’on fait petit et que l’on garde enfoui. Et regagnant ce ventre frais de la forêt, il rampa jusqu’à l’autre extrémité, ne laissant dépasser que le bout de son nez. De là où il était, il aurait presque pu se saisir de leurs jambes et les estropier. Cependant, il était décidé ce soir à ne pas chercher querelle, aussi se contenta-t-il de les examiner. D’après leur allure, ce n’était pas des soldats de métier, leurs armes étaient négligées, alors même que les cottes de mailles étaient maculées de rouille. Aucun soldat de métier ou mercenaires ne laisserait ses effets sans soin. Il conclut alors qu’il était tombé sur un groupe de conscrits, qui appâtés par la récompense promise avait vu là une occasion d’améliorer quelque temps leur train de vie. Un regard vers leurs chausses vint le lui confirmer, elles n’étaient non de cuir, mais de lin tressé.

Dans son ventre, il sentit la chose s’agiter, se presser, comme si leur proximité l’avait éveillé. Mais il avait choisi de l’ignorer, de crainte que son estomac gronde et trahisse sa présence. Ce qui eut été fort dommage. Non qu’il n’en aurait pas pris le moindre plaisir. Mais il se serait vu obliger de les égorger, pour ensuite les dissimuler, ce qui lui aurait causé un retard plus grand encore. Heureusement, il n’en fut rien et prenant une profonde inspiration, s’imprégnant des odeurs de leur peur, il se mit à siffler en silence. Aussitôt l’un des hommes, certainement celui dont les oreilles n’étaient pas encore trop abîmées, commença à se tortiller, faisant dangereusement vaciller sa cage de lumière, qui se tenait en équilibre au bout d’un long bâton. Sur les troncs des arbres, les ombres dansaient et sifflaient, accompagnées qu’elles étaient par l’enfant caché dans les broussailles. Surpris, plusieurs hommes poussèrent des cris d’effroi, aussitôt réprimandé par celui qui marchait en tête.

– Silence poltron ! Ce ne sont rien d'autre que des ombres et le vent qui coure entre les branches.

Mais si les cris et les tremblements cessèrent, la graine de la terreur n’était pas moins en terre, dans leur cœur.

– Nous avons reçu l’ordre de le capturer vivant. Alors tenez-vous sur vos gardes !

La troupe se resserra alors, faisant cercle des cages de lumière. Hélas, où que se portaient leurs fanaux, ce n’était que pour découvrir des ombres grimaçantes et vivantes, toujours accompagnées de ce sinistre sifflement. Même celui qui semblait avoir pris la tête, ne pouvait empêcher l’infusion du poison de la terreur dans son cœur. Et lorsque s’avançant, il se prit la jambe dans une ronce traîtresse, il se figura le serpent à sornettes.

– Mange ta soupe ou le serpent à sornettes se glissera dans tes draps et te dévorera.

Combien de fois avait-il entendu cet avertissement de la part de ses parents. Une fois, il crut vraiment que ce dernier s’était coulé dans sa couche. Mais ce n’était que le chat, un vieux matou plein de puces et de hargnes, qui, surpris, avait feulé et grondé avec férocité. De cet incident, il avait toujours pris bien soin de finir sa soupe, tandis que le chat avait été banni de ses quartiers. Et à présent, le voici qui revenait, dans cette forêt, en cette nuit. L’homme sentait ses membres trembler violemment. Cependant, il ne voulait pas paraître lâche aux yeux de ses hommes, aussi, pour se donner de la contenance, aboya-t-il quelques ordres.

Seulement, aucun d'entre eux ne bougea, tous étaient paralysés par l’effroi.

Pendant ce temps le sifflement se faisait plus proche, tandis que les ombres dansaient leur infernal sabbat. Seul le diable aurait pu ainsi commander aux ombres, pensaient-ils. Et au lieu de fuir, ils restaient là incapables de bouger, prisonnier de la diabolique mélodie. Sous leurs yeux ébahis renaissaient toutes ces figures qui, jadis enfant, les terrorisaient au cœur de la nuit. Ces peurs enfantines, que l’on croit perdu dans l’oubli, lorsque l’on grandit.

Pris à son jeu, l’enfant était sorti de sa souche et dansait au milieu de la troupe aveugle. Tant et tant, qu’il faillit oublier qu’il lui fallait rentrer. Alors, presque à contrecœur, il s’en fut, non sans cesser de siffler, jusqu’à ce qu’ils eurent disparu de sa vue.

Il courait, car il lui fallait rattraper le temps perdu, même s’il savait la chose vaine. Il devinait ce qui l’attendait à son retour à la chaumière. Il espérait juste ne pas avoir à le retraverser pour conserver sa liberté. Ces hommes l’avaient suivi, mais non retrouvés. Néanmoins, il lui faudrait au moins changer ou se faire oublier. Mais qu’il le traverse ou non, il n’aurait aucun regret, car il avait trouvé quelque chose, une chose si précieuse, si merveilleuse, qu’elle en valait bien toutes les réprimandes du monde.


Texte publié par Diogene, 10 janvier 2016 à 10h34
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