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tome 1, Chapitre 2 « 2159 » tome 1, Chapitre 2

La porte s'ouvre, il y a quelqu'un de l'autre côté, son ombre se découpe sur l'aveuglante lumière blanche. On dirait une femme, difficile à affirmer derrière le masque de métal, mais les courbes transparaissant sous l'armure d'acier éclairée de lueurs bleutées ne laissent guère de doute. Pourtant, l'homme croit voir son visage, rond malgré les joues creusées, ses longues boucles brunes et ses lèvres rouges et pleines. La connaît-il ? L'a-t-il déjà embrassée ? Il lui semble que oui, mais les souvenirs s'effilochent entre ses doigts ; à peine pense-t-il les attraper qu'ils lui échappent.

Elle tend la main vers lui, la pose sur son épaule, il devrait la sentir et pourtant... Pourtant, il ne peut qu'entendre le contact, ses nerfs ne réagissent pas, ne l'en informent pas. Ses membres sont-ils paralysés ? Est-il devenu incapable de percevoir autrement que par ses yeux et ses oreilles ?

Elle le tire à elle, il sent son corps basculer en avant, vers la froide étreinte du métal.

- Bon sang, murmure-t-elle, ils ne t'ont pas loupé.

La voix est indubitablement féminine, malgré le timbre métallique, déformé par quelque appareillage ; le ton est doux, chaleureux en dépit du casque qui abrite toujours ses traits.

L'homme ressent la pression des muscles de cette étrange visiteuse, il sent son corps se lever, ses jambes se déployer pour le porter. Petit à petit, les connexions se font dans son cerveau, sa vue s'éclaircit malgré le grain étrange qui semble obscurcir ses yeux, les informations affluent dans ses nerfs, pour la première fois depuis qu'il est ici il RESSENT les choses, il est capable de se mouvoir de son propre chef.

- Lucius ? Je l'ai, dit la femme en tournant légèrement la tête. Il est dans un sale état, arrivée des renforts ?

Lucius, ce nom est familier. Un instant, l'homme imagine un grand gaillard à la peau sombre et au sourire chaleureux, avant que les souvenirs ne le fuient de nouveau. Une voix, déformée et métallique, s'élève dans la pièce.

- Ils sont déjà là, Éric les retient mais il ne tiendra pas éternellement. Vous avez un groupe cyber à sept minutes, alors bouge-toi.

- Reçu, on sera en haut dans quelques instants.

Une poigne solide soutient l'homme dans ses premiers pas chancelants. Mais rapidement, il retrouve de son assurance et s'en dégage doucement. La femme tourne la tête dans sa direction, le bandeau de lumière bleue qui lui tient lieu de regard se braque vers lui.

- Tu peux courir ?

L'homme hésite, il ne sait pas. Ses membres lui paraissent puissants, il n'a aucun mal à marcher, mais courir ? En est-il seulement capable ? Il fléchit légèrement les genoux ; pas de douleur, pas de difficulté. Il peut y arriver, il le sait à présent.

La femme le fixe toujours, il hoche la tête, elle comprend le message et s'élance dans la lumière. Il lui emboîte le pas, leurs foulées sont amples, rapides, ils bondissent à toute allure, traversent des couloirs immaculés à une vitesse folle, écartent parfois une personne en blouse blanche, l'envoient s'écraser contre la paroi. Ils ne sait pas qui sont ces gens, ni ce qu'ils lui veulent, il a simplement le temps de lire la peur et l'incompréhension dans leur regard, avant que la femme ne les projette violemment sur le côté sans même ralentir sa course.

Une porte, une série de marches, puis une autre et encore une autre, rien ne semble pouvoir arrêter le duo, pas même le battant blindé que la femme enfonce sans plus d'effort que s'il s'agissait de papier.

Ils sortent, sur le toit devine l'homme, assez haut pour être presque assourdi par le vent qui souffle en violentes rafales. Tout autour, il voit la ville, monstre de verre et d'acier paré de couleurs criardes qui rendent la nuit plus claire que le jour.

Deux cordes, tressées de métal, tombent devant eux, l'homme lève le regard vers l'étrange machine qui, dans un hurlement de fin du monde, se maintient dans les airs au-dessus de lui. La femme s'accroche à l'un des câbles, il l'imite ; à peine l'a-t-il en main qu'il s'élève droit vers les cieux, tracté par quelque poulie.

Au sommet, il découvre une petite cabine agrémentée de quelques sièges. Installé au milieu d'un capharnaüm de boutons et de leviers, un homme en armure de métal, Lucius devine-t-il. Une seconde, il revoit le grand gaillard à la peau sombre lui sourire, mais pour l'instant le pilote lui tourne le dos, tout au plus peut-il distinguer ses larges épaules et un catogan de cheveux noirs qui s'extrait du casque.

La femme le fait assoir dans l'un des siège, attache un harnais autour de sa taille. Il ne comprend toujours pas ce qu'il fait là, ni pourquoi il a choisi de la suivre. Il sent simplement qu'il la connait, qu'il peut lui faire confiance, qu'elle ne veut que son bien. Chaque fois qu'il réfléchit, ses souvenirs le fuient, seules de brèves images hantent son esprit.

Son corps se trouve soudain comprimé contre le cuir du fauteuil, tandis que le décor se déplace à une vitesse ahurissante autour de lui. La voix du conducteur résonne à ses oreilles, métallique, grave, chaleureuse.

- On va chercher Éric et on fiche le camp. Le groupe cyber sera là d'une seconde à l'autre.

L'homme ne sait pas qui est Éric, il ne sait pas ce qu'est un groupe cyber. Tout ce qui l'entoure lui paraît étranger, il ne comprend pas cet endroit ni ce qu'il fait ici. La femme est toujours accroupie devant lui, le bandeau bleu de son regard braqué sur lui, la main passée sous le siège, elle semble chercher quelque chose.

- Désolée, dit-elle, il va y avoir de l'action. Tu peux combattre ?

Combattre ? L'homme ne comprend pas. Ses membres sont puissants, il le sait, il l'a constaté durant la course effrénée dans les couloirs de sa prison, mais pourquoi devrait-il se battre ? Et contre qui ? Il ne sait pas, mais finalement cela lui importe peu. Lucius et la femme l'ont libéré, Éric, qui qu'il soit, prend des risques pour lui, il ne peut pas le laisser tout seul. S'il a une certitude à cet instant, c'est celle-là.

Il hoche la tête, la femme répond de la même manière. Elle semble avoir trouvé ce qu'elle cherchait, se redresse et lui tend une longue rapière. Il s'en empare, la soupèse. L'arme, malgré les étranges circuits qui la parcourent, est parfaitement équilibrée. Ses doigts se referment sur la garde, la lame se met à luire d'une lueur bleutée.

- Tu devrais apprécier, fait la femme, on l'a équipée d'un champ énergétique, elle peut découper n'importe quoi.

L'épée est familière, il sait qu'il l'a déjà tenue entre ses mains, sous une forme différente. Il ne sait pas ce qu'est ce champ énergétique, mais son instinct lui hurle que cette arme est la sienne, sa propriété, peut-être la seule chose qu'il possède à l'heure actuelle.

Le véhicule s'arrête brusquement, sans le harnais l'homme aurait été propulsé contre la paroi, mais la femme devant lui ne bronche pas d'un pouce. De nouveau, la voix de Lucius lui parvient comme s'il se trouvait à quelques centimètres de sa tête.

- Éric est encerclé, bougez-vous.

La femme détache la ceinture qui lui enserre la taille, il se redresse sur ses jambes. Elle le regarde, il ne voit pas ses lèvres mais sent qu'elle lui sourit. Et soudain, sans dire un mot, elle prend de l'élan et saute de la cabine ; les membres de l'homme réagissent sans qu'il n'ait à leur ordonner, il lui emboîte le pas.

La chute est vertigineuse, il doute même de pouvoir y survivre, le contact avec le sol noir est violent, fissure l'étrange revêtement, pourtant il ne ressent aucune douleur et se relève sans la moindre difficulté. Tous ses sens sont en alerte, il étudie la situation avec un calme qu'il ne se connaissait pas.

Cinq personnes en armure de métal en entourent une dernière, un véritable colosse maniant une masse démesurée comme si elle ne pesait guère plus qu'un fétu de paille. Le combat est violent, rapide, mortel. Déjà, deux des assaillants gisent sur la route dans un mélange de sang, d'huile et de pièces mécaniques.

Un des membres de ce que l'homme devine être le « groupe cyber », quoique ces mots veuillent dire, tourne son attention vers lui, brandit deux longs poignards à la lame bleutée, pas si différente de sa rapière.

Le corps de l'homme réagit à nouveau tout seul, il se met en position, présente son profil, épée levée. Il voit enfin ses doigts, son bras, ils sont revêtus de la même armure de métal que tout le monde semble porter ici. Tandis que sa lame virevolte et bloque une première botte, il se souvient.

Il a déjà tenu cette arme, affronté un ennemi qui combattait de manière semblable. Il y a longtemps, dans un autre monde. Un monde à jamais disparu.


Texte publié par Tiphereth, 24 novembre 2015 à 09h47
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