Le soleil atteignait son zénith lorsque Marcus posa enfin sa bêche et, gagnant l'ombre de la véranda, s'accorda une verre d'eau bien mérité. Le type qui lui avait vanté le sol de l'Arizona s'était payé sa tête, il n'y avait rien d'autre ici qu'une terre sèche, aride, poussiéreuse, sur laquelle faire pousser le moindre légume relevait du chemin de croix. Essuyant son front trempé de sueur à l'aide de son vieux mouchoir au tissu rêche, il contempla son œuvre, appuyé sur le manche de son outil.
Découpant la plaine brûlée par le soleil, des dizaines de minces sillons délimitaient ses futures cultures, comme autant de cicatrices laissées par le terrible combat qu'il livrait depuis des jours contre l'impitoyable nature. De loin en loin, il distinguait les rigoles destinées à amener le peu d'eau que contenait le sous-sol jusqu'aux plantes et ne put contenir un sourire satisfait : ici, sous un soleil écrasant, il luttait chaque jour pour faire pousser de quoi nourrir sa petite famille et, au vu de son œuvre, il se sentait comme le Tout-Puissant contemplant son jardin d’Éden.
Lucien aurait sans doute estimé que comparer sa dérisoire tentative de se transformer en fermier au Grand-Œuvre de Dieu avait quelque chose de risible, mais l'homme d’Église avait préféré le confort de l'Europe à l'aventure du Nouveau Monde. Parfois, après une dure journée de labeur, Marcus pensait à lui en s'attablant et récitait une prière. S'il n'était lui-même plus croyant, rendre ainsi hommage à son ami resté de l'autre côté de l'océan le mettait toujours de bonne humeur.
Le fermier improvisé soupira en rajustant son chapeau. Penser à Lucien et aux autres le rendait nostalgique, une émotion bien peu propice aux travaux des champs, aussi décida-t-il qu'il était temps de s'arrêter pour le déjeuner et poussa la porte de la maisonnette qu'il avait bâtie de ses propres mains.
Il fut accueilli par l'odeur des haricots que Maria faisait mijoter en prévision du repas de midi et alla s'installer dans son fauteuil, où il entreprit de bourrer sa pipe, petit plaisir qu'il s'accordait lorsqu'il estimait que son travail avançait bien. Tout en savourant le goût du tabac sur sa lippe, il laissa vagabonder son esprit vers les années écoulées, le chemin accompli depuis sa rencontre avec le quatuor, mais aussi à quel point ses compagnons de route pouvaient parfois lui manquer. Ici, sous l'écrasant soleil de l'Arizona, malgré la présence de son épouse à ses côtés, il se sentait souvent seul, comme amputé d'une partie de lui-même.
Marcus ne s'éternisa pas à table : manger, fumer et rêvasser lui avaient fait le plus grand bien et il se sentait de nouveau en pleine forme, prêt à dompter la sauvage nature locale.
Après plusieurs heures de dur labeur dans la chaleur étouffante, les bras et le dos endoloris par l'effort, il décida d'arrêter pour la journée. Sur le pas de la porte, fier de lui, il jeta un dernier regard à son œuvre. S'il n'avait jamais rien accompli de sa vie, la vision de ce qu'il avait réussi ici, sur cette terre ingrate et hostile, l'emplissait d'une immense joie. Et pourtant, quelque chose clochait.
Au loin, un immense nuage de poussière se rapprochait rapidement. Des cavaliers, comprit-il, et nombreux qui plus est. Ils l'avaient suivi !
̵̶̵̶ Maria ! cria-t-il par le seuil entrouvert. Va me chercher mon fusil et cache-toi !
Il ignorait comment ils avaient retrouvé sa piste, mais savait une chose, qu'il ne comptait pas se laisser prendre sans riposter. Tout en épaulant son arme, il eut une pensée pour les autres : étaient-ils en sécurité ?
Un cavalier passa dans sa mire, le temps des questions touchait à sa fin. Marcus prit une profonde inspiration et pressa la détente. Un cheval hennit tandis que l'homme s'effondrait, atteint en pleine poitrine par la balle.
Plus que neuf.
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