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tome 1, Chapitre 20 tome 1, Chapitre 20

La quille !

J’avais pensé bondir de joie ce jour-là. Et en fin de compte je demeurais sans aucune réaction.

La première fois que je me suis assis dans ce bureau aux situations familiales, j’ai regardé le calendrier à la porte.

La date de ma libération semblait si loin. Il fallait bien faire avec.

Alors j’ai attendu. Comment ai-je pu supporter de rester autant de temps à rien foutre ?

J’y ai pris goût tout simplement. Et c’était certainement la cause de mon manque d’enthousiasme. La peur d’en revenir aux responsabilités, de ne plus se contenter d’attendre, me travaillait.

Je crois aussi que je ne réalisais pas.

Toutes ces tâches sans le moindre intérêt, ce temps perdu. Ça ne pouvait pas s’arrêter si facilement. Il existait forcément en réserve une dernière arnaque, un moyen de me retenir un peu plus.

Comme à mon arrivée je passais d’un service à l’autre faire signer ma fiche de sortie cette fois au lieu d’entrée.

Tout le monde me souriait, s’inquiétait, voulait savoir si j’avais un boulot de prévu.

Bande de faux-culs ! Tous les appelés ont dû subir le même cinéma à leur sortie. Comme si cette sympathie de dernière minute me laisserait une bonne image de trouffion-land.

Je n’y voyais qu’une dernière marque de mépris à l’ égard des PAM, des Putains d’Appelés de Merde.

Seul l’entretient avec le commandant divergea un peu. Il me reconnut d’un côté une certaine obéissance, et de l’autre un « manque d’investissement ».

« Pourquoi je me serais foulé ! »

Voilà ce que je crevais d’envie de lui balancer.

« C’est vous qui m’avez amené ici. Et pourquoi ? Pour me foutre dans un coin comme un meuble. Pas une fois il vous ait venu à l’esprit de m’employer réellement. Vous m’avez pris dix mois de ma vie par caprice. »

Evidemment je fermais soigneusement ma gueule, plus que d’habitude même. La crainte d’une maladresse de dernière minute.

Le commandant me sortit encore quelques phrases bateaux dont je me souviens en vrac :

« Dites-vous que vous serez un des derniers à avoir tenté cette expérience. Ça aura été l’occasion pour vous de faire un break. Vous aurez appris le sens de la hiérarchie. Croyez-moi tout cela vous servira plus tard. »

Un brin de conviction accompagnait ces platitudes. C’était possible que le commandant y croie. Il était malin surtout lorsqu’il s’agissait de gérer et d’évaluer.

Ma dernière signature me conduisit au capitaine d’arme TULLY. Droit, et direct il se contenta de me souhaiter sincèrement bonne chance, ni plus ni moins.

Les appelés eurent droit également à leur tournée d’adieu. Rien de très émouvant.

Il ne s’agissait que de rencontres de circonstances. L’ambiance, le fait d’être dans la même merde, tout cela brisa les barrières.

Jamais en temps normal des mecs aussi différents n’auraient pu cohabiter, ni même se croiser.

L’égalité républicaine, le seul bon truc à mon avis à tirer du service militaire.

Puis une fois la libération arrivée, la fine équipe se dispersa.

Tarek avait trouvé une copine avec un appart bien avant de se barrer. Il s’en sortirait toujours. Difficile à dire s’il allait me manquer.

Son acharnement insidieux à m’obliger d’enquêter sur Hamed avait été pénible, et son idée pour nous débarrasser de Michaël efficace.

Je suppose que cela s’équilibrait. Son charisme m’empêchait d’admettre complètement, qu’il s’agissait tout simplement d’un sale con.

Didier et son bac+4 étaient rentrés à Paris, et personne ne les regrettait. Ce type méprisait tout le monde moi compris, sauf Tarek à la rigueur, parce qu’il avait une plus grande gueule que lui.

Guillaume c’était l’inverse. C’est lui qui ne nous regrettait pas. Pas un coup de fil, pas de participation à notre ultime défonce. Il était bien trop gentil, pas à sa place au milieu de notre bande de salauds.

Peut-être dans l’idée de connaître la suite, j’ai laissé mon adresse à Vincent, qui s’appelait en réalité Jean.

Jamais il ne me donna de ses nouvelles. Toutes les spéculations à son sujet sont possibles y comprit qu’il est rempilé.

Malgré nos similitudes nous ne nous étions pas devenus véritablement amis au bout du compte.

Je me demande bien pourquoi je n’ai pas fait de même avec Thomas. C’est le seul avec lequel je me serais rapproché dans un autre contexte.

Oh bien sûr j’avais des excuses de ne pas lui avoir donné mon numéro comme la léthargie de la vie de caserne, qui vous fait tout oublier.

Sincèrement Thomas constitue mon unique regret hormis mes investigations.

Alors qu’elle était la véritable raison ? Ce devait être comme Guillaume, l’envie de tirer un trait sur cette période comateuse de ma vie.

Je fourrais le contenu de mon casier dans mon sac, et allais enfin à la porte.

A un pas près j’étais dehors, lorsque retentit une voix colérique.

« Halte là ! »

Bêtement j’y crus et stoppais.

« Alors tu m’oubliais ? » Enchaîna Jérôme, qui gardait l’entrée.

Désormais ça allait être leurs tours à tous ces petits contrats de se taper les sales boulots de ce genre.

Jérôme lui y échappait. Son contrat touchait à sa fin, et il sentait trop le vent tourner pour signer de nouveau.

Il était le seul de la bande à avoir baisé l’armée. Il n’en avait pas foutu tellement plus que nous sa période de navigation mise à part, et sans toucher une solde au rabais.

On se marra juste une dernière fois ensemble, puis se quitta.

Ensuite vient les « méchants », la bande à Michaël.

Connaissais-je au moins Michaël ? Je savais qu’il était prêt à tuer quelqu’un simplement à cause d’un risque ou d’une crasse à rendre. Ce détail suffisait à le définir : une pourriture.

Prédateur, mâle alpha, racaille… d’autres dénominations et points de vue existaient.

Le mien bien que simpliste, était à mon avis le plus judicieux.

Entre l’agression, la désertion, les histoires de drogue, et les deux cadavres, ils étaient mal partis.

D’après le peu que j’en sais, ils se sont chargés les uns les autres, dans toutes les directions possibles et imaginables. Tant pis pour le prétendu code d’honneur des truands.

En bout de course ils ont tous récoltés dans les huit ans. Ça me semblait un peu léger surtout avec l’assassinat d’Hamed.

Mais le but recherché était de régler ça rapidement et en silence, pas d’être équitable.

Lucas lui je le rangerais dans la catégorie des « gentils », ne lui voyant pas d’autres places. Je n’avais quasiment rien à dire dessus, l’ayant à peine connu.

Une fois sortie du fort, le bus, puis le train, tout se joua sur quelques secondes. Comme si les circonstances essayaient de me remettre dans le mouvement, la vie réelle.

Ce n’est que dans le régional que je me remis à penser. C’était le tour d’Hamed.

Presque toutes mes véritables activités de ces dix mois avaient tournés autour de cet homme.

Et j’avais si peu à dire dessus. Un mec sympa et …. c’est tout.

En ce qui concerne sa catégorie, il s’agissait bien sûr de celle des victimes, et pas forcément que de Michaël et ses complices.

L’armée avait bien merdé sur ce coup là.

Déjà avec un enfant en bas âge Hamed aurait pu être dispensé. Et surtout parquer les indésirables ensembles sans s’en occuper, était franchement irresponsable.

On fout la poussière sous le tapis et on regarde ailleurs. Tu parlais d’une attitude.

Ça ne pouvait que partir en vrille. Le cas de Franck le confirmait.

Au milieu de mes réflexions, j’oublie Justine.

J’ai gardé le contact avec elle durant quelques temps.

Sans doute m’avait-elle contaminé avec ses grands principes ?

On ne se connaissait pas, on ne s’appréciait pas particulièrement.

Seule mon enquête nous liait, Justine par reconnaissance, et moi par remord.

Alors forcément notre relation n’alla pas très loin.

Elle se résuma à une question : « Ça va ? »

Et à quelques réponses : « Pas trop. », « Un peu mieux. », « Mieux », et enfin « Oui. »

Plus qu’une heure avant d’être arrivé à destination. Qu’est-ce qu’il m’attendait ? Rien, ni mon ancien poste, ni ma copine.

Sur ce dernier point l’armée était innocente. Par contre pour le premier c’était plus discutable.

J’aurais pu anticiper le dépôt de bilan de mon agence, et chercher une place ailleurs.

Donc si je devais résumer mon service militaire se serait : une énorme perte de temps.

Je n’y vois qu’un point positif.

L’époque des « accidents » comme celui d’Hamed, et du temps perdu est à présent révolu.

Vous trouvez toujours que ce n’est toujours pas suffisant comme compensation ?

Il faudra vous y faire. Cette histoire n’a ni morale, ni happy-end.


Texte publié par Jules Famas, 25 décembre 2015 à 11h40
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