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Septième interruption

Il n’y a rien de plus malléable qu’un sous-chef. Surtout quand on lui donne une occasion de se distinguer, et par la même occasion d’atteindre ce dernier échelon tellement frustrant.

Bien sûr ce n’était pas si simple. Un peu de présentation était nécessaire, si je voulais arnaquer convenablement le responsable en second de Mac Do à l’échelle départementale.

Ça ne sonne pas terrible dit ainsi.

« Alors mon échantillon vous a convaincu monsieur DAVET ? » Dis-je d’une voix mystérieuse.

Il faut toujours flatter le pigeon. Le persuader qu’il vit un de ses rêves, comme de jouer dans un James Bond.

« Totalement. » Admit DAVET avec un surplus de sérieux.

Il était sous le charme.

« La personne désignée s’est effectivement rendu aux deux établissements indiquées, aux jours indiquées. » Ajouta-t-il. « Mes hommes l’ont observée et constatée, qu’elle chronométrait effectivement le temps d’attente, et observait les lieux. »

Entre les trois répétitions en seulement deux phrases, et l’emploi du terme « mes hommes », j’en venais presque à croire qu’il se foutait de moi et non l’inverse.

Au premier contact sa connerie m’avait expliqué le fait qu’il ne soit que numéro deux.

Désormais je me demandais comment il était parvenu jusque-là. Enfin j’avais plus urgent à penser.

« Ça confirme que mes copies de sa feuille d’enquêtrice d’institut de sondage, et de son parcourt sont toutes deux véridiques, n’est-ce pas ? » Déclarais-je légèrement lassé de parler ainsi.

« Oui effectivement. »

« Vous achetez les autres alors ? » Rajoutais-je en brandissant ma valise avec un timbre de voix presque normal tellement j’en avais marre.

DAVET m’épargna un quatrième « effectivement » et me glissa silencieusement une petite enveloppe. Je comptais les billets histoire de faire professionnel, pendant que DAVET vérifiait le contenu de la mallette, puis partais.

Au passage la secrétaire me lança un regard noir. Elle avait parfaitement comprit qu’un mec comme moi, n’avait rien à faire dans ces locaux.

Elle était plus intelligente que son patron. Ce qui ne relevait tout de même pas de l’exploit.

Elle me rappelait, que c’était suspect de rendre à ce genre de rendez-vous fringué normalement.

Mais nettoyer la valise dégotté dans la poubelle en bas de chez moi, m’avait déjà pris du temps.

Si en plus j’avais dû acheter un costard. Je ne touchais que cinq mille francs.

Pour une somme plus importante, DAVET ou son supérieur aurait pris le risque d’avertir les flics en modifiant sûrement l’histoire préalablement.

« Il faut toujours viser petit » Comme il disait dans « C’est arrivé près de chez vous. »

La somme en poche je passais à présent à la redistribution. Déjà payer un resto à Sylvie.

Car les documents types je les avais piqués à cette véritable enquêtrice, le temps d’une photocopie.

Ensuite mon PC me permit de reproduire ces papiers en y ajoutant les parcours et les identités d’enquêteurs de mon invention.

Seul mon fameux échantillon était authentique. Il s’agissait bien évidemment des passages de Sylvie.

Avec approximativement deux heures de boulot, je m’en tirais pas mal. Je comptais me reposer un mois avant d’envisager un prochain coup.

Je vois déjà venir les accusations : fainéant, parasite…

Et quelle raison vous pousse à bosser ? Par devoir, pour mériter votre argent ?

Dans ce cas pourquoi jouez-vous au loto ?

L’argent y est acquit par hasard sans aucun risque, ni mérite. D’ailleurs qu’est-ce que les gens parlent de faire en premier s’ils y gagnent : envoyez chier leur patron.

On travaille par lâcheté, parce qu’on est sûr d’avoir un salaire qui tombe tous les mois sans la moindre vague, sans la moindre médisance.

Alors continuez de noircir du papier dans vos bureaux, et de visser des boulots dans vos usines. Personnellement je n’éprouve aucune honte.

Vous devez vous demander qu’est-ce que je viens faire là-dedans ? Ma philosophie vous vous en foutez si ça se trouve ? Chacun ses priorités.

C’était donc le lendemain de mon arnaque un samedi matin précisément, lorsque quelqu’un s’amusa à sonner chez moi. Il s’acharnait en plus. Je finis par céder et me levais.

Derrière la porte attendait un homme d’une vingtaine d’années.

C’était difficile de le décrire d’avantage : cheveux bruns, taille moyenne, corpulence moyenne, rien ne le distinguait vraiment. L’expression de son visage était également dans le ton, neutre.

« Bonjour vous êtes Lucas PHABET ? » Demanda-t-il d’un ton exagérément sérieux.

Il présenta une carte encore dans son portefeuille genre série télé américaine

« Simon BIEZ détective privé. On m’a engagé pour retrouver Hamed ABIL. J’aurais quelques questions à vous poser. »

Il était obligé de surjouer à ce point-là avec cette gravité excessive ?

Normalement dans des cas ainsi puants le malaise, je niais mon identité et prétextais un emménagement récent.

Sauf que le discourt en plus d’être lourd, était également surréaliste.

Je ne m’y connaissais guère en privé. Je savais tout de même que leurs services n’étaient pas gratos. Et je voyais mal quelqu’un payer pour retrouver Hamed.

C’était un pote d’accord. On ne pouvait pas le présenter non plus comme un VIP.

Le pire qu’il ait fait, c’était des petites magouilles avec moi, rien de bien méchant... enfin de mon point de vue.

Difficile de ne pas être intrigué dans ce genre de situation. Je matais alors attentivement la carte. Elle avait l’air authentique.

« Je » Fus le nouveau mot de son détenteur suivi par une hésitation sans doute à cause de ma méfiance flagrante.

De mon côté j’eus comme une sorte d’illumination.

« Lorient, hein ? » M’exclamais-je.

L’expression de gêne encore accentué de mon visiteur confirma mes soupçons.

« Hamed m’avait parlé d’un appelé là-bas, qui était détective privé avant. Il trouvait ça marrant. Il disait aussi que t’étais sympa. »

Ce n’était pas si dur à deviner au fond. C’était le seul lien entre Hamed et un investigateur indépendant.

Ma dernière affirmation détendit enfin l’enquêteur. Avant il ne savait pas trop à quoi s’attendre de ma part.

« Je suppose qu’elle est périmée. » Ajoutais-je amusé en pointant la carte.

Simon ne prit même pas la peine de confirmer.

Vu que la conversation allait durer, je lui fis signe d’entrer.

Il s’exécuta en hésitant toutefois.

Je décidais de détendre l’atmosphère en proposant un café.

« Tu sais. » Dis-je mettant de l’eau dans la cafetière. « Les gendarmes sont déjà passé ici pour la disparition d’Hamed. Rassures-toi je leur ai rien dit à ces connards. Toi c’est différent. T’es là pour voir comment il va ou lui filer des nouvelles de sa femme, hein ? »

Il répondit par un « oui » plutôt incertain. Je sentais même l’impression d’une certaine honte.

Je compris alors que sous la perspective d’aider ce type concurrençant les gendarmes, je m’étais quelque peu emporté.

Simon pouvait aussi en vouloir à Hamed et le chercher pour son propre compte et non des motifs altruistes.

Il était peut-être judicieux de prendre quelques précautions avant de tout lui balancer.

Je m’assis, et lui tendis une tasse de café. Je visais la familiarité propice aux confidences.

« Bon si je veux t’aider, il faut déjà que je sache où t’en es. Déjà comment t’es remonté jusqu’à moi ? »

J’abordais exprès ce sujet où il m’était facile de distinguer le vrai du faux, puisque j’en étais l’objet principal. On allait voir si un salaud se cachait derrière l’ex-privé.

Toujours dépassé par la tournure de notre rencontre, Simon ne se fit pas prier.

« Les gendarmes sont aussi passés nous voir pour la désertion. Au passage ils ont raconté qu’Hamed abusait sur les PA… perms maladies. Et sa femme s’est plaint devant moi, qu’il ne passait pas souvent.

Pourtant il devait bien aller quelque part pendant ses permissions en rab.

J’ai fait le rapprochement et creusé dedans faute de mieux.

J’ai songé au médecin, qui signait les certificats de maladie à l’insu de Justine. Il savait peut-être quelque chose.

Justine à ma demande a fouillé dans les papelards de la sécu d’Hamed et trouvé le nom du médecin. Je l’ai vu il y a une heure. Il m’a dit, qu’il l’avait fait à ta demande. »

« Quoi il m’a encore balancé ! Je comprends pour les gendarmes à la rigueur. Mais toi. »

« Le coup de la carte avec le discourt et tout, ça a marché avec lui. »

Après une petite rage intérieure à l’attention de mon con de toubib, j’appuyais innocemment sur une incohérence.

« Il y a un truc que je pige pas. Les gendarmes t’ont parlé sûrement juste après la désertion ? »

« Oui. »

« Ça date un peu. Pourquoi tu débarques seulement maintenant ? »

« Le fameux rapprochement. J’y suis arrivé, il n’y pas longtemps. »

Il aurait très bien pu prétendre avoir rencontré Justine plus tard au lieu de passer pour un crétin.

D’ailleurs l’emploi de son prénom par cet enquêteur de seconde zone suggérait une certaine familiarité.

Donc Simon était sincère avec moi et relativement proche d’Hamed.

J’étais donc rassuré sur ses motivations. Il tentait seulement d’aider un ami.

Il méritait bien quelques éclaircissements.

« Hamed passait ses congés maladies bidons chez moi. Justine se serait posé des questions, et il ne voulait pas l’inquiéter.

Par contre il ne m’a jamais raconté grand-chose sur le coin où les militaires l’avaient foutu, à part qu’il ne l’aimait pas.

Et je ne l’ai pas revu après sa désertion. Il ne m’a même pas avoué en avoir l’intention. »

« Hé merde ! » S’exclama le détective une certaine rage dans la voix. « T’étais ma seule piste. »

« Tu devrais t’adresser à Julien. »

« Qui ? »

« Un ami d’enfance d’Hamed. Il habite dans un village pas loin de Marseille. »

Je fournis d’autres noms à Simon, qui à mon grand étonnement en ignorait totalement l’existence.

En fait il connaissait à peine Hamed. Pourquoi diable se donnait-il tout ce mal, alors ?

Je me demande, s’il n’était pas tout simplement un peu con ou alors moi très égoïste.

Les deux possibilités étaient envisageables.


Texte publié par Jules Famas, 5 décembre 2015 à 18h39
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