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Deuxième interruption

C’était mon premier tour de garde de ce vendredi.

Je mettais ces putains de guêtres. Jamais je n’avais connu quelque chose de plus emmerdant que mettre en place ces lacets. J’osais à peine les tirer de peur qu’ils ne cassent une fois de plus.

Il ne fallait pas non plus oublier l’uniforme de garde made in Pierre CARDIN.

Il avait vraiment assuré là-dessus. Entre le pantalon qui s’ouvrait par le devant comme sur les combinaisons de bébé, le col à boutonner sur la vareuse, et la dite vareuse qui elle ne comportait pas de bouton, nous avions au final un uniforme difficile à mettre, à enlever, et à porter.

Quatre années de droit derrière moi et je devais m’habiller en Donald Duck.

Par chance ce déguisement ne servait qu’aux cérémonies et aux gardes. Le reste du temps nous avions une tenue de travail composée d’un jean et d’une chemise bleue. Seuls les galons aux épaulettes nous rappelaient, qu’il s’agissait de fringues de l’armée.

Une fois en tenue je pris mon Agatha Christie, et allais relayer Vincent.

Il avait dû se lever à cinq heures et demie pour sa dernière garde. Il était donc encore plus HS que d’habitude.

J’inscrivais mon nom et mon prénom sur la feuille de présence « LISON Didier » et déposais mon bouquin dans la cabine de garde au milieu des FHM, et des photos de cul.

Quitte à me répéter qu’est-ce que je foutais moi un bac+4 avec tous ces beaufs à gagner cinq cents balles par mois !

Et voilà la surveillance de la porte d’entrée commençait.

Nous nous relayions toutes les deux heures à protéger sans la moindre arme cette base contenant rien de plus important que le pistolet de l’adjudant d’arme du jour. Une arme dont on se serait pris le chien dans le visage en tirant avec.

Je n’aimais pas la surveillance du matin. C’était la seule période où je devais hors de l’espèce guérite, à cause du passage du camion de nourriture, et des allées et venues du commandant. Il fallait attendre plus tard l’occasion de lire.

J’eus tout de même droit à une petite distraction en notant mon arrivée dans le cahier.

En plus du pointage il servait à noter les différents « évènements » survenus pendant notre surveillance. Il devint rapidement évident qu’à l’instar de notre garde, ce n’était là que par principe. Donc nos supérieurs n’y jetaient même pas un coup d’œil. Seul Thomas y vérifiait le respect des tours de garde.

La déchéance ne fut pas longue à venir.

Au milieu des blagues et des dessins à deux balles se trouvait un proverbe :

« Ce que tu peux faire le lendemain, fait le faire aujourd’hui et ta place par les appelés. »

Le responsable de cette lueur d’intelligence ne pouvait être que Simon. Il était le seul à être un peu mesuré dans ses réactions sans sombrer dans le léchage de cul comme Thomas. Hélas il avait toujours cette tendance à m’éviter.

Guillaume vint me remplacer au bout des deux heures réglementaires.

Aux archives JASQUIN notre maître à tous geignait devant son canard, comme un petit vieux avec des expressions du style :

« Dans quel monde on vit. » et « De mon temps…. »

Et il n’avait que la quarantaine. Ce n’était guère étonnant au fond. Les soldats étaient dépassés, juste les résidus d’une autre époque.

« Bon tu comptes te bouger un peu le cul ? » Ajouta-t-il à mon attention.

Ce minable m’en voulait sûrement d’avoir assisté à son one-man show.

On ne pouvait guère s’attendre à mieux de la part d’un lecteur d’Azur-Matin, le journal provincial type.

Ensuite j’entamais deux heures de boulot digne d’un CAP. Il s’agissait de pousser des piles de vieux dossiers au fond d’un vieux sous-sol pratiquement sans lumière naturelle afin de laisser de la place aux nouveaux. Un travail qui n’exigeait aucune réflexion, ni savoir-faire. En résumé exactement le genre de besogne, que je m’étais toujours efforcé d’éviter.

Puis j’en revenais au poste de vigile. Au passage je piquais le journal de JASQUIN à moitié par curiosité, à moitié pour le faire chier. Avec un peu de chance cela provoquerait de fausses accusations et foutraient la merde.

Je réveillais Guillaume, et prit sa place. Une drôle d’odeur planait dans la cabine de garde. Etait-il niqué de la tête à ce point ?

Putain ce que j’en avais marre de ces abrutis, et de ces tâches abrutissantes voir inutiles !

En survolant d’un œil la feuille de choux azuréenne, je tombais sur l’encart qui avait dû tant perturber JASQUIN.

« Découverte du corps d’un jeune appelé du contingent dans un squat à Toulon. »

J’ai tout de suite envisagé le pire et suis allé à la page de l’article. La victime se nommait Robert OSMAN, et était mort d’une overdose.

La rue où il avait été apparemment transporté se trouvait dans « un quartier à forte concentration maghrébine », comme le faisait très innocemment remarquer ce charmant journal absolument objectif.

Sur le coup j’étais rassuré que ce ne soit pas le déserteur de Simon. Allez savoir pourquoi ? Je ne le connais même pas ce type.

Puis je lus la suite. Sans doute dans l’intention de se dédouaner, l’armée avait lâché quelques éléments accablant le mort.

Il était un des fameux résidants de Malbousquet et fiché comme déserteur. Sa disparition remontait à un peu de temps avant la venue des gendarmes chez nous.

Donc Hamed et lui avaient très certainement disparu ensemble.

Ils se camaient peut-être tous les deux ? Hamed avait assisté à sa mort, planqué le corps pour éviter les problèmes, et paniqué au point de disparaître.

Ça tenait la route. J’aurais peut-être dû tenter une école de police une fois libre ? Bien que fréquenter des abrutis en uniformes, j’avais déjà donné.

A cause de la garde je finissais plus tard que les autres partant déjà en weekend. Ça me rappelait lorsque j’étais collé et voyais les autres élèves se barrer. Sauf que présentement je n’expiais une connerie. C’était purement arbitraire.

Soudain je vis Simon accompagné de Vincent. Sa présence me coupa l’envie d’annoncer la nouvelle. Comment Simon pouvait-il fréquenter ce zombie ?

Et puis si c’était pour se faire encore jeter. De toute manière j’en avais assez que Simon me snobe à sa façon.

Finalement je décidais de la fermer là-dessus. Et même dans ce lieu de glandouille, je savais encore me contrôler contrairement à d’autre.


Texte publié par Jules Famas, 6 novembre 2015 à 19h31
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