Ashton
Je n'aime pas ma chambre. Les oursons débiles qui me fixent m'insupportent, l'étroitesse de la pièce me rends claustrophobe, et par-dessus tout, je hais l'exposition. Ma fenêtre donne en plein sur la maison voisine, et tout les soirs j'ai droit à des disputes qui n'en finissent jamais. Il y a toujours des cris dans cette baraque, parfois des pleurs, mais c'est rare. Et puis il y a des portes qui claquent ou des objets qui se fracassent. Je ne comprends jamais les propos échangés, alors je ne peux connaître les motifs de ces disputes répétitives. Mais elles m’agacent. J'aurais bien aimé avoir la deuxième chambre, celle qui donne sur la maison de Mr Newman, le pasteur, et de sa femme. Au moins, chez eux c'est tranquille, et puis certaines fois l'odeur des cakes aux citrons de Mrs Newman parviennent jusque dans la chambre. Mais je ne peux pas me résoudre à prendre possession de cette pièce. Je n'ai pas le courage d'affronter les souvenirs dont elle regorge, et puis mes parents me l'interdiraient. Je ne suis pas en mesure de demander quoi que ce soit. J'ai un toit et de quoi manger, je m'estime heureux. Même si les plaintes d'à côté me donne parfois des envies de meurtre. En bas, le bruit des assiettes qui s'entrechoquent me parvient, et je sais qu'il est l'heure de manger. Je passe d'abord me laver les mains, puis je descends les escaliers et me dirige vers la salle à manger. Elle est située vers la maison du pasteur, et donne la vue sur le jardin amoureusement entretenu par ma mère. Avec mon père ils sont déjà attablés, et ils ne me regardent même pas lorsque je m'assois à mon tour. Je m'empare d'une pomme de terre cuite au four dans le saladier qui repose sur la table, puis je prends un morceau de viande à la couleur épatante. Le goût l'est tout autant. C'est quelque chose de parfaitement étonnant, et de... Dégueulasse. Il n'y a pas d'autres mots. Je comprends rapidement que c'est un faux steak au soja, et lorsque je jette un regard interrogateur à mes parents, aucun des deux fait mine de me répondre. Je laisse alors de côté cette immondice, et mange ma pomme de terre, qui heureusement, est une vrai pomme de terre. Nous mangeons dans le silence. C'est comme ça depuis que je suis revenu, il y a presque un mois. Et je ne peux en vouloir à personne. Je garde les yeux rivés sur mon assiette tout du long, et je me resserre en légume, puis mon père se décide à prendre la parole.
« -Écoute Ashton, je ne suis pas sûr que le lycée soit une bonne idée.
-Pourquoi ? Les études sont importantes, tu me l'a toujours dit. Et puis je veux avoir mon diplôme pour pouvoir aller à l'université.
-Ashton ! Son ton monte. Aucune école ne voudra de toi après ce qui est arrivé à Cory. Sa voix se brise et le silence s'installe de nouveau. Tu devrais prendre un travail, pour pouvoir t'assumer. Ta mère et moi ne sommes pas prêt à te donner asile très longtemps.
-Mais... »
Je ne sais pas quoi répondre à ça. Après plusieurs semaines où je me suis senti invisible, ils m'adressent la parole pour me dire des choses dans le genre. Soudain, je n'ai plus faim. Je prends mon assiette et mes couverts, et débarrasse mon coin de table. Je fourre mes affaires dans le lave-vaisselle, puis monte dans ma chambre. La fenêtre restée ouverte diffuse mon programme de divertissement journalier, et je me dis que je préférerais me disputer avec mes parents plutôt que de ne pas exister. Je repense aux paroles de mon père. Elles sont dures, et elle me blessent profondément. « Aucune école ne voudra de toi. ». C'est cruel. Mais il y a un fond de vérité. Quel est donc mon avenir désormais ? Quand j'étais en prison, je ne songeais qu'au jour de ma sortie, et non pas ce qui aurait pu se dérouler après. J'aurais dû. Il aurait fallu que je sois préparé à ça. Que vais-je bien pouvoir devenir ? Depuis tout petit, mon rêve est de devenir astronome. J'adore les étoiles. Je me pose mille et une questions sur l'univers et les lois qui le régissent. J'aimerais découvrir l'un de ses secrets. Je ne pense pas que je me lasserais de l'observer tout les jours. Parce qu'au final je m'y sens bien, comme si c'était là où était réellement ma place. Lorsque je colle mon œil à mon télescope je suis seul avec ce vaste monde dont nous ignorons tout, et puis mes soucis et mes pensées parasites s'envolent. Je me sens infiniment petit devant cette vaste étendue. Et j'aime cette sensation. Mais quand le verdict est tombé, il y a déjà cinq ans de cela, tout s'est écroulé autour de moi. Il n'y avait aucun télescope en prison, et mes parents ont vendus le mien. C'était le seul objet auquel je tenais, et ils me l'ont enlevés. Bien sûr, je ne peux pas leur en vouloir. Je leur ai enlevé bien pire.
J'ai toujours bien travaillé à l'école, car j'ai toujours su qu'astronome rimait avec résultats excellents. Même en prison, j'ai continué à suivre assidûment des cours. C'est pour ça que je suis pressé de rentrer au lycée demain. Pour vérifier que je suis bien à jour dans le programme, et pour prouver à tous que ces années ne m'ont pas affaiblis, mais plutôt endurci. Et après ce que viens de dire mon père, je commence à douter. Le lycée a bien voulu de moi, mais qu'en sera-t-il des universités ? Je commence à croire que je n'atteindra jamais mon objectif, et que je risque de finir caissier dans une supérette de station service- dans le meilleur des cas. Peut-être que mon emprisonnement me coupera de toutes mes ambitions. En fait, c'est certain. Pour la première fois depuis le procès, je m'autorise à m’apitoyer sur mon sort. Je suis totalement perdu, les êtres qui me sont chers me détestent ou se sont envolés. Je repense à mon père, avant tout ça. Je revois sa fierté lorsque je lui énumère toute les constellations, ou quand j'amène un très bon bulletin. Je me souviens de ces encouragements à poursuivre mon but, et à me motiver pour travailler sans relâche. Je me rappelle aussi lorsque – début adolescent – je ne prenais plus trop les études au sérieux, et qu'il me répétait que les études étaient la clés d'un avenir radieux. Malheureusement, un stupide accident est venu tout gâcher. J'ai perdu mon frère, mes parents ne peuvent plus me voir, j'ai passé cinq années en prison pour mineurs, et les clés me sont passées sous le nez. Je voudrais réussir à évacuer tout ça, mais depuis l'annonce du décès de mon frère, je n'arrive plus à pleurer. J'ai tenté, au cours de ces années, d'extérioriser ma souffrance. Mais c'était peine perdue. Je n'y parvenais pas, ce qui me rendais fou de rage envers ma propre personne. J'ai toujours pensé que pour être mature et viril, un homme ne pleurait pas. Je me suis si souvent retenu lorsque j'étais gamin, car pour moi il n'y avait que les filles qui pleuraient. Et maintenant que je ne suis pas en état de le faire, je regrette de ne pas avoir verser mes larmes quand j'en ai eu l'occasion.
Les cris ont cessés, il n'y a bientôt plus un bruit chez la maison d’à côté. Je ne sais pas si l'un des deux partis à abdiqué ou pas, mais cela semble en avoir pris le chemin. Cela fait cinq minutes que je suis dans le silence, et je sais, par expérience, que le pire est passé. Au delà de ces cinq minutes, la dispute est fini. Sinon, elle reprend souvent au bout de deux minutes. Je me sens mieux, sans ces cris étouffés. Et je suis certains que mes voisins aussi. Je profite de ce moment de répit et je prie silencieusement pour que cette dispute soit la dernière de la soirée, et pour que plus rien ne vienne troubler cette bulle dans laquelle je me trouve. Je crois que je me sentirais mieux si je parvenais à pleurer, mais on ne peut pas tout avoir. Et puis d'un coup, l'espace d'une seconde un bruit a bouleversé tout ça. Ça a été court, rien qu'une seconde. Puis un deuxième a suivi, ainsi qu'un troisième. Et puis une musique s'est élevée dans les airs. Lente, harmonieuse, mélancolique. Magnifique. Elle correspond à l'état dans lequel je me trouve, et je sens qu'elle accède aux parties brisées de mon âme. C'est tout simplement magique. La mélodie atteint mon cœur, et c'est comme si je le sentais. Je n'avais pas prévu de pleurer, je pensais avoir rejeté l'idée, mais maintenant je ne peux plus m'arrêter. J'en suis très surpris Je sanglote avec force, mes larmes roulent, et sur le moment je me sens détruit. J'espère que ce sentiment va passer. Car, à cet instant, je n'ai qu'une seule envie : rejoindre mes étoiles bien aimées.
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