Hailey
A peine ais-je franchi le seuil qu'une forte odeur de joint me parvient. Automatiquement, je tousse. Je ne pense pas me faire un jour à cette attaque olfactive. De la vapeur s'élève dans les airs, et tourbillonne juste en dessous des plafonds. J'ouvre les fenêtres pour aérer un peu, mais Danica, la femme de Sean – et accessoirement ma mère adoptive – attrape la poignée avant moi.
« -J'ai froid Hailey, laisse fermé s'il te plaît.
-Mais on ne vois plus rien.
-Tu deviens aveugle ma chérie ? S’enquiert-elle, très inquiète. »
Je comprends derechef qu'elle est sous l'emprise de la drogue, alors je la laisse tranquille. A l 'étage, Brana et Eryk, les enfants du couple, sont en pleine dispute. J'entends Eryk crier à sa sœur de lui avancer de l'argent, mais celle-ci refuse. Un bruit sourd suit son refus, et il ne me faut pas longtemps pour comprendre qu'ils en sont venus aux mains. Eryk et Brana sont aussi accros aux substances illicites que leurs parents, et le fils recopie les manières violentes du père. J'ai atterri dans une famille de fou. Mais au moins j'ai la paix, ils ne font pas attention à moi – tant que je n'interviens pas dans leurs conflits. Le premier soir de mon arrivée, j'avais décidé de ne pas me mêler à mes frères et sœurs de substitutions, afin de ne pas m'attacher à qui que ce soit. Mais je ne crois pas, au vue de leur pratique, que nous aurions pu devenir proches. Quoiqu'il en soit, ils s'étaient tapé dessus ce même soir, et, comme je déteste la violence, j'avais tenté de les séparer. Résultat, je m'étais pris un coup dans le nez de la part d'Eryk, et Sean m'avait frappé le dos avec sa ceinture, en me faisant comprendre que plus jamais je ne devais faire ça. Je ne sais même plus ce qui m'avait le plus choqué. Le fait que ce frère et cette sœur se haïssent à ce point ? Que leurs parents n'interviennent pas ? Pire, qu'ils punissent quiconque se mêlerait de leurs affaires ? J'avais pleuré en silence dans la chambre qui m'avait été attribuée. J'étais à deux doigts d'appeler Susan pour lui raconter la vérité, qu'elle m'extirpe de cette situation, et qu'elle me transfère dans une autre famille. Mais j'avais honte. Et puis Danica était venue me trouver, et sans un mot, elle m'avait prise dans ses bras, tout en caressant mon crâne. Ce geste avait été si surprenant, mais tellement maternel que je m'étais dit que je ferais un effort. J'ai laissé Eryk et Brana régler leurs affaires, et bien que je sois ignorée, je me sentais mieux. Je me dit que je pourrais tomber sur une famille avec des enfants sympas. Tout ce que je voulais éviter. Je refuse de m'attacher à des personnes pour que l'ont soit séparés quelque temps après. Depuis mes trois mois passés ici, j'ai eu quelques discussions avec Brana lorsqu'elle était clean, Eryk ne m'a jamais adressé la parole. Quand elle n'est plus stone, Danica a quelque intention protectrice à mon égard. Cependant, je n'ai jamais réussi à éviter les coups de Sean. Mais si c'est le prix à payer pour me retrouver seule, alors il vaut le coup.
Je me rue dans la salle de bain et me débarrasse de mes vêtements. J'ai l'impression de sentir la bière, comme si ce Reeve m'avait imprégné de son odeur corporel. Je me place sous le jet d'eau, et quand l'eau chaude ruisselle sur mon corps, je me sens un peu mieux. Je souhaite évacuer tout ce qui me rappelle l'épisode de tout à l'heure. Mais je sais que ce souvenir va rester gravé en ma mémoire. Il y a quatre mois, je ne pensais pas qu'un tel truc aurait pu m'arriver. J'étais une fille comblée, dans une famille d'accueil heureuse et aimante, et même si je n'étais pas populaire, j'étais bien intégrée. Je ne traînais pas avec des gens qui possédaient une mauvaise réputation. J'évitais les alcooliques et les fumeurs. J'avais des notes correctes, mais ne cherchais pas à exceller. J'étais un individu banale, mais suffisamment entourée pour être protégée contre des types comme Reeve. Je frottais là où sa main s'était posée, et remerciais le ciel qu'il n'est pas atteint ma culotte. Par contre, je n'arrivais pas à supprimer cette odeur de bière et de sueur qui me donnait des haut-le-cœur. Je crois que c'est juste psychologique, mais ça me dérange. Je regarde mon poignet gauche et remarque qu'un bleu est déjà en train de se former. Super, la rentrée est demain, et il va falloir que je dissimule cette marque. Malgré la chaleur, je vais devoir opter pour un gilet à manches longues. De toutes façon, je ne porte presque plus que cela. Je laisse couler l'eau un peu plus longtemps, mais les coups que Danica porte sur le mur me forcent à fermer le robinet. Je m’enveloppe dans une serviette humide, ce qui m’énerve. J'ai horreur de devoir m'essuyer avec une serviette déjà mouillée. Surtout que je ne connais pas l'identité de celui qui l'a utilisé avant moi. Je me sèche tant bien que mal, puis j'enfile mon pyjama en coton. Je me sens un peu mieux, propre et dans des vêtements amples, mais cela ne suffit pas à me faire oublier ce qu'il s'est produit au garage de Sean. Je m’assoies alors par terre, le dos contre le mur, puis je ramène mes genoux contre ma poitrine. Ma tête repose sur mes jambes, et je tente de pleurer, mais aucune larmes ne me vient. J'ai beau avoir été humiliée et frappée, mon esprit ne juge pas cela assez suffisant pour laisser échapper quelques larmes. Ou peut-être est-ce parce que j'ai trop pleuré ces derniers mois. Je ne suis pas une pleurnicheuse, ni une chochotte. Les éléments qui composent ma vie m'ont rendue forte et solide. Mais quand mon monde s'est écroulé, j'ai basculé avec lui, et je n'ai personne pour pouvoir me remettre sur pieds. Je ne reverrais sans doute pas l'ancienne Hailey, mais je ne suis pas sûre d'en avoir envie. Cette fille là ne me donne pas l'impression d'avoir existé. Elle me paraît lointaine, et même parfois, imaginaire.
L'inconvénient dans une maison sans serrure, c'est que vous n'avez aucune intimité. Brana entre dans la pièce, l'air furieuse, puis elle m'aperçoit et elle s'apaise un peu.
« -Désolée, me dit-elle, je ne savais pas que tu étais là. » Elle s’apprête à repartir mais je la retiens. Elle a une entaille sur le front qui saigne, je ne peux pas la virer sans soins.
« -Reste, je chuchote.
-Merci. »
Le silence, que j'apprécie d'ordinaire, me gène, et je sens qu'il faut que je parte. Brana cesse de me dévisager, puis elle imbibe un coton d'alcool et l'applique sur sa blessure. Je la vois frémir, et elle est soudainement pâle. Elle tombe au sol et je la rattrape. Heureusement, elle est encore consciente.
« -Eryk n'y est pas allé de main morte, je me surprends à prononcer mes pensées à voix haute.
-Ouais. Il m'a fracassé la tête contre le mur. Je vais avoir une bosse le jour de la rentrée. » Elle se tourne vers mon poignet. « Et toi un bleu.
-Mais c'est plus facile à cacher, je rétorque.
-C'est sûr. » Elle m'offre un petit sourire puis j'entreprends de m'occuper de son front. Je la laisse à terre reprendre ses esprits, puis je m'empare du coton, et j'entreprends de nettoyer sa blessure. Je tire les cheveux épais cuivrés qui lui tombent sur le visage, et j'applique doucement mon coton. Au début, elle tressaille, mais elle se calme un peu. Quand j'ai terminé elle m'accorde un regard reconnaissant, et je décline d'un geste de la main, pour lui assurer que ce n'est rien. Entre battues, on se soutient.
« -Je suis désolée, dit elle alors que je m'en vais.
-De quoi ? Je lui demande.
-Que mon père te fasse subir ça. Tu sais, il a toujours été comme ça, sauf que c'est maman qui subissait tout. Quand on faisait une connerie, elle nous défendait pour nous protéger. Elle ne voulait pas qu'il nous touche. Elle a fait en sorte que nous ne soyons pas des enfants battus, et nous avons eu une scolarité banale. Elle nous forçait à nous surpasser pour que nous puissions nous barrer d'ici avec un diplôme. Mais quand il s'en est rendu compte, il est devenu furieux, et il a commencé à nous frapper. Eryk est devenu comme lui, mais ne lui en veut pas. Il échappe aux coups comme ça. Mais toi tu n'as rien fait. Tu ne mérites pas ça. Alors je suis désolée. »
Je ne sais pas quoi répondre à cet aveu. Et je ne pense pas que Brana attende une réponse de ma part. Je pense juste qu'elle est arrivée à un point où elle est aussi seule que moi, et qu'elle cherche à se confier. A vider son sac sans rien attendre en retour. Peut-être que je pourrais vider le mien, un jour, mais je ne me sens pas prête. Le fardeau que je porte est certes lourd, mais il est personnel. J'accepterais de l'alléger quand je m'en sentirais capable, ce qui n'est absolument pas le cas. Après les paroles de Brana je pense à leur famille, avant que j'arrive. Des enfants qui regardent leur mère se faire battre sous leurs yeux pour les protéger. Quelle tristesse. Je me sens soudainement abattue, et d'une tristesse sans nom. Je n'ai pas faim, alors je me dirige directement dans ma chambre. Ici nous prenions rarement des repas tous ensemble. Danica fume trop pour avoir faim, Sean rentre très tard – ou tôt, selon les points de vue – Eryk reste enfermé dans sa chambre, de même pour Brana. Chacun se cuisine sa nourriture, et mange quand bon lui semble. Enfin, a des heures précises émises par Danica qui se sert ensuite de la cuisine pour inhaler ses substances.
A ce sentiment de dépression, s'ajoute l'anxiété. Demain c'était la rentrée, et ça m'angoisse. Je ne connaîtrais personne, mis à part Hazel, et je ne suis pas sûre qu'elle souhaite être vue en ma compagnie, ce dont je ne peux la blâmer. Hazel est le genre de nana propre sur elle et sans histoire. Elle n'est pas particulièrement riche, mais elle ne manque de rien, et sa famille est très croyante. Avec mes cheveux roses je dois représenter la fille du diable. Elle a été bien aimable de me présenter le quartier. Deux maisons nous séparent, et elle m'a repéré lors de mon arrivée, et m'a apostrophé avant de se rendre compte que Sean m'accompagnait. Mais comme elle ne pouvait plus reculer, elle m'a donner rendez-vous chez elle le lendemain. Par charité chrétienne elle m'a offert une part de tarte au pomme maison – délicieuse, cela va sans dire – puis elle m'a fait visiter les alentours. Elle m'a avoué que les Murphy étaient un peu les loups blancs de Dalton, et que Sean lui faisait une peur bleue, comme à tout les gosses du quartier. Nous ne nous sommes parlé qu'une seule fois, et bien qu'elle soit sympathique, je ne veux pas lui imposer ma souffrance. Puis, quand je me suis rendue compte que je ne savais pas comment me rendre à Atlanta elle m'a tout expliqué et m'a même emmenée jusqu'au bus. Je ne sais pas quel comportement adopter. La snober ? Lui dire bonjour, et basta ? Je verrais bien comment elle, elle réagira. Avec un peu de chance elle m'ignorera, et je pourrais faire de même de mon côté.
Je me jette sur le lit une place qui touche le mur jaune décrépi. J'estime avoir de la chance de posséder une chambre assez correcte pour moi toute seule. Mais bon, sans ça j'imagine que Sean et Danica n'auraient jamais pu m'accueillir. J'ai très peu de meubles. Juste un lit, un bureau, et une armoire. Tout mes livres sont encore en cartons, faute de posséder une bibliothèque. Il en est de même pour mes babioles. Je ne veux pas rendre cette chambre personnelle. Elle n'est pas à moi. Dès que j'aurais mon diplôme à la fin de l'année je me taillerais d'ici, quoiqu'en dise Susan ou même Sean. Par contre mon violoncelle repose toujours contre le mur, tout près de l'armoire. Ça fait trois mois que je n'y ai pas touché. Il me rappelle trop l'ancienne Hailey. Celle à qui tout souriait. Mais ce soir là, il m'appelle. Et je le trouve très attrayant. Doucement, je m'en saisis, puis je le dépoussière un peu – il va falloir que je lui trouve un étui, j'ai perdu l'autre. Je fait quelques notes, j'ai peur d'être rouillée depuis ce temps. Mais tout me revient très vite, alors je laisse mes mains faire glisser l'écrin sur les cordes. Je ne réfléchis plus à rien, je me laisse emporter par la mélodie. Sans le vouloir, j'ai choisi un morceau lent qui reflète mon état. Et je continue, encore et encore, ravie d'entendre de nouveau ce son si merveilleux qui m'avait tant manqué. Et enfin, la musique opère son charme, mes larmes gouttent sur mes joues. Elles se suivent, tellement nombreuses, mais je ne m'arrête pas, au contraire. J'ai besoin de sentir cette émotion plus en profondeur. Je ne fais plus qu'un avec mon instrument : nous sommes une peine immense si difficile à combler.
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