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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

CHAPITRE 1 :

Hailey

La vie, ça craint. Je devrais faire de cette phrase une citation, et la déposer à mon nom. Hailey Shepard, le 2 septembre 2013. Malheureusement, je crois qu'elle est déjà prise. Tant pis, mon succès viendra plus tard. Si je survis jusque là. Je lève mes yeux vers l'horloge fixée sur un mur en bois, et remarque qu'il est déjà quinze heures. Il ne me reste plus qu'une demi-heure, et je vais enfin pouvoir partir. Face à moi se trouve Susan Beaston, une quinquagénaire noire aux yeux glaçants. Je déteste quand elle me fixe comme ça. Ses yeux sont froids, et elle me donne l'impression de souffler sur le peu de vie qui m'anime. Je ne sais pas vraiment quel est son rôle – je ne me suis jamais questionnée sur la manière dont tout fonctionne ici. A vrai dire, j'étais jeune quand j'ai été retirée de la garde de mes parents. Et je me suis rapidement perdue entre tous ces adultes que je devais voir. Je sais que Mr Benett est le juge, que Mrs Sharpe est ma psy, mais Susan, je n'ai aucune idée de sa fonction. Assistante sociale, peut-être ? Mais je n'en suis pas sûre. Elle est toute à la fois flic, psy, juge ou même avocat. En tout les cas, je n'aime pas nos rendez-vous. Ce n'est pas contre elle – mis à part ses cheveux toujours sales – elle ne m'a rien fait. C'est plutôt les sujets qu'elle aborde qui me déplaisent. Et comme chaque début de mois, je n'échappe pas à nos rendez-vous mensuels et ses horribles questions. Et comme il vient d'y avoir un nouveau transfert, j'ai droit a de plus longues plages d'horaires. Comme c'est généreux.

« - Ta nouvelle ville te plaît ? Elle réitère pour la sixième fois sa question. Et pour la sixième fois, je hausse les épaules. Elle semble perdre patience. Elle se redresse, souffle- tout en me fixant – puis change de tactique.

-C'est une nouvelle couleur de cheveux ?

-Ça se voit, non ? Je n'aime pas être agressive ; mais sa question est vraiment idiote.

-J'aime bien, réponds-t-elle simplement. » Bien sûr qu'elle déteste. Ce rose pastel qui entoure désormais mon visage m'attire les foudres des adultes, ces gens si saints. Et je sais qu'elle n'y fait pas exception. Je suis même certaine que pour elle, c'est comme si je venais de brûler une église. Sacrilège ! Mais je m'en tape. J'ai souvent suivie les indications de ces êtres supérieurs, et voilà où ça m'a menée. Je préfère faire à ma façon. De toute façon ça ne peux pas être pire.

« - Tu manges bien au moins ? Tu me paraît plus maigre.

-C'est un compliment ? Je ne veux pas répondre à la question qu'elle vient de sous entendre.

-Tu es une jolie fille, Hailey. Mais tu deviens trop maigre. Et tout ces artifices ne t’embellissent pas.

Elle avoue enfin qu'elle n'aime pas ma nouvelle couleur de cheveux.

-Ça a le mérite d'être clair, fais-je mine d'être vexée, ce qui l'agace.

-Comment te sens-tu dans ta nouvelle famille ? Les Murphy te traitent bien ? » Et bien voilà, elle exprime clairement le fond de sa pensée. Mais je ne vais pas lui faire le plaisir de répondre à sa question.

« -Oui, je prononce en accrochant son regard.

-En est-tu certaine ?

-Oui, je répète. »

Elle me regarde d'un air suspicieux. Je ne peux pas lui dire la vérité, ça empirerait les choses. Et je suis devenue assez douée pour mentir. Mais j'ai encore besoin d’entraînement avec Susan. Toujours les lèvres pincées et le regard sceptique, elle se tourne vers l'horloge et me regarde de nouveau.

« - Nous avons fini. On se revoit le trois octobre.

-Bien, je m'empare de mon sac à dos, puis me lève avec précipitation. Je vais enfin quitter cette pièce oppressante.

-Et, jeune fille, reprends-t-elle.

-Oui, je me force à me tourner, la main sur la poignée.

-N'oublie pas ton rendez-vous avec Mrs Sharpe. J'ai remarqué que tu n'y étais pas allé depuis un bon bout de temps. J'ai fermé les yeux dessus, mais maintenant il est temps de reprendre les bonnes habitudes.

-Ça marche. »

Et je quitte la pièce sans un regard en arrière. Une fois dehors, je me sens mieux. J'ai l'impression de me libérer d'un poids. Mes épaules sont plus légères, ma gorge se dénoue et l'air pénètre avec plus de facilité dans mes poumons. J'essuie sur mon jean mes paumes moites, ce qui laisse quelques traces qui disparaissent bien vite sur le tissu noir. Susan a raison sur un point : j'ai perdu quelque kilos, et mes affaires sont trop grandes. Malheureusement, je n'ai aucun moyen de m'en payer des plus convenables. Et ce ne sont sûrement pas Sean et Danica qui m'en fourniront de nouvelles. En parlant de ma famille d'accueil, ils ne sont pas là. En sortant du cabinet, j'ai machinalement cherché des yeux la Chevrolet bleue avant de me rappeler que ce temps là est révolu. Je resserre ma veste en cuir, replace mon sac sur mon dos et entame ma marche. Mes converses prune usées à la corde me font mal aux pieds, et en plus je ne sais pas quel chemin prendre. C'est la première fois que je me rends chez Susan depuis le transfert. Bien que j'ai vécu pendant dix ans de ma vie, ici, à Atlanta, j'en découvre encore plus depuis que j'ai quitté la ville. Avant, je ne me souciais pas de comment me rendre à un endroit, on m'y conduisait. Mais maintenant que je suis livrée à moi même, je suis complètement paumée. Je ne sais pas du tout où me diriger pour atteindre le bus qui me ramènera jusque Dalton. A l'allée, j'ai payé un taxi, mais je n'ai plus d'argent sur moi. Et dans le véhicule, je n'ai pas songé un seul instant de me souvenir du chemin tant j'étais heureuse de me retrouver en terrain familier.

Une pensée me pousse à me rendre dans mon ancien foyer, mais je ne peux me permettre de briser les règles. Les choses risquent de s’aggraver, et ce n'est nullement mon intention. Et puis je songe à toutes mes connaissances d'ici, mais vu la façon dont s'est déroulé mon départ, je ne pense pas que ce soit une excellente idée. Alors je m'en remets à moi même et à la chance. Au bout d'un certain temps- je n'ai pas regardé l'heure depuis mon départ du bureau de Susan – je repère un panneau indiquant la gare, et en continuant mon chemin, je me retrouve dans une rue connue. Alors je progresse, l'esprit plus léger, et j'atteins la gare sans encombre. Là, j'apprends que je dois attendre trois-quart d'heures avant que le bus ne parte. Sans hésiter, je visse mon casque sur mes oreilles, puis monte le volume de ma musique. Je ferme les yeux quelques instants, je savoure ce qui me parvient dans les oreilles. Quand enfin cette interminable attente se finit, je me fraie un chemin parmi les voyageurs, dans le but de monter dans les premiers, et avoir le luxe de choisir ma place, et d'être côté fenêtre. Un groupe de papys me lance des regards courroucés quand je me place devant eux, mais je ne relève pas. Je ne suis pas insolente. En vérité, je respecte les personnes âgées. Mais je ne veux pas me retrouver côté couloir à côté d'un inconnu. Hors de question. Je parviens à me trouver une place au milieu du bus, et je dépose mon sac sur le siège à mes côtés afin de faire comprendre aux passagers que je compte rester seule. Bien évidemment, s'il ne reste plus de place exceptée la mienne, je ferais un effort. Mais le bus n'est pas totalement rempli. Il démarre lorsque le dernier voyageur est installé, puis nous filons jusque Dalton. J'augmente le son lorsque les papys débutent une conversation plutôt inintéressante, mais très peu discrète.

Après près d'une heure trente de trajet, j'ai les fesses endoloris, et je suis ravie de pouvoir me dégourdir les jambes. Mais au sortir du bus, je suis une nouvelle fois perdue. C'était Hazel, une de mes voisines qui m'avait déposé ici auparavant, et bien entendu, je n'avais pas prêté attention à la route, trop occupée à angoisser. Je reste plantée là, incertaine. Dalton m'est totalement inconnue, ça ne fait que trois mois que j'y réside, mais je ne suis jamais sortie de la maison. J'aurais dû. Je prends une grande inspiration, puis me dirige vers la droite. Je suis mon instinct. Tout droit, puis à gauche, de nouveau à droite, et je me laisse guider par mes pas. Je me rends rapidement compte que je ne suis pas au bon endroit. Je désespère totalement. Il est presque dix-neuf heures, et si je n'arrive pas à temps, j'irais dormir sans manger. Abattue, je poursuis mon chemin, incapable de faire demi-tour. J'enlève cependant mes chaussures qui meurtrissent mes pieds, et, sans relâche, je marche. Jusqu'à ce que je débouche sur un garage qui ne paie pas de mine, d'où émane de vieux airs musicaux. Soulagée, et aussi terrifiée, de reconnaître l'enseigne, je me résous à y pénétrer. Je n'ai pas d'autres choix que de demander de l'aide. Mais je prends notes pour plus tard de découvrir Dalton. La musique est trop forte, et j'ai mal aux oreilles. Dans l'entrepôt, il fait sombre, et des rires me parviennent. Aucun bruit que l'on entendrait dans un garage. Je commence à regretter ma décision, mais je ne peux plus fuir, on vient de me repérer.

« - Tiens ! Salut beauté. » Je frissonne en entendant ces paroles. Je ne sais pas où je viens de mettre les pieds, mais ce n'était absolument pas une bonne idée. Surtout, ne pas montrer que je commence à être effrayée. Je poursuis d'un pas tranquille mon chemin, tentant d'esquiver le grand gaillard qui me fait face, mais il lui en faut plus pour l’impressionner.

« - Hé, il vient poser ses mains sur ma taille et je sens d'ici la bière. T'en vas pas tout de suite. On n'a même pas commencer à jouer.

-Ne me touche pas, tenté-je de me montrer menaçante, ce qui ne fonctionne pas.

-Laisse-toi faire, beauté. »

Alors, il plonge sur moi et fourre sa langue dans ma bouche. Je suis dégoûtée. Je tente de me dégager, mais il a beaucoup plus de force que moi. De ses grandes mains pleines de graisses, il caresse mon visage et mes cheveux. J'essaie de crier, mais il bloque mes appels avec sa bouche. Bientôt il passe ses doigts dans mon jean, ce qui ne lui pose aucun problème étant donné que je flotte dedans. Les coups que je lui assène ne le perturbe pas, et j'ai beau me débattre, il ne bronche pas. Au contraire, je dirais que ça l’excite, au vue de ce que je sens au niveau de son entrejambe. Des larmes commencent à couler le long de mes joues, et je formule le vœux de m'en sortir sans qu'il parvienne à retirer mes vêtements. Il semble que je sois entendue car des pas se dirigent vers nous, et mon agresseur me lâche enfin.

« -Ah, Sean ! Merveilleuse ta dernière trouvaille, s'empresse-t-il de dire au type de cinquante ans qui vient d'arriver.

-C'en est pas une Reeve, lui réponds l'homme en me désignant. C'est la fille qu'on héberge en retour d'argent.

-Dommage, Reeve paraît déçu ce qui me terrifie davantage. » Puis Sean se détourne de son employé et se concentre sur moi.

« -Qu'est ce que tu fou là ?

-Je... Je..., mes derniers sanglots s'effacent et d'une voix faible je lui expose la situation :

-Je ne sais pas comment rentrer. »

Sean grogne. Je vois bien que je l'ai contrarié. Je serre mes bras autour de ma poitrine en attendant qu'il me réponde. Mais il ne dit rien. J'aurais dû savoir que venir ici n'était pas une bonne idée. Sean me loge - comme il le dit lui même – que pour le fric. Je suis insignifiante à ses yeux. Je sais qu'il ne va pas me demander comment je me sens, pas plus qu'il va me réconforter, ni même réprimander ce Reeve. Bien que ce soit la deuxième fois que je vienne ici, je sais de quelles façons se déroulent les soirées. Drogue, alcool, prostituée. Ces trois mots résument parfaitement les soirs ordinaires dans la vie de Sean Murphy. J'essuie mon visage, et attends toujours. Je n'ai pas le courage de repartir, et je sais qu'il faut toujours attendre les ordres de Sean avant d'agir. Sous peine de rencontrer son poing gauche.

« - Allez, je te ramène petite garce. Mais tu m'en devras une.

-Merci.

-J’espère bien que tu en sois reconnaissante, idiote. »

L'autoradio dans sa vieille carcasse crache les même morceaux insupportables, à un volume plus que dérangeant. Mais je ne lui dit rien. Autant ne pas aggraver ma situation. Cette fois-ci, j'ai le nez collé à la vitre, et j'essaie de me souvenir de chaque croisements et des directions prises par Sean. Enfin, nous pénétrons dans notre petit lotissement, où chaque maison sont identiques. Il s'arrête devant la notre, et ne coupe pas le moteur. Tête baissée, j'actionne la poignée, puis sort, mais il s'empare de mon poignet. Il appui avec force dessus, et je n'ose pas me dégager. Je le connais, il atteindra une autre partie de mon corps. Il me tord le bras, et je grimace, ce qui le fait sourire. Enfin, il me lâche et je ramène sur moi mon bras. Il tends le sien pour fermer la porte, mais auparavant il me jette un regard menaçant.

« - Sois prudente, petite Hailey. »

Puis il me laisse là, les pieds en sangs, un bras où pulse la douleur. Je regarde sa voiture marron quitter notre banlieue paisible, puis je me décide à rentrer. Décidément, la vie ça craint.


Texte publié par Nine, 5 octobre 2015 à 19h41
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