Partie 3
Comme tous les soirs, la salle du Hibou Rieur était bondée. L’auberge accueillait quantité de citadins, qui venaient diner régulièrement ici. Ils pouvaient avoir du lard et des légumes bouillis pour un prix modeste. Le reste des tables était occupé par des fêtards venus trinquer quelques choppes et profiter du nouveau fût de cervoise que venait de recevoir l’aubergiste. Il y avait aussi les gardes de repos qui venaient boire et jouer aux dés. Voletant au milieu de tous ces clients comme des abeilles butineuses, les serveuses livraient commandes après commandes, échappant aux mains baladeuses des habituels ivrognes avec adresse.
L’ambiance était cependant plus calme que dans la plupart des auberges qu’Ucobo avait fréquentées. La raison était simple : les principaux trouble-fêtes se trouvaient dans les Souterrains et la présence des gardes incitaient à plus de retenue. Un flutiste debout dans un coin de la pièce jouait l’ariette du cocher. Il jouait depuis plusieurs heures déjà et avait déjà fait ses preuves au travers d’une dizaine de mélodies légères. Pensif, Ucobo tritura machinalement ses bracelets. Le saltimbanque lui faisait penser à Pweto, le flutiste de son Convoi.
-Ne te retourne pas. Il y a un de tes amis cultistes de Gener derrière toi. lui dit soudain Khessia.
Ucobo se figea.
-Alors tu m’écoutais vraiment ! s’exclama l’Esprit-lame.
Ucobo rougit. Perdu dans ses pensées, il n’avait pas prêté la moindre attention aux propos de la guerrière de Naplot.
-Je disais que tu ne devrais pas forcer trop avec ton corps car malgré le lien, tu ne t’es pas encore totalement remis de tes blessures. répéta patiemment Khessia.
-Malgré le lien ? demanda Ucobo, la curiosité piquée.
-C’est ce que je venais de t’expliquer. Quelqu’un qui est lié à un Esprit-lame guérit plus rapidement que la normale. De manière générale son endurance augmente également. Cependant le soutien de Naplot ne fait pas de miracle. Ton dos conservera des cicatrices, tes côtes demeureront fragiles pendant quelques temps encore et tu resteras bien sûr manchot.
Ucobo tata ses blessures tandis que Khessia parlait. Il est vrai qu’il s’était vite remis de ses blessures.
-Si j’ai bien compris ton dieu… Naplot, m’a soigné. Mais qu’en est-il de toi ? Tu boites toujours et tu as gardé ta cane que je sache. remarqua Ucobo en pointant la jambe entourée de bandages de l’Esprit-lame.
-Naplot me viendra en aide s’il pense que c’est nécessaire. Mais ma jambe guérira d’elle-même si on lui laisse le temps. affirma Khessia.
Ucobo se demanda brièvement comment elle avait pu récolter une telle blessure. Ce n’était certainement pas une chute de cheval comme elle le prétendait. Et au vu des grimaces qu’elle tirait à chaque fois qu’elle se levait, Ucobo doutait que la jambe guérisse en quelques jours.
-Il y a t-il d’autres choses au sujet du lien que tu n’as pas jugé bon de me dire ?
Khessia n’eut qu’une brève hésitation.
-Le lien me permet de te localiser. Je peux te retrouver quelle que soit la distance.
Naturellement. Il ne fallait pas perdre de vue la personne qui jouait un rôle dans leur précieuse prophétie autrement ils risquaient de manquer le spectacle.
-Vos repas, mon seigneur, Esprit-lame.
La serveuse qui venait d’arriver déposa deux assiettes devant eux après s’être inclinée. Gêné, Ucobo reconnu la serveuse aux couettes et à la jupe rouge tomate. Après avoir tenté sans résultat de lui faire comprendre qu’il n’était pas un seigneur, il avait décidé d’ignorer ses marques de respect.
-Merci, Gaelle. répondit Khessia.
Ucobo la remercia également. La serveuse se pencha dans sa direction, déposant une petite assiette de fruits rouges.
-Dessert offert par la maison ! murmura t-elle avant de se détourner de leur table, reprenant son rôle d’abeille affairée.
« Hmm… Passer pour un seigneur a du bon aussi. » constata Ucobo.
-Je voulais te poser la question depuis un certain temps, mais... pourquoi te prend t-elle pour un seigneur ? dit Khessia d’un air curieux. Tu ne lui as pas débité de beaux mensonges j’espère ?
Typique de l’Esprit-lame. C’était forcément de sa faute.
-Elle sait que je suis riche. résuma Ucobo.
« Qu’il était riche » serait plus exact. Ucobo avait fait changer sa dernière pièce en or contre de la monnaie. Bien sûr il lui restait encore l’oiseau changé en statue d’or, mais Ucobo rechignait à s’en séparer. Il lui rappelait l’état de Marie.
Ucobo grimaça au goût des légumes. Les patates et les carottes étaient amères et visqueuses. Le lard avait un arrière-goût de charbon. Aussi il fut soulagé quand il essaya les fruits. Ceux-ci étaient mûrs et juteux et Ucobo s’en délecta après son expérience malheureuse avec le diner.
-Tu devrais finir ton plat. Tu ne risques pas de te rétablir complètement si tu picores comme un moineau.
Ucobo regarda furieusement son interlocutrice.
-Ce plat est immangeable, je ne sais même pas par quel miracle tu as pu l’ingérer.
De fait, l’assiette de l’Esprit-lame était plus propre qu’à son arrivée.
-C’est toi qui est difficile. Ce plat n’est pas si mauvais.
Ucobo secoua la tête. L’Esprit-lame devait se moquer de lui.
-Et que faisais tu cet après-midi ? Tu étais introuvable. dit-il pour changer de sujet.
N’avait-elle pas dit qu’elle l’entraînerait ? Bien sûr son absence avait eu des bons côtés aussi, mais Ucobo était curieux de découvrir où elle avait bien pu passer.
-J’étais au temple de Naplot. Beaucoup d’évènements importants sont en cours et…
Khessia s’interrompit et se tourna vers l’homme qui venait de se poster juste devant leur table.
Ucobo le dévisagea également de haut en bas. L’individu était très grand, ses jambes larges comme des petits troncs avaient leurs pieds glissé dans d’épaisses bottes de cuir sombre. Il arborait à la ceinture un long sabre caractéristique des Lectavis. Une cape noire tombait de ses épaules jusqu’à ses chevilles. Ucobo n’avait pas besoin de regarder son visage pour deviner qui se trouvait en face de lui.
-Baradan ! Je ne m’attendais pas à te voir ici !
Le géant avait croisé ses gros battoirs contre son torse, signe d’attente chez lui.
-Le Uo souhaite te parler maintenant. dit-il brusquement.
-Le Uo est… là ? dit Ucobo d’un air ahuri.
Pour toute réponse, Baradan lui fit signe de le suivre. Bien vite, Ucobo comprit qu’ils se dirigeaient vers sa chambre. Il se demandait bien comment le Uo avait pu y pénétrer. Mais ce n’était pas le plus important. Le plus important était…
-Comment m’as-tu retrouvé ? demanda Ucobo une fois assit en face du Uo.
Bien sûr, il se doutait que le Uo et sa troupe se trouvaient à Tarem. Il avait eu vent de l’arrivée d’un Convoi et connaissant l’itinéraire suivit par Ecalo il en avait déduit qu’il s’agissait des siens. Mais de là à ce qu’on le retrouve… Tarem était une grande ville.
-Le Uo est comme un berger. Il doit pouvoir retrouver une brebis égarée autrement il n’est pas digne de son titre.
répondit Ecalo, amusé.
-Que me veux-tu ?
Ecalo agita une de ses mains, révélant un anneau qui émettait une faible lueur rouge.
-Tu as vu ? Nous avons les mêmes bagues !
Le regard du Uo se posa ensuite sur le moignon terminant l’avant-bras droit d’Ucobo.
-Je n’ose imaginer ce que tu as enduré. Je m’en excuse d’avance mais il me faut entendre ton histoire.
-Quelle partie veux-tu entendre ? demanda Ucobo, perturbé par la requête.
Le Uo prit un air gourmant.
-Tout. Absolument tout.
Ucobo s’exécuta. Il parla d’abord des visions de Marie qui l’avaient poussé à revenir à l’endroit de sa mort, de la découverte de l’Ourkkha et de l’étrange substance dorée qui entourait sa dépouille. Puis il décrivit l’apparition de son nouveau don en alchimie, de l’étrange sensation de pouvoir qu’il avait ressentie et de l’apparence de sa main droite. Enfin il parla de son affrontement avec les cultistes de Gener et de sa détention. Il conclut avec sa rencontre avec Khessia et sur le lien qu’il avait été forcé d’accepter. Il omit son dialogue avec l’Ourkkha et son passage dans le monde des Esprits. L’Ourkkha avait partagé son passé à lui seul et il avait été alors implicite que le jeune homme ne répéterait pas ce qu’il avait entendu.
-Quelle aventure ! Et dire qu’il ne s’est même pas passé un cycle ! plaisanta Ecalo.
Ucobo haussa les épaules, ne sachant que répondre à cela.
-Je connais quelqu’un qui pourrait t’aider. Une vieille connaissance.
-À part si ce quelqu’un peut me rendre ma main je ne vois pas en quoi il peut m’aider. se moqua aigrement Ucobo.
-Il y a trois manières de résoudre un problème. annonça Ecalo en agitant trois doigts. La première et bien sûr la plus évidente est de trouver une solution à ce problème. La deuxième, plus fine, consiste à retirer la source du problème, c’est-à-dire la cause. Pour la dernière, il convient de reconsidérer le problème. Vu sous différents aspects, un problème peut parfois devenir un avantage. Mais changer le passé n’a jamais été une manière de résoudre un problème. C’est au mieux un état d’esprit dangereux.
-Et laquelle des trois méthodes utilisera ta vieille connaissance ? demanda Ucobo d’un ton sarcastique.
-Attention, je n’ai pas dit qu’il allait t’aider mais qu’il pouvait t’aider. La capacité et la volonté sont deux choses bien distinctes.
-Donc il ne va pas m’aider ? dit Ucobo perdu par les charades du Uo.
-Probablement pas. Même si tu déclares venir de ma part. En fait ce sera peut-être pire ne le dis pas. ajouta Ecalo après courte réflexion.
-Viens en au fait, Uo !
L’intéressé sortit une enveloppe de sa poche et la posa devant son interlocuteur.
-Je voudrais que tu lui donne ceci.
-Qu’est-ce que c’est ?
-Ça ne te concerne pas. Contente-toi de la lui donner.
-Je croyais que je ne devais pas dire venir de ta part. s’étonna Ucobo.
-Eh bien ! Dis quelque chose comme : « Ecalo m’a forcé à vous livrer cette lettre et comme c’est le Uo de mon Convoi je ne pouvais pas refuser. Cependant je viens aussi pour des raisons personnelles. » Ajoute que tu me détestes et ça devrait passer.
Ucobo soupira. Il n’avait pas prévu de devenir messager du Uo.
-Ecoute Uo, je préfèrerai rejoindre le Convoi. Tu dois avoir sous la main quantité de personnes plus qualifiées que moi pour ce type de mission.
Le visage d’Ecalo s’assombrit.
-Penses-tu que j’ai besoin d’un aspirant Lectavis manchot pour quoi que ce soit au sein de mon Convoi ? Seule Unifaw sait ce qu’il adviendra de toi si tu pars livrer cette lettre. Mais je peux t’assurer que tu ne deviendras jamais Lectavis en retournant maintenant au Convoi. Il ne t’apportera rien et tu ne lui apporteras rien non plus. C’est au moment critique de sa vie que l’on se retourne et jette un coup d’œil nostalgique aux choses qu’on a perdu et que l’on se doit de perdre encore. Voilà mon conseil, Ucobo : suis ta voie. Cependant cette décision t’appartient et si après ce que je vais te dire tu désires toujours retourner au Convoi je ne m’y opposerai pas.
Le Uo reprit sa respiration et joignit les mains, scrutant Ucobo de son regard acéré.
-Quand ma fille s’est retrouvée pétrifiée, changée en statue d’or et que tu as survécu, j’ai su aussitôt que pour une raison inconnue tu avais été choisi et que Marie ne l’avait pas été. Marie était une ambulante douée en alchimie et je suis certain qu’elle aurait fait une excellente Uo. Pourtant l’Ourkkha a préféré te choisir et te conférer ses pouvoirs. Qu’a-t-elle vu en toi ? Ne souhaites-tu pas le savoir ? Cette bague que tu portes au doigt montre l’intérêt de Naplot à ton sujet. Manifestement au moins deux Esprits pensent que ton destin n’est pas ordinaire et beaucoup d’espoirs reposent sur toi. Comptes-tu les faire mentir et mener une paisible vie d’Ambulant au sein du Convoi ? Ou vas-tu arracher les réponses que tu recherches à ceux qui les détiennent et forger toi-même ton futur ?
Ecalo se racla la gorge.
-Si tu ne le fais pas pour toi, fais le pour l’Esprit-lame qui a lié sa vie à la tienne, fais le pour l’Ourkkha qui croyais en toi… fais le pour ma fille.
Ucobo ne répondit pas tout de suite, touché par le chagrin dans la voix du Uo. Ce dernier se leva.
-Quand tu auras pris ta décision fais le moi savoir. Le Convoi part demain à l’aube.
-Inutile. J’irai rencontrer ta connaissance. décida Ucobo.
Le Uo se retourna à demi, affichant une mine satisfaite.
-L’individu que tu devras trouver se trouve dans les Musades. Il vit reclus dans une grotte quelque part près des Lutteurs. Ce ne sera pas un voyage facile. Mais tu as fait le bon choix.
Ucobo l’espérait.
-Ecalo, dit-il d’un ton hésitant, je suis désolé. Si j’avais pu récupérer la pierre… L’Ourkkha avait promis de libérer Marie de sa malédiction.
Ecalo fronça les sourcils et secoua la tête.
-Je ne t’en veux pas. Sache que cette pierre ne t’aurait apporté que des ennuis. C’est mieux ainsi, crois-moi.
-Peux-tu… peux-tu dire à mes parents que je vais bien ? Et à ma sœur et mon frère. Ils doivent s’inquiéter.
-Je le ferai. répondit le Uo.
Ucobo se saisit de l’arc qui reposait contre sa table de chevet.
-Il faudrait rendre cet arc à Andreas. Il me l’avait prêté et je n’avais pas eu le temps de le lui rendre.
Ecalo sourit et se saisit de l’arc.
-Nous nous reverrons.
Le Uo sortit sans un mot de plus. Ucobo lui emboita le pas, découvrant l’Esprit-lame et le Lectavis qui se dévisageaient en chiens de faïence à l’entrée de sa chambre. A voir la tension sur leur visage, l’attente n’avait pas dû être des plus agréables.
Elidorano resserra les pans de sa chemise. Il avait la chair de poule. C’était étrange car il y a une heure l’air était encore lourd et moite.
La journée avait été rude. La mort de Talada, la révélation d’Ecalo puis l’alliance entre les Majahs et le Uo pour renverser les Primitifs. Et s’il n’y avait eu que ça… Suite à leur entrevue, Nirco avait fait venir le Ledgovas Ecalune Gavracid. Ce dernier n’avait pas vraiment eu l’oreille attentive qu’il espérait. Les nouvelles de l’assassinat des Majahs de Tomroe et de l’Ecarad ainsi que la découverte de quatre corps des meurtriers au sud-est de Tomroe qui se trouvaient appartenir au culte de Gener étaient toutes parvenues jusqu’à Tarem. Mais il y avait plus. Le Daradel’Itati était en ce moment même envahit par des Maraudeurs deziens et Aulnom, une des plus prestigieuses académies des terres marchandes, avait été réduite en cendre.
Appuyé par le Haut-prêtre de Naplot, Nirco avait fait emprisonner le Legovas et édicté que tout membre du culte de Gener aperçu dans les enceintes de sa ville serait mis à mort par écartèlement. Ecalune serait le premier à être exécuté demain à l’aube. En attendant, avait décrété le Majah de l’Ojalah, qu’il soit mis en cage sur la place publique du château, que tout le monde puisse contempler la misère humaine.
C’est sur ses pensées qu’Elidorano, alors qu’il retournait à sa chambre, avait inconsciemment prit la direction opposée et s’était retrouvé à traverser le couloir, bercé par les dizaines de lueurs dansantes des bougies, qui menait à la place publique. L’air semblait encore plus froid par ici. Et les ombres projetées sur les murs de pierre étaient plus sombres que jamais.
Elidorano pila à la sortie du couloir. La cour du château baignait dans le clair de lune. Les pavés gris avaient pris un teint blafard et les petits bassins renvoyaient des éclats argentés. Les trois lunes étaient présentes dans le ciel, mais celle qui brillait le plus était la plus petite, Vaacholos. Sa lumière était intense, mais pas suffisante pour dissiper tous les coins d’ombres de la cour. Ainsi l’intérieur de la cage était plongé dans les ténèbres car recouvert d’une toile opaque.
Mais Elidorano n’avait pas besoin de voir le Ledgovas pour savoir qu’il se trouvait bien là. Sa présence, il l’avait perçu avant même de pénétrer dans la cour. En effet, de la cage suintait une terrible soif de sang. Elidorano comprit pourquoi il frissonnait. L’envie meurtrière que dégageait le Ledgovas avait de quoi glacer le sang.
« Un prédateur affamé ». pensa Elidorano. Il se souvenait de sa première rencontre avec Ecalune, il avait alors ressentit la même soif de sang que maintenant.
Alors qu’il s’approchait, un garde l’arrêta.
-Nul ne s’approche du prisonnier. Il est dangereux.
Elidorano nota que l’homme de faction avait le front en sueur et les mains vissées sur le pommeau de son épée. Monter la garde prêt du Ledgovas ne devait pas être de tout repos. L’atmosphère oppressante qui avait envahi la cour mettait les nerfs des soldats à rude épreuve.
-Je suis l’assistant du Uo. improvisa Elidorano. Je souhaiterais poser quelques questions en son nom.
Le garde le dévisagea et estima son rang avec son accoutrement. Elidorano avait eu raison de conserver la chemise de lin et le pantalon de haute facture. Visiblement Nirco Menvem était parvenu à étouffer ce qui s’était passé lors de l’entrevue avec Ecalo. Malgré tout et en l’espace d’une journée, de nombreux bruits s’étaient mis à courir sur le Uo et les habitants du château faisaient preuve d’une grande curiosité à son égard. Personne ne sachant ce qui s’était réellement passé, tout le monde allait de ses hypothèses et ainsi, le garde semblait totalement incapable de savoir si le Uo avait ou non l’autorité nécessaire pour s’entretenir avec le prisonnier.
-Il mourra demain. Qu’est-ce que cela changera ? rappela Elidorano.
Le soldat dodelina de la tête et capitula finalement.
-Faites vite. répondit-il.
Elidorano s’arrêta à quelques mètres de la cage. Ici, la soif de sang de l’être à l’intérieur de la cage était bien plus violente. Il sentait un étrange sentiment lui broyer les poumons et lui tordre les boyaux. C’était la peur. Il la reconnaissait. Elidorano respira profondément.
Il se souvenait parfaitement de chacune des visions qu’il avait vues en traversant l’Eldlialtel. Et tous les éléments dans ses souvenirs étaient en place. Quelle que soit la créature qui se tenait derrière les barreaux, elle allait lui donner la pierre.
Elidorano souleva à demi la toile, révélant l’intérieur de la cage.
-Tiens, tiens… si ce n’est pas l’assistant du Uo… Elidorano c’est ça ? Que me vaux le plaisir de ta visite ? demanda Ecalune, la mine narquoise.
Elidorano retrouva soudain le contrôle de ses membres. L’atmosphère hostile qui entravait ses mouvements jusqu’à présent avait subitement disparue. Le Ledgovas semblait détendu.
-La pierre de l’Ourkkha. Je sais que tu l’as.
-Comment serait-ce possible ? Les gardes m’ont fouillé de la tête aux pieds. Et je ne savais pas être en possession d’un tel objet. se moqua le cultiste de Gener.
-Je t’ai vu me la donner, Ecalune. L’Esprit-monde me l’a montrée.
Le Ledgovas fronça les sourcils.
-Vous et votre Esprit-monde. Parce que vous observez un ramassis de prophéties plus ou moins correctes en traversant l’Eldlialtel vous les ressassez en titubant dans la direction indiquée. Dis-moi grand prophète, ta vision te dit-elle ce que tu devras me donner en échange ?
La réplique désarçonné quelque peu Elidorano.
-Je pourrais ordonner aux gardes de te la prendre.
-Ils ne la trouveront pas. assura Ecalune.
Elidorano réfléchit. Si les gardes n’avaient rien trouvé à la première fouille, il y avait un risque qu’ils ne trouvent rien à la seconde. L’assistant du Uo soupira.
-Quels sont les termes du contrat ? demanda-t-il finalement.
Deux grosses mains saisirent les barreaux et le Ledgovas pencha la tête.
-Approche. ordonna-t-il.
Elidorano s’exécuta, curieux.
-Je n’aime pas l’obscurité. Fait retirer la toile qui couvre ma cage pour la nuit et je te donne la pierre.
L’assistant du Uo eut envie d’éclater de rire. Le cultiste se moquait vraiment de lui ! Peur du noir ? Il n’y croyait pas une seconde. Mais Elidorano se moquait bien des véritables raisons du Ledgovas. Du moment que sa part de marché était respectée.
-La pierre d’abord. décida Elidorano.
Ecalune glissa sa main hors de la cage. Elidorano la serra, sentant presque aussitôt le contrat exiger son dû. Sans perdre de temps, le Ledgovas déposa une gemme rougeoyante dans la paume tremblante de son vis-à-vis, semblable à un rubis mais pourtant très différente. Elidorano aurait eu du mal à expliquer ce qu’il ressentit exactement quand la pierre toucha sa peau pour la première fois. C’était une sorte de communion avec l’Esprit piégé dans la pierre. La gemme était comme… vivante et il pouvait percevoir l’impressionnante quantité de pouvoir en elle.
En un mot : c’était grisant.
Elidorano retourna voir le soldat en charge de la garde. Il n’avait pas vraiment de plan en tête lorsqu’il avait accepté les termes du contrat. Il n’y avait pas besoin d’être très observateur pour deviner que le garde était assez naïf, et éreinté comme il l’était par la longue veille du Ledgovas, le convaincre devait être assez facile.
-J’ai besoin que tu retires la toile. dit-il d’un ton autoritaire.
Le soldat se brossa le crane de sa main.
-Vous me mettez dans une position difficile… assistant du Uo. Le conseiller du Majah en personne m’a dit de ne pas toucher à quoi que ce soit de l’installation.
Le conseiller du Majah ? L’étrange individu répondant au nom de Fod qui n’avait pas soufflé mot pendant l’entrevue ? Elidorano s’en rappelait vaguement. Saisi d’une inspiration, il adopta une expression grave.
-Tu faisais partie de ceux qui ont enfermé le cultiste de Gener non ? Te souviens des exactes paroles du Majah ? C’était, si je me souviens bien « qu’il soit mis en cage sur la place publique du château, que tout le monde puisse contempler la misère humaine ».
Le garde acquiesça à contrecœur.
-Eh bien avec la toile, personne ne peut admirer la misère humaine. expliqua patiemment Elidorano.
-C’est que… le conseiller a dit…
-Quel est ton nom, soldat ?
-Marcel.
-Sais-tu pourquoi les gens haut-placés ne se trompent jamais ? Parce qu’il y a toujours quelqu’un en dessous d’eux pour prendre le blâme.
Le garde déglutit péniblement mais ne répondit pas.
-Voilà ce que je pense, Marcel. Le conseiller s’est trompé et quand demain, le Majah souhaitera admirer la misère humaine dans toute sa splendeur, qu’elle ne sera pas sa déception quand il verra que le Ledgovas est resté couvert toute la nuit ! Mais ce n’est pas le conseiller qui subira sa colère, ce sera toi. Car le conseiller affirmera avoir bien transmis les ordres.
Elidorano lui laissa assimiler ce qu’il venait de dire avant de reprendre.
-Par contre, si tu retires la toile, non seulement le Majah sera satisfait, mais le conseiller en se rendant compte de son erreur, sera soulagé d’apprendre que la toile a bien été retirée. Peut-être même te récompensera-t-il en secret.
Le soldat se brossa plusieurs fois la tête avant de se décider.
-On retire la toile les gars ! ordonna-t-il à ses compagnons de veillée.
Bientôt, le tissu noir fut dégagé et le clair de lune éclaira la cage du cultiste de Gener.
Sans un regard en arrière, Elidorano décampa au plus vite de l’endroit. La soif de sang du Ledgovas était revenue, et l’assistant du Uo n’avait aucune envie de grelotter plus que de raison.
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