Et voilà le chapitre 6 ! C'est, il me semble, le chapitre que j'ai eu le plus de mal à écrire. Et chaque fois que j'y pense, je me dis que je dois absolument le réécrire. Mais quand je le lis, je me dis qu'il n'est pas si mauvais, finalement. Je crois que le problème était la trop grande quantité d'informations que je voulais donner au lecteur. (Pas en quantité de termes exotiques, il y en a peu dans ce chapitre, je vous rassure).
Héhéhé, c'est pas très encourageant pour le lecteur, tout ça ! Alors je vais tout simplement dire, que c'est un chapitre important dans l'histoire, et qu'il est dédié à Ucobo. J'ajouterai qu'il marque la fin d'une période du Mythe des Arbres Orgueilleux.
Enjoy !
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L’oiseau en cage, morose,
Guette avec envie l’horizon,
Comprend hélas bien la chose :
Que pour sortir de sa prison,
Il y laissera des plumes.
Vu d’en haut, les Penias ressemblait à n’importe quelle autre chaîne de montagne. Les géants de pierre avaient la frimousse blanche et le front glacé, leurs lourdes jambes rocailleuses plantant leurs pieds verts recouverts d’arbres et de floraison. Le cortège de pics rocheux était ceinturé en contrebas par des falaises dont la raideur donnait la vie dure aux alpinistes. Sans un guide, s’attaquer à ces montagnes était imprudent. En plus des difficultés d’ascension, les avalanches et les tremblements de terre étaient fréquents, et un amateur pouvait aisément être pris au dépourvu.
De nombreux ruisseaux dévalaient les crêtes grises et les massifs sauvages, donnant naissance à des rivières un peu plus loin. C’était ici que le Briclad et le Linil trouvait leur source. L’eau vagabondait librement le long des pentes, parfois interrompu abruptement par un à-pic. Le cours d’eau chutait alors audacieusement sur plusieurs dizaines voire centaines de mètres, la cascade se terminant bien plus bas dans un lac à la surface limpide et scintillante. À cette altitude, le paysage était fleuri et dense. Des forêts d’épicéas, d’aroles et de pins peuplaient les mamelons verts, grimpant les parois rocheuses avec aisance. Les plaines abritaient des ronces et des buissons à fruits sauvages, son sol coloré par la végétation. Des chevreuils et des bouquetins arpentaient la zone, profitant des délicieux pâturages.
Les Penias abritaient de nombreuse grottes et cavités un peu plus haut, quand le paysage devenait plus rocailleux. Bien sûr, la plupart avaient déjà des propriétaires. L’Ourkkha se souvenait très bien de sa dernière visite dans une de ces cavernes. Un énorme grizzli l’en avait chassé à puissants coups de griffe. Elle s’était enfuie le plus vite possible, avec pour souvenir une belle cicatrice. L’Ourkkha n’avait plus retenté sa chance depuis. Les arêtes rocheuses étaient également le territoire des aigles et des autres rapaces qui habitaient la chaîne de montagne. De là où elle se trouvait, on pouvait repérer plusieurs de leurs nids.
Les Lutteurs constituaient la partie ouest des Penias. C’était là que l’Ourkkha se dirigeait. Les deux colosses gris se dressaient plus haut que leurs congénères, se rejoignant tête contre tête à mi-chemin, formant un long plateau à plusieurs milliers de mètres de hauteurs appelé « pont de l’intrépide ». Les terribles montagnes se battaient de pied ferme depuis plusieurs siècles déjà, se disputant le terrain avec ténacité. À la connaissance de l’Ourkkha il en avait toujours été ainsi. Leur création devait remonter à bien avant sa naissance. Parfois, des éboulis se déclenchaient et emportaient de gros rochers, signe qu’un des lutteurs prenait l’avantage au dépend de son adversaire. Alors, presque aussitôt, les nuages en altitude s’assombrissaient et la pluie tombait, honorant la victoire d’un de ces implacables combattants.
Voilà un destin bien funèbre avait un jour considéré l’Ourkkha : condamnés à se battre jusqu’à la fin des temps, les Lutteurs devaient envier la condition des êtres vivants qui pullulaient autour d’eux, inconscient de leur bonheur.
Plusieurs fois, l’Ourkkha leur avait tenu la conversation, curieuse. Vivaient-ils ainsi depuis plus d’un millénaire ? Avaient-ils offensé un dieu pour vivre de la sorte ? Étaient-ils, comme elle, des esprits ? À chaque fois les Lutteurs restaient silencieux et seul le vent soufflait en réponse. Le vent lui disait que le soleil était bien triste lui aussi, errant sans cesse dans le ciel à la recherche de sa femme et de ses filles. Et jamais l’astre ne retrouvait les trois lunes, reprenant son interminable quête chaque jour. Les rafales hurlaient que la terre et le ciel s’aimaient et se regardaient depuis déjà une éternité, priant pour être réunis. Que les carnivores dévoraient leurs proies, inconscients qu’à leur mort ils serviraient d’engrais aux jeunes pousses d’herbes dont les herbivores se nourrissaient. La brise lui murmurait sur un ton amer ne pouvoir converser avec les arbres. Elle leur parlait pourtant chaque jour, faisant virevolter les feuilles des conifères, espérant qu’un jour l’un d’eux lui réponde.
Alors l’Ourkkha répondait au vent, évoquant sa solitude. Elle lui parlait de tous ses congénères, morts l’un après l’autre, et du poids de ses responsabilités. Être la dernière représentante de son espèce était difficile, le poids des années, des décennies et des siècles qui s’écoulaient se faisait peu à peu sentir. L’Ourkkha questionnait parfois son existence. Avait-elle offensé les dieux ? Pourquoi ne mourait-elle pas comme les autres ? Elle se sentait abandonnée, à l’écart de ses pairs. Par moment elle attendait la mort avec impatience, attendait sa délivrance.
Écran noir.
Bang.
Sa bouche était en sang, une plaie béante qui ne cessait de vomir de la bile et un liquide rouge sombre. Son palais avait un goût salé. Sa langue récupéra un petit caillou plaqué contre une des parois meurtries. Ucobo cracha la molaire. C’était la troisième dent qu’il perdait s’il se souvenait bien.
Un objet glacé et métallique força son passage dans sa bouche. Le tranchant de la lame taquinait la commissure de ses lèvres.
-Ouvre les yeux !
Ucobo obtempéra.
Le visage hideux de son tortionnaire se trouvait à quelques centimètres de son visage. Un demi-sourire étirait les lèvres de Stataz, son unique œil vert luisant de cruauté lui promettait une longue journée. L’épaule démise du dezien avait été replacée mais un épais bandage lui immobilisait toujours le bras.
Les murs sombres et couverts de moisissures autour de lui dégageaient une forte odeur de pourriture. Le plafond gouttait régulièrement, la mare d’eau sur le sol se teintait de rouge à mesure qu’elle s’aventurait vers le fond de la pièce. Ucobo se trouvait dans la cave de la bâtisse à l’abandon où les cultistes l’avaient piégé. Il était attaché par les poignets à d’épaisses chaînes en métal qui étaient suspendues à un crochet au plafond. Tiré par les bras, il peinait à toucher le sol du bout des pieds.
Depuis combien de temps ce cauchemar durait il ? Il semblait à Ucobo que cela faisait une éternité qu’il était prisonnier entre les quatre murs puant de cette cave. Une sanois ? Non. En fait il ne se trouvait pas ici depuis si longtemps. Peut-être même seulement depuis quelques jours. Mais il avait l’apparence d’un prisonnier torturé depuis plusieurs cycles et c’était cela qui importait le plus. Au début il avait bien tenté de résister mais il s’était vite rendu compte de la futilité d’un tel combat. Les cultistes lui avaient vraisemblablement inoculé une drogue de leur cru car il était totalement incapable de se concentrer suffisamment pour utiliser l’alchimie. Et Stataz prenait un malin plaisir à le pousser à ses extrêmes limites, le tourmentant jusqu’à ce que la voix cassé à force de hurler, Ucobo le supplie d’arrêter.
Son visage était gonflé par les multiples coups qu’il avait reçus et son dos sanguinolent était couvert de zébrures dus aux mauvais traitements que le dezien au visage de pierre lui avait infligés. Ucobo n’avait rien mangé depuis… bien longtemps. Sa tête le lançait atrocement et, sans les chaînes qui le maintenait à la verticale, il ne tiendrait pas debout. Son corps était faible et fatigué. Usé par la malnutrition, la perte de sang et les nombreuses blessures qui n’avaient pas eu le temps de cicatriser.
Stataz retira la dague de la bouche de l’Ambulant et joua avec la pointe de la lame.
-Tu te souviens de ce que j’ai dit hier ? Une devise que les cultistes respectaient toujours ?
-Œil pour œil et dent pour dent. souffla Ucobo.
-Exactement ! Je suis sûr que tu nous comprends ! Après tout, les Ambulants respectent l’échange équitable ! Et ils détestent se faire léser lors d’un contrat. Ils exigent alors certainement à être remboursés de l’exacte somme due. C’est un peu la même chose entre toi et moi, tu vois. J’ai perdu un œil, tu perds un œil…
Tout en parlant, Stataz avait approché sa lame de la paupière d’Ucobo. Ce dernier, paniqué, entama un mouvement de recul avant de réaliser que sa posture ne lui offrait pas beaucoup de mou.
-Allez, je te laisse choisir… Gauche ou droite ?
-Non ! Ne fais pas ça ! souffla Ucobo.
Stataz esquissa un autre demi-sourire.
-Tu me donnes un ordre maintenant ? Je t’ai répété plusieurs fois que je n’aimais pas ça.
Ucobo avala sa fierté, se doutant que le dezien était sérieux. S’il avait la moindre chance de satisfaire le cultiste en lui disant ce qu’il voulait entendre c’était le moment.
-Je t’en supplie ne fais pas ça !
-Mais il va falloir se décider, Ledan. Si tu ne choisis pas je te fais sauter les deux yeux. Tu as cinq secondes. déclara Stataz, une lueur mauvaise dans le regard.
Ucobo serra les dents. Le cultiste au visage de pierre devait jubiler intérieurement. Un pur choix sadique et le jeune Ambulant n’avait aucune issue. Que devait-il répondre ? Devait-il le prier d’abandonner son idée ? Cela ne changerait probablement pas le résultat. Il sentit la peur s’instiller en lui et prendre le contrôle de ses membres. Il tremblait comme une feuille, la bouche fermée de crainte de se répandre en inutiles suppliques dès qu’il l’ouvrirait. Il ne donnerait pas ce plaisir à Stataz. L’esprit confus à cause de la drogue, Ucobo lutta contre la panique qui gagnait lentement son corps.
-Le temps est écoulé Ledan. Qu’as-tu choisi ?
Sa poitrine à l’instant oppressée se relâcha soudain. Ucobo en profita pour parler, crier plutôt.
-Va crever, face de gargouille !
Stataz sembla surpris pendant un instant. Puis il éclata de rire.
-Quel courage ! Et quelle bêtise !
Le dezien approcha de nouveau sa tête du visage d’Ucobo, le visage hostile.
-À moins que tu aies vu clair dans mon jeu ?
Son tortionnaire se retourna et déposa sa dague sur l’établi proche de lui. Il semblait contrarié. Qu’entendait-il par « voir clair dans son jeu » excepté un jeu de mot particulièrement mauvais ? Ucobo n’en avait pas la moindre idée. Mais le plus important était que le cultiste avait abandonné son sinistre projet.
-Ce type de pratique est trop barbare à mon goût, de toute manière. Je préfère les méthodes plus… traditionnelles.
Stataz lui fit à nouveau face, le poing fermé. Ses anneaux en métal armant chacun de ses doigts.
Ucobo eut à peine le temps de durcir ses abdominaux fatigués avant que le dezien le frappe violemment au ventre. Le jeune Ambulant grogna de douleur, la respiration coupée. Il cracha le sang qui venait de remonter jusqu’à sa bouche. Son estomac encore contracté par la douleur, il tenta de reprendre son souffle. Mais l’homme au visage de pierre ne lui en laissa pas le temps. Son poing renforcé d’acier l’atteignit trois fois aux côtes, visant vicieusement le même endroit. Au dernier coup ses côtes craquèrent sinistrement.
Ucobo voulut hurler mais ses muscles étaient tétanisés par la souffrance. Ses poumons étaient en feu, chaque respiration lui donnait l’impression que ses côtes lui déchiraient la chair, jouant une douloureuse mélodie dont chaque accord le tourmentait un peu plus. La respiration bloquée et sans pouvoir émettre un seul son, Ucobo compta les secondes, tout son corps tendu par les ondes de douleur qui le traversaient.
-Cela devrait compenser mon épaule démise. Qu’est-ce que tu en penses ? lui murmura le cultiste à l’oreille.
L’intéressé hocha la tête, des larmes dans les yeux.
-Je pense que nous allons faire une petite pause. déclara le dezien.
Sans attendre la réponse d’Ucobo, son tortionnaire l’assomma d’un brutal revers de la main.
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