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tome 1, Chapitre 8 « Chapitre 2, Partie 2 » tome 1, Chapitre 8

« C’était mérité grand frère ».

Elidorano jura entre ses dents tout en se massant une nouvelle fois la joue. Il allait avoir une pommette violette avant la fin de la journée !

Et bien sûr c’était sa faute. Même sa petite sœur avait été obligée de le lui faire remarquer !

Ce matin il avait donné le croquis qu’il avait dessiné pour l’anniversaire d’Ucobo. Avec tous les évènements d’hier, il avait complètement oublié le cadeau. Le dessin représentait Ucobo et Marie se tenant la main. Bien sûr il se doutait que le moment n’était pas idéal. Mais il ne trouverait jamais l’instant propice après ce qui était arrivait à Marie. Donc… Ucobo n’avait pas soufflé un mot. Sans même tendre la main pour se saisir du croquis, il lui avait tourné le dos. Elidorano avait alors tenté de le retenir. C’est là qu’Ucobo l’avait frappé à la figure.

A vrai dire Elidorano avait été plus surpris qu’autre chose. Il avait rarement vu Ucobo faire preuve de violence malgré son corps trapu. En général il avait tendance à alléger l’atmosphère en cas de conflit. Aussi Elidorano l’avait regardé partir bouche bée, sans même chercher à se relever.

« Mais il n’avait pas besoin de frapper si fort ! »

Il est vrai qu’Elidorano ne partageait pas la détresse d’Ucobo. Ni celle du Uo, de Katala ou des proches de Marie. Bien sûr il était peiné par ce qui était arrivé. Et c’est là malheureusement que la différence se faisait. Peiné, pas affligé.

Cette nuit, il s’était posé à plusieurs reprises une question. Pourquoi avait-il pleuré devant la mort de l’Ourkkha alors qu’il n’avait pas versé une larme à la mort de Marie ? Parce que la possibilité qu’elle puisse être sauvée demeurait encore envisageable ? Il était idiot de raisonner de cette manière. Parce qu’Elidorano n’était pas suffisamment attaché à elle ? Il la considérait pourtant comme une de ses amies. Finalement la conclusion la plus logique était que la mort d’un être humain était moins grave que celle d’un esprit comme l’Ourkkha. Ainsi il avait été plus touché en voyant la dépouille de la créature. Oui c’était évident : quand bien même il connaissait et appréciait Marie, ce genre de détails était négligeable comparé à la différence entre un être humain et un esprit.

Elidorano se trouvait à présent avec le Candélabre et Pweto. Tous deux étudiaient avec attention la toile que le jeune homme leur avait tendue. Le croquis en question était la cause de son insomnie la nuit dernière.

Obsédé par la mort de l’Ourkkha, il avait eu le sentiment qu’il ne pourrait s’endormir sans avoir esquissé la fameuse scène qui hantait son esprit. Il était alors sorti discrètement pour ne pas réveiller Katala et avait tenté de reproduire ce qu’il avait vu. Il s’y était repris trop de fois pour pouvoir compter les toiles qu’il avait utilisées. En vérité presque la totalité y était passée.

Quand l’aube avait pointé, Elidorano était finalement parvenu à retranscrire correctement la scène qu’il avait observée. Les mains tâchées d’encre levées pour couvrir un long bâillement, il s’était juché sur un des gros rochers qui parsemaient le terrain caillouteux où se trouvait le Convoi.

Il aimait beaucoup les aurores. Les rayons du soleil naissant venaient réchauffer la végétation environnante, faisant mousser les frondaisons d’éclats dorés. Les Brolls, qui dormaient dans des tentes réparties sporadiquement autour du Convoi, sortaient au fur et à mesure que la lumière filtrait au travers du cuir tanné. Ils étaient comme des tournesols s’agitant pour mieux absorber les rayons du soleil. Les Lectavis à cette heure venaient nourrir les équidés. Certains prenaient un rapide petit-déjeuner avant de revêtir leur armure tape à l’œil, d’ajuster leur sabre à la ceinture et de partir faire des rondes. Les autres effectuaient leurs exercices physiques journaliers, s’agençant parfois par paires pour s’entraîner. Les Ambulants étaient les plus agités et les plus désordonnés. Certains rangeaient leur tente aussitôt réveillés, apprêtant leurs affaires tout en s’occupant des enfants. D’autres venaient discuter avec leur voisin, faire du troc ou même faire des parties de Mandeilon ! Le Uo et les membres les plus responsables se réunissaient souvent le matin dans la tente d’Ecalo pour discuter de la route à suivre et des mesures à prendre. Puis le petit comité se dispersait, chacun allant vérifier que tout le monde était prêt à partir. Le Uo, quant à lui, rejoignait le commandant des Lectavis Baradan et le meneur des Brolls Owabel.

Baradan, un colosse de deux mètres avec un cou de taureau, portait son habituelle armure en métal d’un noir étincelant assortis d’une grande cape de la même couleur dont l’extrémité venait taquiner ses bottes en cuir sombre. Plusieurs lanières bleu clair sur son bras indiquaient son statut de commandant tandis que son plastron arborait l’emblème des Lectavis : un aigle aux ailes semi repliées juché sur un mufleur, une lame de sabre remplaçant la tête de l’aigle. Le mufleur représentait le Convoi et l’oiseau les Lectavis. Le rapace juché sur le mufleur impliquait que le devoir de tout Lectavis était de protéger le Convoi. Et c’était ainsi depuis près de trente genèses.

L’accoutrement d’Owabel était bien plus modeste en comparaison mais le guerrier trapu restait tout aussi impressionnant. Torse nu comme tous les Brolls mâles en cette sanois chaude, il était vêtu d’un pantalon clair en toile maintenu par une épaisse ceinture en cuir. Il portait aussi un nombre impressionnant de boucles d’oreille, chacune représentant une de ses prouesses à la chasse. De même, il exhibait une cape en peau de Litorac, plus dans le but d’inspirer le respect que par crainte d’attraper froid. Elidorano ne savait du rôle d’Owabel au sein des Brolls que ce que Katala lui avait confié. C’est-à-dire qu’il était reconnu parmi les siens pour être le plus compétent en tant que meneur. Et que son statut de Première Lance voulait qu’il charge le premier lors des Grandes Chasses.

À vrai dire Elidorano s’était souvent demandé comment le Uo pouvait s’entendre avec ces deux gaillards. Peut-être qu’Ecalo était suffisamment malin et diplomate pour éviter tout conflit…

Seule Unifaw le savait.

Ensuite il était allé voir Ucobo et… Bref. Il avait ensuite rejoint le Kew dans lequel se trouvait le Candélabre Auguste Barnabé, qui tenait à ce moment une discussion avec Pweto.

Il avait beaucoup trop de question en tête pour pouvoir mettre de l’ordre dans son esprit ou même seulement ignorer la multitude d’interrogations qu’il se posait. Qui donc avait tué l’Ourkkha et comment ? Pourquoi faire une telle chose ? La substance dorée qui était la cause de l’état de Marie était-elle le sang de l’Ourkkha ? Si c’était le cas pourquoi l’esprit avait maudit la jeune femme ? La main d’Ucobo étant toujours enveloppée par cette étrange matière, devait-on s’attendre à ce que son état empire ? Toutes ces questions, il les avait posés au Candélabre.

Justement celui-ci paraissait avoir fini d’examiner la toile du jeune homme et releva les yeux.

-Je pense qu’il est déjà possible de répondre à quelques-unes de ces questions. Ainsi il me semble évident que la raison de la mort de l’Ourkkha est l’appât du gain. Il semble aussi que les tueurs n’ont récupéré que la fameuse pierre. Le reste du corps importait peu puisque il a été jeté dans la rivière. De plus la créature a été frappée par plusieurs flèches avant d’être achevée à terre. Je doute que des esprits ou d’autres êtres magiques s’amusent à abattre l’Ourkkha avec des arcs et des flèches. C’est donc la main de l’homme qui est à l’œuvre. Nous savons donc pourquoi et comment la créature a été tuée. De plus mieux saisir la nature de la pierre permettrait probablement d’établir qui pourrait être à l’origine de ce… « crime ». Concernant le reste… mmh… je pense que nous serons plus avancés quand l’état de Marie aura été étudié par des autorités en la matière à notre arrivée à Tomroe.

Elidorano tiqua à la dernière phrase.

-Vous voulez dire… qu’il y a un mage à Tomroe ?

-C’est presque certain oui. C’est une ville de taille considérable après tout. Même si il n’y a pas de mage, un prêtre sera présent. Les Ruhons accordent beaucoup d’importance au culte de Naplot. Un temple leur est même dédié à Tomroe.

Elidorano acquiesça.

-Le Uo souhaite te voir à ce propos.

-…Tout de suite ?

-Dans un moment. Il est avec Ucobo pour l’instant. Je dirai que nous avons le temps de revoir un peu tes connaissances sur le système politique des Ruhons. On peut déjà commencer par préciser leur étroite relation avec le culte de Naplot…

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La flèche alla se planter à plusieurs mètres de distance de sa cible.

-Par la croupe d’Ura !

Exaspéré, Ucobo jeta son carquois à terre. Même s’il n’avait jamais été doué au tir à l’arc, il parvenait en général à toucher la cible à cette distance. Mais aujourd’hui pas une seule de ses flèches n’avait fait mouche. De quoi désespérer.

Les muscles en sueur, Ucobo décida de faire une pause. Que lui arrivait-il ? La réponse n’était pas bien difficile. Le corps inanimé de Marie revenait constamment le hanter. Même pendant le tir à l’arc, il sentait sa présence dans un coin de sa tête. Au point qu’il ne cessait de trembler. Au point qu’il n’avait pas fermé l’œil de la nuit.

Le jeune homme regarda à nouveau ses mains. Celle de droite était toujours imprégnée de cette maudite matière dorée. Ce matin, avec l’aide d’Akalo, il avait essayé en vain de de débarrasser de la substance. Etait-ce dans le but de lui rappeler constamment qu’il n’avait pu sauver son amie d’enfance ? Etait-ce le fardeau de sa culpabilité ?

Si ce n’est l’apparence, sa main n’avait pas beaucoup changé. Quand il avait immergé sa main ce matin sa peau ne s’était pas durcie comme dans la rivière. En fait il ne s’était rien passé de particulier depuis. Excepté…

-Ucobo je te trouve enfin !

Andreas venait de surgir d’entre deux rochers, son cheval gris légèrement tacheté se fondant avec le décor. Aujourd’hui il avait opté pour une tunique d’un jaune sobre qui détonnait avec les couleurs criardes qu’il arborait d’ordinaire.

« Peut-être était-ce sa manière de porter le deuil d’une Ambulante ? » songea cyniquement Ucobo.

Après tout sa tunique n’allait pas si mal avec ses cheveux noirs rebelles qui venaient mordre ses épaules et son teint mat à l’aspect de parchemin brûlé. Le Lectavis mit souplement pied à terre et lui donna une brève accolade.

-Comment te sens-tu ?

« Mal. »

-Mieux qu’hier.

Ucobo esquissa un sourire forcé.

-J’ai vu ça de loin. Ta progression au tir à l’arc est extraordinaire ! Maintenant tu pourrais toucher un mufleur à dix mètres s’il ne bougeait pas trop !

L’arc du jeune homme fendit l’air en direction de la tête du Lectavis mais ce dernier l’esquiva. Dans le même mouvement Andreas lui tendit une des deux épées d’entraînement qu’il avait apporté. Ucobo s’en saisit sans hésiter, impatient de donner une leçon au sarcastique individu qui lui faisait face.

Quand ils s’arrêtèrent, malgré la fatigue, Ucobo éclata de rire. Concentré sur le combat il avait complètement oublié les récents évènements. Son corps épuisé lui faisait mal, surtout aux endroits où il avait été touché. Il aurait une ribambelle de bleus demain c’était sûr. Mais il se sentait aussi libéré d’un poids à la gorge. Son angoisse était partie.

-Il semble que ce n’est pas encore le jour où Ucobo la main d’or parviendra à porter un coup à Andreas le magnifique ! le provoqua le Lectavis, un sourire aux lèvres.

Le guerrier était à peine essoufflé et semblait encore prêt à en découdre. Ucobo se demanda si c’était du bluff. En fait il espérait que ce soit du bluff. Après tout il ne pouvait pas être si loin du niveau du Lectavis !

Andreas se frappa soudain le front et prit un air coupable.

-Ah j’ai oublié ! Le Uo veut te parler !

Ucobo lui jeta un regard méfiant pendant un bref instant. Il doutait que le Lectavis ait oublié. Sans doute avait-il choisi de provoquer un affrontement en ayant conscience du retard occasionné. Avait-il estimé le duel nécessaire ? Peut-être. Le sourire désolé d’Andreas ne trompait personne.

En soupirant Ucobo alla chercher sa monture.

Le jeune homme s’assit maladroitement en face du Uo. Ils se trouvaient à l’avant du Kew de tête, un peu à l’écart des autres passagers. Le Uo était un homme d’une quarantaine de genèses, les tempes grisonnantes, le menton mal rasé, les cheveux poivre sel qui tombaient sur son front en pagaille et les rides qui creusaient chacun des mouvements de son visage lui donnaient un air fatigué. Comme un champ à l’abandon depuis trop de genèses. Il ne fallait pas s’y méprendre. Ecalo n’était pas le chef du Convoi pour rien. Il avait l’esprit vif et l’acuité de son intelligence en avait pris plus d’un à dépourvu. Et en cet instant son regard d’aigle était fixé sur Ucobo.

Le visage soudain avenant, le Uo lui sourit.

-Comment va ta main ?

-Son état ne s’est pas empiré. répondit prudemment Ucobo.

-Et toi ? Tu étais proche de ma fille après tout.

Ne sachant ce qu’il savait de sa relation avec Marie, Ucobo se contenta de murmurer de vagues paroles.

-Ce bracelet est le même que celui de Marie. C’était un présent ?

Ah. Il s’en rappelait maintenant. Ecalo avait l’art de poser les questions dérangeantes. Ucobo manipula le bracelet en or concerné par réflexe. Quelles conclusions avait donc tiré son interlocuteur aux yeux d’aigle ? Et puis Ucobo n’allait quand même pas lui dire qu’il avait couché avec sa fille. Mieux valait changer de sujet dans l’immédiat.

-Elle m’en avait fait cadeau en effet. Je suis surpris… Ecalo… car je ne pensais pas que nous voyagerions aujourd’hui compte tenu des derniers évènements.

Le Uo tenait à être tutoyé et appelé par son prénom en privé.

Ecalo rit doucement. Pourtant ses traits laissaient transparaître une grande tristesse.

-La douleur d’un père ne doit pas interférer avec le devoir du Uo qui est de diriger le Convoi. Mais ne pense pas que je ne pleure pas ma fille pour autant. Et toi Ucobo ? Laisseras-tu ton chagrin faire obstacle à ton rêve de devenir Lectavis ?

Ucobo se mordit les lèvres. Il n’en avait parlé qu’à Andréas. C’était donc lui qui avait vendu la mèche. Ou le vieux renard avait deviné tout seul ? Impossible, c’était définitivement Andreas...

-Non. Je ferai de mon mieux pour être un jour digne d’être Lectavis.

Le Uo exhiba un large sourire.

-Alors tu seras heureux d’entendre que le commandant Baradan a donné son accord officiel pour ton apprentissage ! A la condition que tu sois sous la tutelle d’Andreas bien sûr. Quand ce dernier te jugera prêt tu partiras avec la recommandation du commandant à Lactav pour terminer ta formation.

C’était plutôt une bonne nouvelle. Une sacrément bonne nouvelle en fait. Lactav était le centre de formation des Lectavis. Ah mais avoir Andreas pour tuteur était un panaris au pied !

-Je suis confus… Ecalo. C’est un véritable honneur pour moi et un immense plaisir. Et je t’en suis très reconnaissant.

-Oh je n’ai pas fait grand-chose. Andreas avait déjà longuement entretenu le commandant Baradan à ce sujet. J’ai seulement donné un coup de pouce à la situation actuelle. D’ailleurs…

Le Uo exhiba un sac banal rempli de petits palets. Il en sortit une poignée.

-Ceci est une avance. Une fois que tu seras Lectavis, tu iras travailler pour ce Convoi. Tu peux considérer cela comme un investissement à long terme si tu préfères.

« Une avance en… vulgaires cailloux ? »

-Bien sûr tu pourrais penser à une arnaque. Ne suis-je pas en train de te donner une poignée de vulgaires cailloux ?

-Ahem…

-Sous l’œil de l’esprit monde, les choses apparaissent souvent comme ce qu’elles sont vraiment : de simples choses. Mais la valeur que les gens leur accordent est différente. Regarde.

Le Uo passa négligemment sa main au-dessus des cailloux.

Des palets argentés luisaient maintenant dans la paume d’Ecalo. Ucobo observa avec une étrange fascination les pépites d’argent. Il avait toujours été admiratif devant la magie des Ambulants. Ecalo descendant d’une des plus anciennes lignée d’Ambulants, son talent était inégalé parmi les membres du Convoi. Les pépites d’argent qu’il tenait étaient probablement d’une grande pureté. Pourtant, quand il tendit la main et que de simples cailloux y tombèrent, il ne ressentit aucune déception. Il comprit seulement que ses craintes étaient fondées. Le Uo l’avait percé à jour aussi facilement qu’un aigle boulotte un petit rongeur.


Texte publié par Louarg, 25 septembre 2015 à 22h24
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