Partie 5 et fin chapitre 1
L’herbe était tendre et fatiguée ici. La petite brise qui soufflait brassait les indolents brins de graminées glauques, les secouant comme des toupies. Le jeune homme sentait même de petits insectes, certainement des fourmis aventureuses, escalader ses phalanges. Les rayons agressifs venaient se cogner sur ses rétines. Il referma les yeux.
-Il est vivant ?
-Tu vois bien qu’il respire, Ucobo.
Elidorano flottait dans la haute couche, là où les parois de l’Eldlialtel se rétrécissaient pour ne former qu’un mince conduit dans lequel toutes les silhouettes éthérées s’engouffraient, avides de nouvelles visions. Il allait s’y engager quand quelqu’un ou quelque chose lui avait agrippé la cheville. Ou du moins la forme de son pied. L’Ambulant avait bien essayé de se dégager, mais son adversaire le tenait fermement. Puis le jeune homme avait été tracté vers le bas, inexorablement. Et ces myriades de couleurs qui palissaient à mesure qu’il s’éloignait…
-Il faudrait peut-être le réveiller.
-En général un petit temps de réadaptation est nécessaire. C’est tout à fait normal.
-Mawako !
Elidorano entendit les pas précipités qui se rapprochaient. Une main lui saisit l’avant-bras, l’autre toucha sa tempe, le jeune homme ouvra à nouveau les yeux, à demi cette fois. Des yeux cuivrés sur une peau d’ébène lui faisaient face. La Broll portait une étrange boucle d’oreille en étain. D’instinct, l’Ambulant tendit la main et effleura l’objet.
-Ornyfa mawako kacou ! s’écria la jeune femme.
-Arrêtez ça où vous allez faire saigner le soleil. Regardez, le ciel est déjà rouge !
Tandis qu’il reprenait ses esprits, Elidorano sentit qu’on l’aidait à se relever. Bientôt il put constater qu’un petit groupe de personnes l’entourait. Il y avait Ucobo, Katala et Marie, dont il avait reconnu les voix. Sa mère était là aussi. Andreas et Katala lui tenaient chacun un bras. A vrai dire, s’il s’était sentit chancelant au premier abord, le jeune homme retrouvait peu à peu l’équilibre.
Une autre personne se tenait plus en retrait. Une impression de fragilité émanait de sa silhouette fine et frêle. Il devait dépasser les deux mètres. Ses habits dissimulaient la maigreur que l’on devinait à l’étude de son visage creux et étiré et ses membres difformes dans leurs proportions. La face sèche aux pommettes saillantes ne présentait aucune pilosité, il était chauve et à première vue imberbe, ne possédait pas l’ombre d’un sourcil et Unifaw seule savait s’il avait simplement des cils. Les iris ocres du singulier personnage le fixait avec insistance.
Elidorano devina qu’il devait être à l’origine de son retour en Leeri. Aussi, et toujours soutenu par ses deux amis il se dirigea vers lui.
-Merci.
-Tu es chanceux petit Ambulant que ce soit moi qui t’ai retrouvé. L’Eldlialtel n’es pas fait pour ceux de votre espèce. Et les Prophètes ne sont pas les seuls à arpenter ces lieux.
L’inconnu s’était exprimé d’une voix fluette et tranquille. Tandis qu’il parlait, il avait posé quatre de ses doigts sur le front d’Elidorano. Une fois qu’il eut terminé, il se retourna et franchit sans un mot la frontière d’un mauve pâle qui lui faisait face, pour disparaître dans un geyser de teintes diaphanes.
Le jeune homme s’étira sur la paillasse. Celle-ci était constituée d’un amoncellement de feuilles de palmiers, les plus souples étant posées sur le dessus. Il écouta un instant la respiration presque régulière de sa « mawako » : son âme sœur. Même dans le noir, il avait la certitude qu’elle ne dormait pas. N’y tenant plus, il lui passa un bras autour de la taille et lui mordilla l’oreille.
-Sous l’œil de l’Esprit-monde, je jure que cette journée est l’une des plus mémorables de ma courte vie ! murmura-t-il.
Katala roula sur le dos pour lui faire face.
-Et quelles étaient les autres ?
Elidorano tenta de repérer les yeux de la jeune Broll malgré la pénombre, mais avec un piètre résultat. Sentant son souffle chaud tout près, il effleura les lèvres de sa compagne du bout des doigts.
-Qu’est-ce que tu as vu en traversant l’Eldlialtel ?
Katala émit un mince soupir avant de se pencher sur sa nuque pour y déposer un baiser.
-Des images. Des scènes du passé… Le Lac des Illusions…
L’Ambulant sourit.
-Je l’ai vu moi aussi.
Puis il reprit d’une voix plus sombre :
-Mais ça ne s’est pas arrêté là. Ensuite j’ai assisté à des… scènes qui n’appartiennent certainement pas à mon passé.
Comme sa compagne ne répondait pas, il poursuivit.
-Et puis il y avait cet homme dans un palais. Il me parlait librement. En fait on aurait dit qu’il m’attendait…
Etonné par l’absence de réaction de la Broll, il pivota dans sa direction. Celle-ci se dégagea de son étreinte avec un petit rire.
-Qu’est-ce qu’il y a ?
-Tu verras. Il faut attendre un peu maintenant.
Même dans la pénombre, Elidorano devinait qu’un mince sourire étirait les lèvres de Katala.
-Que sais-tu sur les Prophètes ? lui demanda-t-il finalement.
La jeune femme sembla s’accorder un instant de réflexion avant de répondre.
-Pas grand-chose. Ils sont liés au culte de Naplot. Et puis ce sont eux qui gardent l’Eldlialtel. Ils passent leur vie au sein de la Grande Fissure… Et quelques fois ils délivrent des prophéties aux prêtres de Naplot.
Elidorano fit la moue. La réponse ne le satisfaisait pas. A ses yeux le Prophète qu’il avait rencontré n’était pas un humain. Sinon comment pourrait-il survivre et faire un avec l’Esprit-monde pendant toute une vie ? Etait-ce ainsi que les prophéties se répandaient à travers le monde ? Il n’avait jamais été à Illyothez, mais Barné lui avait une fois dit qu’au sein de l’université se trouvait une immense bibliothèque répertoriant bon nombre de textes mystérieux dont les prédicats n’avaient pas encore été vérifiés.
Et puis l’inconnu du palais… était-il un Prophète lui aussi ? C’était peu probable. Il avait les manières d’un homme de pouvoir, l’assurance et la décontraction dont il avait fait preuve renforçait cette impression. Il était très certainement de sang royal. Qu’était-il dans ce cas ? Il n’habitait vraisemblablement pas dans les terres marchandes, autrement il ne l’aurait jamais confondu avec un Ruhon. S’il avait un accent celui-ci était très faible, mais au vu de sa coiffure et de son teint basané il viendrait plutôt du sud-est. Puisqu’il se trouvait dans un palais il ne pouvait provenir que de l’empire Dezan ou des terres Drinad. Quant à l’architecture du palais… Elidorano n’en avait jamais vu de semblable. Ce devait être un lieu très particulier, probablement associé à une civilisation ancienne.
« Sais-tu que tu me dois trente ans de ma vie Elidorano ? » … Que voulait-il dire par là ?
Katala lui tata à nouveau le cou.
-Ah voilà. Il est parfait.
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