Murmure entrouvre la porte avec hésitation, laissant apparaître dans l’interstice son visage rond et juvénile.
Elle embrasse d’un coup d’œil l’ensemble de la pièce. Elle repère rapidement le baron, assis à son bureau. De petits cliquetis métalliques lui parviennent, confirmant son appréhension.
Il lui tourne le dos. Elle en profite pour se glisser dans la pièce sur la pointe des pieds. Précaution inutile : ses baskets imbibées d’eau couinent au contact du sol, avertissant l’homme de sa présence. Il se retourne.
- Tu pourrais frapper à la porte. C’est la plus élémentaire des politesses.
Elle balaie son sermon d’un revers de main. « J’ai frappé. Plusieurs fois. Vous ne répondiez pas, alors je suis rentrée. » Elle fronce le nez en voyant Apocalypse dans ses mains. « Encore avec ça ?
- Ils refusent de s’assembler imparfaitement, soupire le baron en se laissant aller contre le dossier de sa chaise. Cela fait plusieurs jours que j’y travaille, et sans résultat. Je vais finir par croire cette légende à propos du Chaos…
- Pourquoi est-ce qu’on ne va pas à la rencontre de son représentant, sur Terre ? »
Le baron a croisé les bras en signe de résignation. Il jette un regard à l’atlas qui occupe tout un pan de mur, secoue la tête. « C’est trop tôt. À la fin de la semaine, éventuellement…
- Vous allez faire quoi en attendant ? »
Pour toute réponse, il désigne les quatre parties d’Apocalypse du menton. Quatre anneaux, de la taille de bracelets, empilés sur une feuille noircie des notes du baron. La seule préoccupation de ce dernier depuis près d’une semaine.
Murmure soupire très distinctement pour marquer sa désapprobation.
- Vous devriez plutôt faire une pause dans vos recherches. Ça devrait vous faire du bien de dormir un peu et de manger un morceau. (Elle renifle discrètement et plisse de nouveau le nez). Et de prendre une douche, aussi, ajoute-t-elle avec un regard éloquent en direction de sa chemise tachée.
- Chère Murmure… Que ferais-je sans toi et ta délicatesse !, rétorque le baron avec une théâtralité toute ironique. Mais tu as raison. Sur tous les chapitres, celui de la douche compris. Néanmoins, un dernier essai…
- Ah non !, proteste la petite, véhémente.
Elle se dirige à grands pas (couinant) vers le bureau et saisit d’un revers les anneaux d’Apocalypse.
- Ces machins vont finir par vous rendre dingue ! Si vous n’arrivez pas à vous empêcher de les inspecter, alors c’est moi qui les garderai !
Le baron sourcille et reste silencieux. Il fixe Murmure avec insistance.
- Tu pourrais essayer, toi.
- Essayer quoi ?
- De mal les assembler.
Elle gonfle les joues, feignant d'être piquée. « Eh, si c’est une façon subtile d’insinuer que je suis bor… bordél… désorganisée…
- Je n’insinue rien. Tu peux essayer ? »
Il se lève pour lui laisser sa chaise. Elle lève un regard dubitatif vers lui, et s’assoit en marmonnant. Elle pose les quatre anneaux, alignés, devant elle.
- Bon, dit le baron, bien. On commence avec Famine…
- Je sais, le coupe Murmure, vexée.
Elle attrape le bracelet le plus léger. Il est blanc, orné de fleurs d’un rose soutenu. Elle hésite devant les trois autres bracelets.
- Guerre ou Pestilence ?, s’enquiert-elle.
- Pestilence, évidemment !, s'exclame le baron, abasourdi. On ne vous a pas appris "Le Chant des Cavaliers" ?
- Euh, si, mais j'ai pas tout retenu, admet Murmure avec un sourire d'excuse.
- Je te l'apprendrais quand j'aurais le temps. Enfin bref. D'abord Pestilence, puis Guerre.
- Pourquoi Conquête n’a-t-elle pas d’anneau ?, demande la jeune fille en s’emparant du second bracelet, couleur fuchsia, orné de quatre feuilles et parsemé de points blancs.
- Je l'ignore, Murmure. C'est pour cela précisément que je suis en pleine recherche depuis plusieurs jours. Je te tiendrais au courant de l'avancée de mes recherches là-dessus.
Murmure se contente d’hocher la tête, ne sachant que répondre. Elle ouvre la mâchoire du second anneau pour l’accrocher à Famine. Elle prend le troisième anneau, assez lourd, incrusté de pierreries et fortement coloré. Elle répète l’opération. Les trois anneaux commencent à former un genre de chaîne.
- Et le dernier, dit Murmure.
Elle saisit le quatrième anneau. Il est d’une couleur parme foncé, propre à certains vins, ou à certains poisons. Ses ornements se résument à quelques fleurs flétries.
- Mort.
Elle ouvre l’anneau et le passe dans Guerre. Les quatre maillons émettent un léger cliquetis quand elle les présente au baron. Il hoche la tête.
- Maintenant, dit-il, passe Mort dans Famine. Ne le fais pas soigneusement, vas-y d’instinct.
Une fois l’opération effectuée, la boucle sera bouclée. Elle s’exécute vivement et observe le résultat.
Elle tient Guerre dans sa main droite, Famine dans sa main gauche. Pestilence et Mort, bouclés tous deux dans les deux autres anneaux forment deux lignes horizontales. Le tout évoque un genre de cocasse paire de lunettes. Murmure laisse tomber l’ensemble, à la fois dépitée et soulagée, sur le bureau. Le Baron lui serre amicalement l’épaule. « Tu as essayé, dit-il en lui souriant gentiment. »
Elle a essayé, oui. Elle y a mis tout son cœur, et elle a échoué. Le baron lui-même a fait plusieurs tentatives auparavant, sans l’ombre d’un succès.
Murmure sent son cœur se serrer à l’idée que, quelque part sur Terre, il existe une personne capable d’exécuter cette tâche sans le moindre problème.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2904 histoires publiées 1299 membres inscrits Notre membre le plus récent est Camille Marin (CM) |