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Je me lève, enfile une robe de chambre et quitte la chambre sans faire de bruit.

Le vent souffle dehors mais il m’a semblé entendre quelque chose en bas, dans le grand salon.

Oh bien sûr, je ne connais encore pas tous les murmures du manoir, cela ne fait pas suffisamment longtemps que nous sommes installés mais comme le sommeil m’avait de toute façon fait faux bond, autant me lever et me dégourdir les jambes.

Je me dirige en premier lieu vers la cuisine, réchauffant un peu d’eau afin de me faire un thé.

C’est mon petit péché mignon. Certains sont fins œnologues, moi c’est les thés et j’ai une collection issue des quatre coins du monde à faire pâlir un Tsar.

Mes doigts courent sur l’acajou de la magnifique boîte ouvragée tandis que je me décide et c’est tasse à la main que je pousse les imposantes doubles portes qui mènent au grand salon.

Nous n’avons pas encore tout aménagé. Nous prenons notre temps pour chaque chambre, chaque salle, chinant ici et là les pièces anciennes qui feraient revivre cette belle demeure comme à l’époque, lui rendant ses heures de gloire après ces années d’abandon.

Aussi le grand salon est une vaste pièce au magnifique plancher mais seulement pourvue d’un long tapis de soie, d’une table ouvragée du XVIIIe siècle et de ses six sièges assortis.

Je tâte le mur de ma main libre, cherchant l’interrupteur afin de faire la lumière sur l’ancienne salle de réception.

Je m’y reprends à plusieurs fois contre les boiseries murales avant de finir par mettre la main sur le petit bouton.

Je lève la tête, croisant mon reflet sur l’élégant miroir qui surplombe la cheminée de marbre et ma bouche s’arrondit sur une exclamation muette.

Je cligne plusieurs fois des yeux, ne croyant pas ce que je vois. Suis-je éveillé ? Est-ce un rêve ou un tour de mon esprit fatigué ? Mon imagination peut-être ?

Je m’avance à pas mesurés dans la pièce…Non, cela semble trop… « palpable », réel, pour n’être qu’une illusion..

Il me suffirait de tendre la main et de toucher pour vérifier par moi-même mais rien ne pourrait me convaincre de procéder à un tel examen.

Je me tourne, et me retourne, mon reflet suivant mes gestes depuis les miroirs qui ornent la pièce, comme s’il me regardait faire l’air de dire « eh oui, pas mal hein ? » avec un sourire narquois.

Ce doit être un rêve…

Mais peut-on rêver de façon si réaliste tout ceci ? Peut-on tromper tous ces sens en une illusion ?

Car on peut presque encore sentir l’odeur chaude et épicée d’un thé de Noël, l’arôme vibrant de la cannelle mêlée à la gourmandise de la pomme. Il y a aussi ce parfum sucré d’enfance des barbes à papa et cette senteur si particulière et un peu âcre des bougies que l’on éteint.

Presque, car je me refuse à donner réalité à ce que je vois, ce que je sens.

Non ce doit être un rêve.

Nous sommes aux petites heures du matin et le soleil a bien du mal à percer les nuages, donnant à la pièce une lumière un peu terne, comme si tout était recouvert d’une fine trame grise. La lumière du lustre ne suffit pas à estomper cette morne impression.

Ce silence un peu trop lourd, ici une chaise encore de travers près de la longue table en chêne…Une flûte où meurent encore quelques bulles de champagne… Les ballons qui se dandinent paresseusement au lustre de cristal, attendant qu’on les détache… Des confettis qui tapissent le plancher, se faufilant jusqu’entre les lattes… Si je tends l’oreille, j’ai la certitude de pouvoir entendre un orchestre jouer une mélodie joyeuse, entraînante et pourtant, l’étonnement passé, tout cela m’emplit d’une douce nostalgie.

J’ai l’impression tenace que la fête s’est finie comme en surprise. Comme si les invités avaient dû partir précipitamment…

Je m’avance sur l’épais tapis d’Orient, atténuant au maximum mes pas comme s’il ne m’était pas permis de troubler cette ambiance solennelle et me dirige vers l’imposante cheminée.

Je touche du bout des doigts les angelots aux courbes glacées, éternellement contemplatifs qui l’encadrent avant de m’attarder à l’horloge. Une magnifique pièce de bronze qui n’était pas là avant…

Mais qu’importe, les flûtes de champagne non plus, ni les ballons et encore moins la musique…Alors qu’est-ce qu’une horloge dans cette folie ambiante ?

Derrière moi j’entends le son vaporeux de tissu qui bouge, comme des robes froufrouteuses lorsque l’on danse.

Juste un rêve.

Un détail me frappe, l’heure indiquée est restée figée à minuit. Le temps se serait-il interrompu à ce moment ?

Un frisson me parcourt…Minuit…Bien sûr… Une certitude me vient à l’esprit, aussi claire que de l’eau de roche. Minuit c’est l’heure où les masques sont tombés et où cette somptueuse réception a viré au drame.

Pourquoi déjà ?

La musique autour de moi se fait plus forte, plus oppressante aussi.

Les arômes qui flottent dans l’air sentent maintenant la vieille poussière et me prennent à la gorge.

La petite clé sculptée du remontoir se trouve là, juste sous le lourd socle de bronze mais je n’ose m’en saisir.

Cette clé ouvre sur un autre monde, un univers un peu fou où tout serait possible. Où tout serait un peu plus sombre, plus lugubre. Un monde étonnamment semblable au notre mais avec quelque chose de fou comme si l’air pouvait être liquide et le feu glacé, comme ce monde que l’on aime s’imaginer avec quelques frissons quand on est petit, de l’autre côté du miroir.

Quand je reviens à moi pourtant mes doigts sont déjà posés sur la petite clé métallique et je les retire précipitamment comme si elle m’avait brûlé.

Non.

Juste un rêve, mais tout de même.

Non, je dois quitter cette pièce avant d’être happé par cette ambiance malsaine.

Je parcours encore une fois la pièce du regard, saluant d’un signe de tête mon reflet maintenant grave et sérieux.

Cela aurait pu être une si belle réception…

Je me dirige à pas soutenus vers les doubles battants d’acajou qui mènent au couloir quand quelque chose m’interrompt net.

Un son.

Pas très fort, on pourrait croire à l’un de ces nombreux bruits qu’exprime toute maison ancienne, mais même si je ne les connais pas encore tous, cela n’a rien d’un craquement, d’un sifflement, ou encore d’un chuintement de vent.

Je tends l’oreille et distingue un peu mieux…

Je reconnais ce qui se joue et un frisson remonte désagréablement le long de mon dos, hérissant chaque petit poil, chaque petit cheveu jusqu’à la base de ma nuque.

Je reconnais ce qui se joue pour avoir eu le loisir d’entendre ceci tout au long des rêves que j’ai fait pendant des semaines avant que l’on n’emménage ici.

Ces notes qui m’avaient rendu fou dans notre précédent appartement, me décidant à déménager dans ce manoir au prix ridiculement bas.

Juste trois petites notes qui se répètent à l’infini dans la nuit qui se meurt.

La mélodie de quelque comptine enfantine depuis longtemps oubliée…

Je n’ose me retourner car qui sait ce que les miroirs me montreront ? Le spectacle de quelque invité égaré ? De quelque danseur oublié ?

Du coin de l’œil je vois déjà des silhouettes se mouvoir avec grâce au loin.

Ridicule. Juste un rêve. Rien d’autre qu’un rêve.

Je referme les portes, distinguant maintenant des voix, des conversations, des rires même. Et plus loin j’entends la voix d’une petite fille qui chante quelque chose…

Juste trois petites notes…

Dois-je y retourner ? Leur dire ? Leur hurler ce qui se trame ?

Non, car tout ceci appartient au passé même si cela semble désagréablement trop présent et avec un pesant sentiment de lâcheté je verse mon thé dans l’évier, remontant me coucher.

Le lendemain le réveil sera difficile comme un lendemain de fête. La bouche pâteuse et les yeux collés je ne vois cependant que trop bien le petit ballon accroché au pied de mon lit et le petit mot qui y pend, écrit avec des grandes lettres maladroites et enfantines sur un papier jauni par les années…

« Viens jouer »…

oOo

Oui, juste un petit écrit sans prétention aucune inspiré par un lendemain de fête, vous savez de quoi je parle hein ? Ces ambiances un peu particulières quand la salle est vide et qu'il ne reste qu'un élément esseulé ici et là...Enfin vous voyez quoi ^^

A bientôt !


Texte publié par LadyAzuki, 20 août 2015 à 17h13
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