Le lendemain, Yeraz prit son courage à deux mains et se rendit au café. Il devait y retrouver ses amis. Après les événements de la veille, il n'était guère rassuré. Le jeune homme avait mal dormi. Réfléchir à ce qu'il allait dire pour arranger les choses sans pour autant changer d'avis, l'avait beaucoup occupé.
Le froid mordit la peau de son visage, lui faisant presser le pas. Mieux valait ne pas trop attendre s'il ne voulait pas finir gelé. De toute façon, il finirait par être obligé de faire face donc autant que ce soit fait le plus rapidement possible.
Il poussa la porte et la chaleur le frappa. Ses joues rougies par le souffle glacé se mirent à le piquer. Tout en secouant ses bottes pour faire tomber la neige, il enleva l'écharpe qui protégeait son cou et sa bouche.
Après s'être débarrassé de son manteau, le jeune homme chercha du regard ses amis. Il les trouva installés à une table dans un coin à l'écart. Baissant les yeux, il approcha. Dans son esprit les mots se bousculaient.
Aram se leva et lui fit signe. Il leur répondit d'un sourire.
Yeraz s'avança, en slalomant entre les groupes installés qui discutaient sans leur porter la moindre attention. Ici, on discutait du temps, de la famille ou encore d'un article récent du journal. Ce genre de sujet qu'il aurait rêvé d'aborder dans cet instant.
Arrivé devant ceux qui l'attendaient, il les salua d'un geste de la tête, ne sachant pas vraiment s'il devait s’asseoir ou non.
-On a choisi du thé, souffla la jeune femme en désignant les tasses sur la petite table ronde.
-Merci.
Ils s'installèrent tous les trois. Le silence se fit et aucun ne paraissait être prêt à le briser. Contre toute attente, ce fut Yeraz qui fit le premier pas. Autant qu'il dise ce qu'il avait sur le coeur tout de suite plutôt que d'attendre.
Il saisit la tasse blanche sur laquelle un coquelicot apportait une touche de couleur et de bonne humeur. En voyant la fleur que Gaëlla avait choisie, il ne put s'empêcher de sourire. Sur le récipient, un œillet rose déployait ses pétales dont le froufrou exaltait la sensualité.
Tout en fixant la plante, il s'imagina la jeune femme avec Aram. Ils discutaient l'un près de l'autre. Brusquement, ils se rapprochaient avant d'échanger délicatement un baiser. Il chassa cette idée. Plutôt que de s'imaginer des choses, Yeraz devait faire face à la réalité.
Prenant une inspiration, il commença à parler :
-Bon, je me lance. Je m'excuse pour ma réaction d'hier. Je n'aurais pas dû me comporter comme ça. Gaëlla, tu as le droit de décider de partir et je ne peux pas t'empêcher. Aram, toi aussi, tu as le droit de l'accompagner. Je ne pas pas vous obliger à rester. Vous connaissez mon opinion sur le sujet. Depuis toujours, je m'enflamme à la moindre évocation de ce « grand voyage » mais jamais je n'avais pensé que vous pourriez être d'un autre avis.
Il reprit sa respiration.
-J'ai beaucoup réfléchi et je dois vous dire pourquoi je déteste cet événement. Ma mère est partie lorsque j'étais enfant et n'est jamais revenue. Je ne la connais pas cependant j'aurais aimé grandir avec elle. Vous êtes mes amis. Mes deux meilleurs amis ! Je ne veux pas vous perdre.
Aram en resta sans voix. Comment pouvoir consoler Yeraz alors que cette perte le hantait depuis toujours. Gaëlla, quant à elle, posa sa main sur celle du jeune homme comme pour le rassurer.
-Je suis désolée. Je ne savais pas.
-Pareil.
Yeraz se sentit gêné. S'il ne parlait que peu de sa parente, c'était parce qu'il ne voulait pas être pris en pitié. Tout le monde savait que sa mère était absente mais beaucoup s'imaginaient qu'elle était morte. Il ne démentait pas.
-Je n'en parle pas, se justifia-t-il. Mais vous avez le droit de savoir. Cela vous permettra de comprendre ma réaction. Ça n'excuse rien, néanmoins.
-Ce n'est pas grave.
-On t'en veux pas, déclara Aram en lui mettant une claque sur l'épaule.
Gaëlla sourit.
-Je ne suis pas obligée...commença la jeune femme.
-Non !
Secouant la tête, Yeraz l'arrêta.
-Je ne peux pas décider pour toi. Tu es jeune, tu as la vie devant toi. Ici tu connais tout alors je comprends ton envie de voir le monde.
Il se tourna ensuite vers Aram.
-Regarde-la ! Elle est magnifique, pleine de vie, drôle ; je ne peux que comprendre que tu veuilles la suivre.
-Ce n'est pas…
A nouveau les sentiments que Yeraz lui prêtait hantèrent son ami. Se voilait-il la face, en disant qu'il n'y avait rien entre eux ?
-Yeraz, ce n'est pas la raison…
-Tu as besoin de lui. Il est fort et protecteur, il veillera sur toi.
La jeune femme ne sut quoi répondre.
-Je vous souhaite le meilleur !
Il termina sa tasse de thé et se leva.
-J'espère que vous reviendrez vite avec des choses à me raconter. Je vous laisse.
-Attend Yeraz !
Il leur sourit.
-Ne vous en faites pas pour moi.
Rapidement, il récupéra son manteau et s'emmitoufla dans son écharpe avant de quitter le café. Une seule chose comptait pour lui, à présent, rejoindre son foyer. Il pressa le pas. Ses yeux se voilaient d'une barrière d'eau et il tenta de retenir ses larmes. Il ne pouvait pas se montrer ainsi en public.
Ce ne fut qu'une fois la porte de sa maison fermée qu'il s'autorisa à fermer les yeux pour laisser coulait l'eau sur ses joues. Se débarrassant de ses vêtements trempés, il se précipita dans sa chambre. S'enfouissant sous les couvertures, il tenta d'oublier. Au moins, il savait qu'il avait fait ce qui, pour lui, était le plus juste. Cela ne le rendait pas heureux pour autant.
Ruminant ses sombres pensées, il finit par s'endormir.
***
Lorsque son père vint le réveiller, Yeraz fut surpris. Il s'extirpa de sous la couverture et rejoignit le salon. Son comportement allait paraître étrange et il ne savait quoi répondre si son parent venait à lui poser des questions.
Celui-ci n'en fit rien, heureusement. Le jeune homme fut accueilli dans la cuisine, par une bonne odeur de chocolat. Une tasse fumante l'attendait sur la table. Cela eut pour effet de réveiller la faim en lui. Sans un mot, il prit donc place sur sa chaise habituelle.
-Je me suis dit que ça faisait longtemps que tu n'en avais pas bu, expliqua son père.
-Ça me rappelle mon enfance, confirma le jeune homme.
Il plongea ses lèvres dans la boisson.
-Je ne crois pas me tromper si je dis que tu as dû avoir une discussion avec tes amis.
Un grognement lui répondit.
-Ça c'est mal passé ?
-Pas vraiment.
Yeraz haussa les épaules.
Un silence s'installa entre eux.
-Est-ce que tu lui en veux ? souffla soudain le jeune homme.
Son père le fixa, interloqué.
-A maman, je veux dire.
-Je…
Après un moment de réflexion, son géniteur finit par répondre :
-Je ne peux pas dire que je ne lui en veux pas. C'est faux. Je lui en veux d'avoir manqué tant de choses. De ne pas t'avoir vu grandir…
Yeraz se rendit compte à quel point, il était difficile pour son père de lui parler de ses sentiments. Jamais ils n'avaient vraiment discuté de l'absence de sa mère. Ils l'évoquaient parfois mais elle retombait aussitôt dans l'oubli. C'était trop difficile pour eux deux.
-Tu aurais voulu qu'elle reste.
-Bien sûr, j'aurais voulu qu'elle reste avec nous. Mais… Elle rêvait de ce voyage. Elle désirait tant partir et découvrir des nouveaux paysages. Tu es arrivée et elle a renoncé à ce rêve. Néanmoins, il restait bien ancré en elle. Chaque instant était une souffrance, elle dépérissait. Alors, je lui ai dit qu'elle pouvait prendre une année pour le faire, son maudit voyage. Tu aurais v ses yeux lorsque je lui ai annoncé ma décision. Ensuite, elle ne parlait que de ça.
Il s'interrompit. Yeraz vit combien c'était difficile pour lui d'évoquer ce souvenir. Sa voix tremblait.
-Elle voulait que je vienne. J'ai refusé. Ta place n'était pas dans ce genre d'expédition.
-Sans moi, tu serais parti ?
Le jeune homme serra sa tasse.
-Je ne sais pas. Je ne suis pas un aventurier. Dans un sens, j'étais soulagé car comme tu étais là, je n'ai pas eu à choisir. La suite, tu la connais. Elle est partie mais jamais revenue. Elle connaissait les risques et moi aussi.
-Mais tu ne lui as pas demandé de rester ?!
-Non. Je ne pouvais pas me résoudre à la voir dépérir là, devant moi. Je l'aimais trop pour l'enfermer. J'en ai souffert mais je pense avoir fait le bon choix.
-Elle me manque…
Yeraz eut l'impression d'énoncer une vérité qu'il avait gardé en lui pendant tout ce temps.
Son père hocha la tête, ne sachant quoi dire.
-Je te comprends, ajouta-t-il finalement. Elle me manque aussi.
Le silence s'installa entre eux.
-Qu'est-ce que je devrais faire, à ton avis ?
-Le problème, c'est que tu es le seul à le savoir.
Yeraz jeta un regard interrogateur vers son parent.
-J'en sais rien, lâcha-t-il. J'ai pas envie d'y aller. Mais en même temps, j'ai pas envie de les laisser seuls.
-Sache que quelque soit ton choix, je te soutiendrais.
-Merci, papa.
Le jeune homme soupira. Il avait encore du temps pour se décider. Enfin, cela ne voulait pas dire qu'il ne devait pas y réfléchir.
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