Alors qu’il s’échinait à frotter la table crasseuse provenant du sous-sol, dans l’espoir de découvrir sa couleur d’origine, quelqu’un frappa à la porte. Avec un soupir, Yeraz jeta l’éponge dans le seau dont elle fit jaillir de l’eau, qui se répandit sur le sol. Le jeune homme entrouvrit le battant pour découvrir son ami Aram.
Soulagé que ce ne soit pas son père, il recula pour le laisser entrer. Mieux valait faire vite s’il ne voulait pas refroidir tout le sous-sol. Tant que l’on bougeait la fraîcheur était supportable mais si l’on faisait une pause elle vous rattrapait.
Grand et large d’épaules, Aram avait les cheveux coupés en brosse et un sourire chaleureux qui faisait fondre de nombreuses filles. En le regardant, Yeraz n’avait aucun mal à comprendre le choix de Gaëlla.
Son ami fit quelques pas et retira son manteau, ainsi que ses gants, bonnet et écharpe. Même s’il tentait de le cacher, il paraissait soucieux. Yeraz le connaissait depuis suffisamment longtemps pour reconnaître ces mimiques.
-Tu es venu pour me parler ? demanda-t-il.
Autant savoir tout de suite où il en était.
-En fait, je viens tout d’abord pour mes parents. Ils voudraient que ton père leur fournisse des tables et des chaises. Il paraît que vous avez ça.
-Ouais. Une livraison vient d’arriver.
Il fit signe à son ami de le suivre et celui-ci lui emboîta le pas.
-Je suis en train de laver les tables.
« Les » était un bien grand mot puisqu’il venait à peine de commencer la première. Mais il aimait être optimiste. D’un geste il indiqua son ouvrage en cours.
-Elle semble à la bonne taille. Y en a combien ?
Aram jeta un coup d’œil en direction du bric-à-brac, comme s’il cherchait à recenser les meubles. Son ami disparut l’espace d’un instant et revint avec un papier inventoriant le contenu de ce que son père avait trouvé.
-Alors, j’ai trois tables et douze chaises allant avec. Si j’en rajoute d’autres, j’atteins les quinze.
-On prend les trois tables et les douze chaises.
-Ok.
Yeraz griffonna le nom de famille de son ami à côté des cases pour noter la réservation.
-Quand vous pouvez livrer ? Le plus tôt sera le mieux.
-Quand ça sera propre.
A nouveau, Aram porta son regard sur la poussière accumulée qui recouvrait l’objet.
-Bon courage.
Son ami haussa les épaules. Il avait l’habitude d’aider. Combien de temps avait-il déjà passé à frotter les meubles les plus divers ? Il n’en avait aucune idée mais savait que cela représentait un large pan de sa vie.
-Tu fais ça, tout seul ?
-Mon père va pas tarder à arriver. Il est parti chercher le rester.
Sans ajouter un mot de plus, il posa la feuille récapitulative et se saisit de son éponge. L’eau était déjà noire de crasse et commençait à refroidir. Il faudrait bientôt en changer. Comme à son habitude, il avait été trop vite. Si son paternel était présent, il lui aurait fait la remarque depuis longtemps.
Il aurait dû sortir plusieurs meubles et les mouiller. Pendant que le produit agissait sur le premier, il n’aurait eu qu’à en badigeonner un autre. Seulement… Seulement, il n’avait pas la tête à réfléchir suite à sa discussion avec Gaëlla.
Yeraz s’étira et s’avança vers la masse compacte que formaient les meubles encastrés les uns dans les autres. Les sortir de là, se révélait un jeu d’adresse et de chance. C’était peut-être la raison pour laquelle il s’était attaqué à la table en priorité. Il avait besoin de passer ses nerfs sur quelque chose et manquait de calme pour extirper d’autres objets.
-Tu veux un coup de main ? lui demanda Aram.
Il en avait bien besoin mais redoutait d’avoir une conversation avec lui. Celle qu’il avait eu avec Gaëlla l’avait déjà suffisamment ébranlé.
-Tu ne dois pas rentrer chez toi ? Je ne vais pas te retarder. En plus, tu risques de te retrouver crado !
-Pas grave.
Il y eut un petit silence avant qu’Aram enchaîne à nouveau :
-En même temps, je suis plus fort que toi donc j’ai des complexes à te laisser te dépatouiller seul. J’imagine bien l’info « un homme est mort écrasé par des meubles trop lourds pour lui ».
A ces mots, Yeraz ne put s’empêcher de sourire. Les taquineries de son ami étaient une chose habituelle dans sa vie.
- Fous-toi de ma gueule !
-Bah, justement c’est ce que je fais !
Mimant l’action de lui jeter l’éponge à figure, le blond déclara :
-Je te jure que quand j’en aurais fini avec toi, tes parents te reconnaîtront plus.
-C’est ça, menace-moi avec ta pauvre éponge.
-Elle est plus redoutable qu’elle en a l’air.
-J’imagine.
Les deux amis sourirent de leurs propres blagues.
-Bon, tu veux sortir quoi en premier ? lui demanda Aram.
-C’est pas une question de ce que je veux mais plutôt une question de ce qu’on peut sortir sans faire écrouler le tout. Mais je préférerais tes tables et tes chaises.
-On va trouver ça.
Après un rapide coup d’œil pour identifier les objets dans le tas, ils purent mettre en œuvre un plan d’action. Enfin c’était vite dit et cela ressemblait plus à « où poser tel truc pour éviter la chute des autres meubles ».
-Tiens, soulève ça, pendant que je retire la chaise.
Aram obtempéra. Le blond avait plus d’expérience que lui dans les jeux de constructions grandeur nature. Il dut se retenir d’éternuer. Chaque mouvement provoquait des nuages de poussière qui piquaient les yeux. C’était à se demander si Yeraz avait une immunité particulière. Apparemment non, puisque lui aussi, se mit à tousser.
-Pose doucement.
Le nouveau venu commença à fléchir les genoux, faisant descendre lentement le morceau de bois.
-Attends !
Le blond poussa rapidement un tabouret pour que le buffet puisse reposer dessus.
-C’est bon.
-Tu fais ça tout seul, d’habitude ?
-Ouais, enfin ça dépend. Des fois, mon père est là.
C’en était à se demander comment le jeune homme pouvait paraître aussi frêle. Aram devait avouer qu’il était surpris de le voir soulever les meubles.
-C’est physique !
-Je sais.
Le garçon était plus concentré sur sa tâche actuelle, extraire de sa prison une table que sur les félicitations de son ami.
-Comment tu fais pour éviter que ça tombe ?
-La chance ou l’habitude, choisis ce que tu préfères.
Yeraz indiqua la nouvelle procédure à adopter. C’était étrange de le voir dans le rôle du chef de chantier, lui qui d’habitude se mettait rarement en avant. Ce n’était pas dans sa nature, c’était plutôt une personne calme, à l’écoute. Une présence tranquille sur laquelle on pouvait toujours compter. C’était d’ailleurs pour cette raison que les deux aventuriers n’imaginaient pas se passer de lui. Il était un élément-clé et ils devaient le convaincre de les accompagner.
Pour cette raison, Gaëlla avait couru chercher le grand jeune homme et lui avait demandé de discuter avec Yeraz. Celui-ci se montrait si reticent à partir de chez lui que ce ne serait pas une mince affaire. Heureusement les deux autres savaient eux aussi, se montrer têtus.
Après avoir réussi à libérer une table et plusieurs chaises, les garçons n’avaient plus froid. Les efforts qu’ils avaient fournis se révélaient le meilleur moyen de se réchauffer. Pour remercier Aram, le blond lui proposa quelque chose à boire.
-Volontiers.
Il le suivit dans l’escalier. Une fois dans la maison, un regard au miroir leur annonça l’étendue des dégâts. Des traces noires allaient et venaient sur leur visage autant que sur leurs vêtements. Quant à leurs mains, mieux valait ne pas les regarder. S’en était à se demander si le savon pour les débarrasser de la poussière qui s’était installé dans les moindres rainures, existait.
-Je t’avais dit que ça allait t’embellir, se moqua Yeraz.
-Qu’est-ce que tu crois ? Que je suis le seul à être crade ?
Après une toilette rapide pour être plus présentable, le blond remit à nouveau l’eau à chauffer. Il jeta un coup d’œil aux deux tasses dans l’évier. Il en sortit d’autres.
-Désolé de t’avoir entraîné là-dedans. Je suis sûr que tu avais bien mieux à faire.
-Pas vraiment. Mes parents voulaient juste que je demande à ton père pour les meubles après, je pouvais faire ce que je voulais.
Il se tut. Savoir que son ami devait aider son père alors que lui-même n’avait pas de grandes obligations le mettait mal à l’aise. C’était lui-même qui avait demandé à ses parents pour venir chez Yeraz. Ceci expliquait peut-être pourquoi il ne voulait pas partir.
-Écoute, je sais que je ne suis pas le mieux placé pour te dire ça…
-Mais ?
Les deux thés fumants atterrirent sur la table devant chacun d’eux. Le blond s’assit.
-Ta phrase, elle contient bien un « mais ».
-Oui, on ne peut rien te cacher.
-J’attends donc la suite.
-Bon, je sais que tu as parlé avec Gaëlla. Tu sais ce qu’il en est pour notre départ. Je connais aussi ton avis sur le sujet. Mais nous avons vraiment besoin de toi.
Yeraz ne put s’empêcher de lâcher un petit rire.
-Toi aussi, tu t’y mets ? Je n'ai vraiment pas envie de parler de ça. En plus, j’ai encore du travail.
Son regard se fit évitant.
Aram ressentit une pointe de culpabilité mais il devait aller jusqu’au bout, le temps jouait contre eux.
-Je sais que tu nous en veux. Mais écoute-moi.
-D’accord.
Yeraz soupira, il n’y couperait pas.
-Écoute, on a vraiment besoin de toi !
-Pas la peine de répéter ça, cent fois !
-Tu es un élément important, Yeraz. Sans toi, l’aventure ne sera pas pareille.
-Je n’ai pas envie de m’imposer entre vous eux.
-Comment ça ?
-Tu crois que je n’ai pas compris ?!
Le jeune homme sentit sa voix changer, la colère qu’il ressentait depuis le début de l’après-midi avait fini par sortir sous la pression.
-Vous faites des réunions secrètes entre vous. Vous prenez des décisions importantes dans mon dos ! Après ce n’est pas la peine d’essayer de m’inclure pour éviter de culpabiliser !
Yeraz leur en voulait. En particulier parce qu’ils avaient fait ce qu’il n’osait lui-même faire. Après moult réflexions, il avait préféré taire ce sentiment. Le plus important était leur amitié. Il ne voulait pas gâcher ce qu’ils y avaient entre eux. Alors il avait tue l’amour qui était né dans son cœur.
Imaginer Aram et Gaëlla ensemble le rendait fou de douleur. Etait-il vraiment le seul à privilégier leur amitié ? Sa propre impuissante augmentait encore sa rage. Les autres avaient choisi pour lui, l’empêchant de faire le moindre geste pour se débarrasser du sentiment de fatalité qui l’étreignait.
S’il s’était déclaré avant peut-être aurait-il eu une chance mais maintenant cela n’avait plus aucune importance. Ils avaient fait voler en éclats leur amitié. A présent, les morceaux ne pourraient plus jamais se ressouder. Il était trop tard. Trop tard pour lui.
-Oui, je sais de quoi ça à l’air mais…
-Toujours des « mais » !
-Nous ne…
-J’ai bien vu ses sentiments quand elle parle de toi. Son visage s’éclaire. J’ai raison n’est-ce pas ?
Aram resta sans voix, réfléchissant l’espace d’un instant au comportement de Gaëlla.
-Quant à toi, elle est magnifique, gentille, drôle, toujours présente ! Je ne vois pas pourquoi tu refuserais d’être près d’elle. Tu ne le sais peut-être pas encore mais si tu cherches au fond de toi, tu sauras que c'est la vérité !
Son ami ne dit rien, ouvrant de grands yeux. Il voulait comprendre. Etait-ce vrai ? Est-ce que Yeraz avait pu voir quelque chose sous son nez, dont il n’avait même pas conscience ? Et puis d’ailleurs, pourquoi est-ce qu’ils n’étaient pas aller le chercher pour la discussion qu’ils avaient eut ? Au départ, il pensait à une coïncidence mais finalement est-ce que ce n’était pas ce que Gaëlla avait souhaité ?
Le blond se tut. Il se sentait vidé de toute son énergie. Tout ce qu’il gardait en lui, venait de sortir. Même si c’était de manière chaotique, le message était passé.
-Je…
Aram ne savait quoi dire.
-Je n’avais pas vu les choses ainsi. Je te jure.
-Si tu le dis…
-Il n’y a rien entre Gaëlla et moi.
-Peut-être pas maintenant.
Yeraz prit une grande respiration avant de se lancer.
-Que valent mes sentiments face aux siens ? Je sais que je ne gagnerais jamais parce que sa décision est prise et la tienne aussi, même si tu n’en as pas encore conscience. Je suis déjà perdant. Imagine un peu que je vienne avec vous, de quoi j’aurais l’air.
Le silence s’installa laissant le temps à Aram de digérer les informations que son ami venait de lui révéler.
-Ecoute-moi bien ! Nous avons besoin de toi. Ce que tu dis c’est peut-être vrai mais tu n’as jamais pensé que Gaëlla pouvait être comme toi ? Tu n’as jamais pensé qu’elle pourrait garder ses sentiments pour elle ? En tout cas, réfléchis-y.
Il se leva.
-Je vais y aller mais pense à ce que je t’ai dit.
-Seulement si toi aussi, tu le fais.
Pendant un instant, ils se fixèrent.
Aram finit par hocher la tête.
-Nous nous voyons demain.
-Comme d’habitude.
Lorsqu’ils se quittèrent, tous deux étaient dans le flou, cherchant à comprendre ce qu’étaient vraiment les sentiments des autres et ce qu’ils devaient faire vis-à-vis de cela. Leurs pensées se tournaient vers Gaëlla car au fond, elle était au centre de tout ceci.
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