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tome 1, Chapitre 6 tome 1, Chapitre 6

Sitôt le footballeur parti, l'ambiance s'améliora. De la vingtaine d'étudiants présents à mon arrivée, il n'en restait que trois : la jolie irlandaise, un petit brun qui lui tenait la main discrètement (ou du moins le pensait-il) et un jeune homme qui se trouvait certainement dans sa dernière année d'études au vu de son âge. Tous trois prirent place autour de la table, l'air décidé pour deux d'entre eux, je vous laisse le plaisir de deviner lesquels.

— Maria Doyle, se présenta la rouquine, et voici Daryll Temple et Eric Parsons.

Ainsi, c'était elle qui allait mener la danse. Il faut un sacré caractère pour suivre de pareilles études, d'autant plus lorsqu'on est une femme, et elle ne semblait pas déroger à cette règle.

— Howard Dess, vous pouvez m'appeler Nessie, c'est mon surnom dans le milieu.

— Ce n'est pas le surnom le plus viril qui soit, me fit-elle remarquer avec un sourire en coin.

A cet instant, j'eus l'étrange et désagréable impression de parler à Ella un soir de pleine lune après qu'elle se soit faite agresser, que son père ait débarqué à l'improviste, qu'on lui ai signifié qu'elle allait être mise dehors pour défaut de paiement du loyer et que son chien soit mort dans d'atroces souffrances.

Je me trouvais confronté à un choix difficile : lui coller mon poing dans la figure et dire adieu aux informations qu'elle détenait ou ravaler ma fierté et faire comme si de rien n'était. Je suis non-violent, je choisis donc la seconde.

— Je ne suis pas là pour parler de mon surnom, mademoiselle Doyle, mais de Harry Hattaway. Si l'un de vous a la moindre information qui puisse m'aider, je suis toute ouïe.

Contrairement à mes prévisions, Parsons se lança en premier alors que j'aurais parié sur l'irlandaise.

— Vous avez parlé d'une reine, dit-il, j'ai pensé que vous pouviez faire référence à Andrea Wills qui avait été élue reine du bal en 1946. Elle est morte fin décembre 47 avec toute sa famille. Apparemment, il y avait eu un problème de gaz ou je ne sais quoi, un truc vraiment atroce, aucun survivant.

— Quel rapport avec Harry ? demandai-je quelque peu dubitatif.

— C'était son cavalier pour le bal et il paraît qu'il a refusé ses avances. Peut-être qu'elle est revenue pour se venger et l'a tué ?

Possible, songeai-je. La moitié de l'université lui courrait sûrement après, son spectre pouvait très bien demander à un ou deux amoureux transis d'exécuter ses ordres en échange d'une promesse d'amour éternel. Tordu, digne d'une tragédie grecque, mais pas impossible pour autant.

— C'est une possibilité intéressante, dis-je, et je vais enquêter là-dessus. Autre chose qu'il me faudrait savoir ?

Cette fois-ci, Doyle répondit.

— Il y a un autre étudiant qui a disparu l'an dernier, en même temps que Harry. Il s'appelait Larry Lagren et j'ai signalé sa disparition à la police.

L'enquête n'a rien donné.

Elle avait baissé la tête en prononçant ces derniers mots et je ressentis un instant sa tristesse, comprenant que Larry n'avait pas été qu'un simple camarade de promotion, mais plus probablement l'amour d'une vie, aujourd'hui parti à jamais et remplacé par le pauvre Daryll, bien maigre palliatif à un cœur brisé.

Je masquai mon trouble en griffonnant sur mon calepin. Lagren pouvait fort bien être l'autre victime inconnue, mais je devais encore établir son lien avec Andrea Wills pour valider le raisonnement que les étudiants m'offraient sur un plateau d'argent. Il me fallait poser une question dérangeante à la jolie Maria.

— Larry avait-il des liens... disons poussés avec Andrea Wills ? lui demandai-je prudemment.

Elle rougit, signe que je touchais un point sensible, et véridique. Temple détourna le regard : il savait donc ce qui allait suivre, et cela le mettait très mal à l'aise. Je compris rapidement pourquoi.

— Larry et moi étions fiancés de longue date, dit-elle. Je voulais me préserver pour le mariage, il n'en pouvait plus d'attendre et Andrea était... disponible.

Elle éclata en bruyants sanglots, Daryll essaya de la réconforter discrètement, Parsons regardait ailleurs, gêné.

Je ne pouvais que concevoir ce que ressentait Maria à cet instant, la frustration, la colère, la déception ressentie à découvrant que l'amour de sa vie n'était pas aussi pur qu'elle, mais que, malgré son geste impardonnable, elle continuait de l'aimer, ne pouvait se résigner à le quitter. La plaie resterait vive à jamais, car Lagren avait eu la bonne idée de mourir avant que la page ne soit tournée. Tragédie du présent, et pourtant les auteurs de l'Antiquité auraient adoré la mettre en scène.

Le temps de tirer ma révérence arrivait, aussi me levai-je.

— Je ne vais pas abuser de votre amabilité plus longtemps, dis-je avec une sollicitude que je ne me connaissais pas. Ne vous inquiétez pas, Maria, je mettrai la main sur le fils de chienne qui a fait ça et le renverrai aux Enfers.

Elle hocha la tête, Parsons se leva à son tour pour me raccompagner, laissant le couple se remettre. En chemin, il me confia ses propres doutes :

— Vous savez, monsieur Dess...

— Nessie, le coupai-je.

— Nessie, se reprit-il, vous ne devriez pas vous en faire pour Maria. Elle a été sacrément blessée dans son ego quand elle a découvert qu'Andrea était une putain et qu'elle couchait avec son fiancé, elle n'a toujours pas digéré, encore moins avec la mort de Larry.

— A condition qu'il soit bien mort, relevai-je.

Il sourit.

— C'est vrai. Après tout, peut-être que les deux disparitions ne sont pas liées, n'est-ce pas ?

Je secouai la tête.

— Avec les éléments que vous m'avez fourni et ceux dont je dispose, je crains fort que Lagren ne soit plus de ce monde.

L'expression de son visage s'assombrit.

— Je vois, souffla-t-il. Vous êtes du genre à jouer avec les mots et les gens, n'est-ce pas ?

Touché, songeai-je.

— Un peu, confessai-je. J'aime surtout aller au bout de mes idées et encourager les gens à faire de même. Même si je suis certain du destin funeste de Larry, vous ne pouviez en avoir aucune idée et parler de lui comme s'il était mort vous place immédiatement sur la liste des suspects.

Il s'arrêta brusquement, l'air choqué.

— Vous ne me soupçonnez tout de même pas d'être le tueur ? s'insurgea-t-il.

J'éclatai de rire, il sourit un peu, l'air penaud.

— Absolument pas, je vous taquinais juste. Mes excuses si je vous ai heurté.

Nous étions arrivés à l'entrée du campus, Parsons me tendit la main.

— Bonne chance pour votre enquête, me dit-il. J'espère de tout cœur que vous apporterez le repos à Harry et Larry, personne ne mérite ce qu'il leur est arrivé.

— Sauf peut-être Staline, répondis-je en lui serrant la pince.

— Sauf peut-être Staline, répéta-t-il en riant. Dieu vous entende.

Je souris intérieurement. Si Dieu m'entend, il se fiche bien de ce que je pense, il serait plutôt du genre à me dire « débrouille-toi tout seul Nessie, tu es bien assez grand pour t'occuper de tes affaires. »


Texte publié par Tiphereth, 24 octobre 2015 à 12h03
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