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tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

Le Balafré me donna une grande tape dans le dos en guise d'encouragement. Je grimpai en voiture tandis qu'Ella se dirigeait vers la station de métro la plus proche et qu'Ozzy démarrait en trombe : direction Chinatown et plus précisément Pell Street, au cœur du quartier.

Il y a là-bas une boutique qui n'ouvre qu'une fois par an, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre et où l'on peut trouver de nombreux articles traditionnels destinés à lutter contre la possession et les mauvais esprits. Le vieux Zed, le patron, est mort sous la dynastie Tang, mais revient prodiguer ses conseils aux vivants depuis l'ouverture de la Porte et constitue de fait l'un des indics les plus précieux qui soient pour les gens comme moi.

Lorsque je poussai la porte du magasin, je fus accueilli par trois choses, par ordre croissant de gêne occasionnée : le carillon suraigu qui annonce l'entrée d'un client potentiel, l'odeur et la fumée d'encens brûlé en quantité supérieure aux normes sanitaires et un gros asiatique barbu dont la laideur pouvait bien s'avérer fatale à une personne mal préparée.

A peine eu-je posé un orteil à l'intérieur que le vieux Zed se jetait sur moi et m'attirait contre lui dans une accolade à vous broyer les os.

— Nessie, tonna-t-il sans me lâcher, quel bonheur de te voir chez moi !

— C'est trop d'honneur que tu me fais, articulai-je, à bout de souffle.

— Tu es trop modeste mon ami. Que me vaut le plaisir ?

Je profitai d'un léger relâchement dans son étreinte pour m'en dégager et inspirai profondément. Bien mal m'en prit : l'encens s'infiltra à gros bouillons dans mes poumons et je fus pris d'une abominable quinte de toux que le vieux Zed voulu me faire passer avec quelques grandes claques dans le dos qui manquèrent de me décoller la colonne vertébrale.

— Alors Nessie, reprit-il quand la crise fut terminée, qu'est-ce qui t'amène ? Du thé ?

Je n'eus pas le temps de répondre qu'il se précipitait déjà vers une théière fumante et entreprenait de me servir. Je déteste le thé, mais comme d'habitude il ne me laissa guère le choix et me tendit une grande tasse emplie du breuvage aussi brûlant qu'honni. Si vous aviez encore un doute, vous avez un bel aperçu des raisons qui nous poussent à trouver tous les stratagèmes possible pour ne pas aller chez le vieux Zed.

— Je suis là pour le boulot, dis-je en faisant semblant de boire une gorgée de l'horreur qui habitait ma tasse.

Il grogna.

— Ça m'aurait étonné aussi, je ne t'ai jamais connu très soucieux d'entretenir de bonnes relations avec ton prochain. Alors, qu'est-ce qu'un humble fonctionnaire peut faire pour toi ?

D'après mes recherches, Zed n'avait rien de l'humble fonctionnaire : arrivé premier aux examens à une époque où il s'agissait d'une des professions les plus prestigieuses de l'empire chinois, il était mort durant la cérémonie d'intronisation, destin peu courant s'il en est.

— Ce n'est pas vraiment le fonctionnaire que je suis venu voir, Zed, c'est plutôt l'exorciste.

Nouveau grognement.

— Ça aussi, ça m'aurait étonné. Pourtant, tu as rarement besoin de moi pour renvoyer les morts aux Enfers, tu connais la marche à suivre, non ?

Je ne relevai pas la pique, le vieux chinois pratiquait l'art du débat et de la polémique à un niveau quasi-divin et ouvrir cette porte pouvait me coûter une nuit de discussions stériles à propos des mérites comparés de l'exorcisme oriental par rapport à son cousin occidental, dont j'étais un pratiquant occasionnel quoique, il faut le dire, fort doué.

— Ce n'est pas vraiment le problème de renvoyer un mort chez lui. Ozzy nous a collé dans une affaire pas possible et j'aurais bien besoin de tes lumières si je veux gagner ma croûte.

Il éclata d'un grand rire, un de ceux qui font trembler les murs et que n'aurait pas renié le dieu du tonnerre en personne.

— Allez, dis tout au vieux Zed, ça me fait plaisir de vous filer un coup de main à vous autres les jeunes.

Je me fis la remarque que j'étais plus âgé que lui au moment de son décès, mais me gardai bien de le lui faire observer, sans quoi je m'embarquais pour quatre ou cinq heures de débats autour de l'importance de l'âge dans la maturité et de l'impact que pouvait avoir le vieillissement d'un revenant sur sa psyché et ses facultés de raisonnement.

A la place, je m'adonnai à la pratique difficile du résumé sans omission du moindre détail, exercice auquel j'excelle à force de pratique intensive dans le cadre de mon travail. Zed écouta sans m'interrompre, ponctuant parfois une phrase d'un hochement de tête.

— Alors, demandai-je lorsque j'eus fini, qu'est-ce que tu en dis ?

Il but une gorgée de thé, reposa sa tasse, se racla la gorge.

— Rien. Des reines, il y en a des centaines dans les Enfers et je n'en connais aucune qui aime à tendre ce genre d'embuscades à de jeunes gens. Le crime n'est pas gratuit, mais en l'état je n'ai pas la moindre idée de qui, ou quoi, peut l'avoir ordonné. Sans compter une autre possibilité, que tu n'as apparemment pas envisagée.

— Une autre possibilité ? répondis-je, curieux. Laquelle ?

— Que le tueur soit juste un fou furieux qui entend des voix.

Je soupirai intérieurement, sans savoir quelle était la pire option : ne pas y avoir songé alors que c'était l'évidence même ou découvrir qu'à force de travailler avec des esprits, des zombies et autres loups-garou, je ne songeais plus aux explications rationnelles ? La question mériterait d'être abordée avec Percy à mon retour.

Je me levai, prêt à prendre congé.

— Merci du coup de main, dis-je, je vais sérieusement envisager l'idée du psychopathe si les autres n'ont rien trouvé.

— Pense au rasoir d'Ockham, Nessie, me glissa-t-il avec entrain tout en m'écrasant contre son imposante bedaine. Amuse-toi bien.

M'amuser. Je m'amusais chez moi, avec Percy, mais rien ne différait davantage de l'amusement que ce travail de détective privé. Je ramassais les merdes des autres, je réparais le foutoir qu'ils laissaient derrière eux, je pataugeais dans la fange de leurs crimes, de leur débauche. Ça n'avait rien d'amusant.

— Prends soin de toi, répondis-je, à l'an prochain.

Son rire accompagna mon départ et mes premiers pas dans la rue.

Sur le trajet du bureau, je repensai aux paroles du vieux Zed, au rasoir d'Ockham, une théorie qui implique que la meilleure solution est toujours la plus simple et évidente, ou du moins est-ce ainsi que je la comprends. A l'en croire, il ne pouvait s'agir que d'un déséquilibré entendant des voix et tuant un gamin au hasard, mais mon expérience m'a appris une chose : s'ils sont nombreux à plaider la folie, rares sont les vrais psychopathes.

L'autre hypothèse la plus évidente tournait forcément autour de la « reine » mentionnée par le meurtrier. Mais laquelle ? Si elle faisait assassiner des gens, on pouvait en déduire qu'elle-même se trouvait incapable de quitter le royaume des morts, ce devait donc être une tête couronnée humaine, trop vicieuse et cruelle pour être laissée en liberté à l'ouverture de la Porte et donc retenue aux Enfers. Mais cela n'expliquait pas le choix d'un étudiant. A moins que...

Et si c'était une reine du bal, de l'école, de la promotion ou une autre bêtise du genre ? Mais alors, pourquoi Harry ? Je devais reconnaître n'en avoir aucune idée, mais cette hypothèse méritait considération.

J'arrivai en dernier à Queens et me maudis pour avoir voulu marcher et m'aérer l'esprit. Minuit sonnait tout juste, le temps commençait à manquer et nous entrions à peine dans le vif du sujet. Je me servis un verre de whisky tandis qu'Ella nous narrait ses découvertes.

— Eric Rood est mort.


Texte publié par Tiphereth, 6 septembre 2015 à 12h12
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