Le trajet en voiture s'avéra aussi tranquille que possible un 31 octobre : les gens se calfeutraient chez eux à la nuit tombée, ne restaient dans les rues que des inconscients, des fêtards avinés, des policiers et tout ce que cette nuit apportait d'esprits, de zombies et autres monstruosités vomies des Enfers. Ozzy conduisait, sa grande tête heurtant le plafond à la moindre déformation de la chaussée sans que cela ne semble le déranger outre-mesure.
Hattaway disposait d'une belle maison sur Middagh Street, accréditant ainsi la thèse du Balafré sur son argent. Nous n’eûmes pas à frapper car, sitôt la voiture garée, je vis un homme d'un certain âge, tiré à quatre épingle malgré l'heure, ouvrir prudemment la porte et, du perron, nous regarder approcher à grands pas.
L'homme me mit mal à l'aise tandis qu'Ella faisait les présentations, on sentait chez lui un mal-être profond qu'il peinait à dissimuler, sans doute la perte d'un être cher. Au vu de son âge, je commençais à croire que son récent veuvage était troublé, en cette douce nuit, par le spectre de madame, revenue voir si son mari n'en profitait pas pour courtiser la voisine. Mais il avait parlé de meurtre et ne semblait pas le genre à assassiner sa femme.
L'intérieur confirma toutefois mes soupçons, l'éclairage obscur, les photos de Hattaway et d'une femme posées un peu partout, la décoration typiquement féminine, tout transpirait le veuf qui peine à tourner la page.
A droite en entrant, une porte menait à la salle à manger où trônait une grande table de bois, encadrée de nombreuses chaises. Sur l'une de celles du milieu, un jeune homme dont l'aspect translucide trahissait la nature de spectre profitant d'une nuit de liberté. Hattaway prit la place du maître de maison, Ella s'assit naturellement face au fantôme, détail qui m'interpella : si elle manifeste de l'intérêt pour quelqu'un, vous pouvez parier gros que le quelqu'un en question s’avérera bigrement important par la suite.
C'est donc avec curiosité que je m'installai à son côté, tandis qu'Ozzy occupait le siège en vis-à-vis de notre hôte. J'ai omis de le mentionner jusqu'ici, Percy dirait que c'est mon égocentrisme naturel, mais je travaille pour le Balafré, pas l'inverse, c'est donc lui qui se charge de traiter avec le client en temps normal. Ce qu'il fit assez abruptement, d'ailleurs :
— Monsieur Hattaway, dit-il, permettez-moi de faire quelques suppositions. Vous êtes visiblement quelqu'un d'aisé, sans pour autour rouler sur l'or. Trois cents dollars, c'est une coquette somme et on ne l'offre pas comme ça, j'en déduis que l'affaire qui nous occupe vous tient à cœur. Et au vu de notre ami ici présent et des confidences faîtes à mon collègue, je devine que vous allez nous demander d'enquêter sur sa mort, suis-je dans le vrai ?
Notre employeur eut l'air abasourdi par le flair d'Ozzy. Si je dois admettre que le patron est souvent digne d'un chien de chasse, tout cela était facile à comprendre et j’eus beaucoup de mal à concevoir en quoi cela pouvait être impressionnant ; Hattaway ne semblait toutefois pas de mon avis, car il s'écria :
— Incroyable, vous n'avez pas usurpé votre réputation ! Il s'avère que le jeune homme que voilà est mon neveu Harry, fils de mon regretté frère. Il a disparu l'année dernière et, jusqu'à aujourd'hui, je caressais l'espoir que rien de tragique ne soit arrivé. Et voilà que sitôt la nuit tombée, il paraît devant moi et dit avoir été assassiné.
— Vous avez donc immédiatement décroché votre téléphone pour nous appeler, n'est-ce pas ? demandai-je.
— Tout à fait, répondit-il. Un bon ami, Harold Wilson, m'avait recommandé votre agence il y a déjà quelques temps, je n'ai pas hésité une seconde.
Je pris le temps de réfléchir un instant. Le nom de Wilson ne m'était pas inconnu, il nous avait engagé en 1947 pour retrouver l'assassin de son épouse, qui s'était en définitive avéré être un strigoï sans autre objectif qu'infliger la souffrance. Ozzy et moi l'avions éradiqué un peu avant l'aube, après qu'il ait laissé de nombreux cadavres derrière lui. Un sombre affaire à bien y repenser.
— Donc, reprit le Balafré, vous voulez que nous enquêtions sur le meurtre de votre neveu, à partir des indications qu'il pourra nous donner, c'est bien cela monsieur Hattaway ?
L'intéressé hocha la tête, mais ce fut le spectre qui parla :
— Je n'ai pas vu mon meurtrier, mais je peux vous fournir de nombreux détails. Je n'étais absolument pas ivre, ma mémoire est parfaitement claire.
Sa voix était mal assurée, mais on devinait immédiatement un homme cultivé, aux études longues comme un été caniculaire, effectivement pas le genre à boire plus que de raison un soir où tout peut arriver.
Je sortis mon carnet et un crayon, prêt à prendre des notes, imité par Ozzy, tandis qu'Ella, comme d'habitude, mémorisait l'essentiel.
— Nous vous écoutons, Harry, dis-je.
Le fantôme hocha la tête et commença son récit :
— C'était Halloween dernier, j'étais sorti avec deux amis, Brent Pleavin et Eric Rood, à Downtown Brooklyn. L'endroit étant très fréquenté, nous ne craignions pas d'être attaqués par une créature de la nuit ou un spectre avide de vengeance.
Raté, songeai-je tout en griffonnant sur mon calepin. Le nom d'un de ses compagnons, le dénommé Rood, ne m'était pas inconnu, sans que je puisse me rappeler d'où je l'avais entendu, mais je savais une chose : c'était mauvais signe. Très mauvais signe.
— La soirée s'est bien passée, Brent est rentré au bras d'une jolie fille et Eric s'est proposé de me raccompagner en voiture. Lorsque je suis descendu, j'ai vu une forme ramper au sol et appeler au secours, j'ai cru qu'un sans-abri s'était fait agresser alors je suis immédiatement allé voir. Et quand je me suis penché pour voir, il a dit quelque chose comme « la reine te réclame » et m'a planté un couteau sous le menton, je suis mort sur le coup. Quand la Porte s'est rouverte, je suis immédiatement venu prévenir mon oncle, chez qui j'habitais, afin qu'il sache ce qu'il était advenu de moi.
Ozzy tapotait son carnet du bout de l'index, signe d'une certaine nervosité.
— Ça fait bien peu d'éléments pour une enquête monsieur Hattaway, dit-il. Il pourrait nous falloir des semaines pour retrouver le tueur, à supposer qu'il soit humain.
L'oncle et le neveu baissèrent la tête, visiblement dépités. Le Balafré sourit de toutes ses dents.
— Ça ne veut pas dire que nous ne nous mettons pas dessus. Voici ce que je vous propose : nous allons rassembler toutes les informations possibles au cours de cette nuit et serons payés à l'aube, quel-qu’en soit le résultat. Demi-tarif si nous n'avons pas trouvé l'assassin. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que votre neveu repose en paix, soyez-en certain. Marché conclu ?
Sans la présence de clients potentiels, j'aurais applaudi devant une manœuvre si brillante. Pas très honnête, mais vraiment maline, pour un peu on aurait cru avoir affaire à mon neveu.
— Marché conclu ! exulta un Orson Hattaway tout sourire. Si vous saviez à quel point je vous suis reconnaissant.
— Allons, monsieur Hattaway, répondit Ozzy avec un sourire terriblement hypocrite, c'est notre métier et vous nous payez pour ça. A présent, et avec votre permission, nous allons nous mettre au travail.
Sur une chaleureuse poignée de main, nous primes congé et, sitôt devant la voiture, vint le terrible moment du partage des taches. J'avais une petite d'idée d'où nous pourrions aller à la pêche aux informations, mais dire que je n'avais pas envie de m'y rendre aurait constitué un doux euphémisme.
Je me raclai la gorge.
— Il faudrait que l'un d'entre nous aille voir le vieux Zed, hasardai-je.
— Je vais passer voir mes contacts chez les flics, ils ont peut-être quelque chose, me coupa Ozzy.
— Je vais essayer de retrouver les amis de la victime et voir ce qu'ils ont à nous dire, ajouta Ella.
Je baissai la tête, totalement résigné.
— J'ai compris, je m'en charge... Ozzy, tu me déposes ?
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