-J’aurais vraiment préféré qu’il n’ait pas eu le temps de copier autant de tes souvenirs, marmonnait Nathan avec exaspération.
La remarque étant de toute évidence adressée à Duke, Astrid tourna brièvement la tête vers celui-ci, qui affichait un sourire comme on n’en avait plus vu chez lui depuis qu’on avait ramené au labo le corps du Shapeshifter qui l’avait attaqué. Quoique, en réalité, il avait probablement retrouvé un peu de sa bonne humeur dès le moment où Walter avait annoncé son intention d’utiliser Nathan comme cobaye, en tant qu’intermédiaire pour l’interrogatoire.
Depuis qu’elle travaillait pour le Dr Bishop, Astrid avait déjà vu à plusieurs reprises cette procédure mise en œuvre pour obtenir des informations de la part d’un mort- décédé depuis moins de 6 heures, c’était la condition sine qua non pour que cela marche, bien que Walter n’ait jamais daigné en expliciter clairement le pourquoi et ce malgré les railleries fréquentes de son fils sur la question.
Jusque-là, cela n’avait pas encore été utilisé sur un Shapeshifter, mais selon Walter ça ne représentait pas un problème insoluble. C’est tout juste s’il avait dû bricoler quelque peu son appareillage pour l’adapter aux spécificités du cerveau de l’hybride. En effet, l’idée maîtresse de l’affaire était et restait extrêmement simple (toujours selon Walter) : elle consistait à réactiver certaines fonctions cérébrales du défunt puis en harmoniser les ondes avec celles d’une personne bien vivante en les connectant entre elles. Ce qui permettait alors au cerveau du sujet vivant d’interpréter les signaux qu’émettait celui du défunt, et ainsi les transformer en réponses intelligibles.
Histoire de rendre les choses plus intéressantes, pour que cela fonctionne, celui qui servait donc d’intermédiaire entre le mort et l’interrogateur devait être fortement drogué et soumis à ce qui s’apparentait à des chocs électriques... Peter en avait déjà fait les frais en d’autres occasions et Astrid se souvenait très bien à quel point cela avait été inconfortable et même douloureux pour lui.
-Si le lieutenant veut bien nous aider, avait donc déclaré Walter, son infection pourrait être utile en la circonstance. La procédure sera plus efficace avec un sujet qui n’est pas gêné par les sensations désagréables qu’elle peut causer.
C’est ainsi que Nathan s’était retrouvé, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, relié par divers appareils à la créature hybride qui avait attenté à la vie de Duke un peu plus tôt. Et il « profitait » maintenant contre son gré d’une série de souvenirs plus ou moins avouables de ce dernier qui défilaient sans raison précise dans sa tête. Mais Walter, assez excité, décréta que c’était parfait.
-Cela fonctionne fantastiquement bien !, dit-il tout en grignotant un bâton de réglisse. Un certain nombre de données issues de la mémoire de Mr Crocker devaient encore être en cours de transfert et de classement lorsque le Shapeshifter a été abattu et le processus a simplement repris là où il s’était arrêté, ce qui indique que le cerveau est encore en parfait état de marche.
Comme de juste, il s’avéra que Walter avait raison. Non que cela surprenne Astrid, qui commençait à être habituée à ce que les méthodes improbables et discutables du vieux scientifique portent presque toujours leurs fruits. Bien souvent, elle aurait aimé qu’il soit clair dans ses explications, qu’il soit capable de rester concentré sur un sujet à la fois et qu’il se montre moins enfantin dans ses comportements. Pourtant, tout aussi souvent , elle se disait que ces défauts faisaient partie intégrante de son génie et qu’il serait moins attachant s’il était simplement… normal. Elle en était même arrivée à apprécier le fait qu’il oublie sans cesse son prénom. Pour elle, c’était devenu comme une preuve qu’elle était spéciale à ses yeux . Et elle ne pourrait d’ailleurs pas jurer qu’il n’ait pas commencé à un certain moment à se tromper volontairement, pour entretenir une petite plaisanterie qui incarnait si bien la connivence existant entre eux.
La personnalité et les capacités de Walter n’étaient bien entendu pas aussi facile à décrypter pour des personnes extérieures qui le connaissaient à peine . Astrid ne montra guère d’étonnement lorsque le lieutenant Wuornos, guidé par les questions du vieil homme, s avéra capable en accédant aux souvenirs du Shapeshifter d'indiquer précisément l’endroit où les acolytes de celui-ci comptaient retenir et analyser Archer. Leurs invités, eux, y compris le lieutenant lui-même, furent nettement plus abasourdis des résultats obtenus. Quant à Olivia, elle ne s’émouvait plus tellement de ces réussites et réagit au quart de tour en faisant monter une équipe d’intervention pour prendre le repaire de l’ennemi d’assaut.
Moins d’une heure plus tard, l’entrepôt qui servait de cachette aux Shapeshifters était donc encerclé à leur insu par le FBI. Et à proximité de là, une discussion allait bon train entre Olivia et les deux lieutenants de police de Haven, ceux-ci tenant à l’accompagner sur le terrain .
-Vous aurez besoin d’Audrey si jamais Archer est conscient et se met à paniquer, disait le lieutenant Wuornos. Et je serai là en renfort.
-Très bien, finit par répondre Olivia. Mais vous suivez mes instructions au doigt et à l’œil, tous les deux, c’est clair ?
Alors qu’elle leur fournissait des gilets pare-balles, Duke leva le doigt comme pour demander la permission de parler.
-Non !, firent Olivia et Nathan en chœur sans lui laisser le temps de dire quoique ce soit.
-Toi, tu ne pourrais qu’effrayer Archer, continua Nathan d’un ton sec .
-Vous resterez à l’écart des opérations avec Walter et Astrid en attendant qu’on ait sécurisé l’endroit, Mr Crocker, renchérit Olivia.
Duke eut un haussement de sourcils ironique.
-Vous pensez vraiment que j’allais demander à faire partie de l’équipe d’intervention ? Je voulais juste avoir un de ces trucs-là, fit-il en désignant le gilet pare-balles. On ne sait jamais qu’un de ces métamorphes vous échappe...
-Faites ce qu’on vous dit pour une fois et vous ne risquerez rien, répliqua Olivia sévèrement. Astrid, vous voulez bien… ?
-Bien sûr, soupira la jeune femme. Venez, Mr Crocker, on va attendre avec Walter dans l’un des fourgons. On saura ce qui se passe par radio interposée, si cela peut vous rassurer.
Quelquefois, Astrid regrettait en tant qu’agent du FBI de devoir si souvent rester en retrait à surveiller Walter lorsqu’il y avait de l’action. Dans ces moments-là, elle se sentait plus baby-sitter qu’autre chose, en particulier quand le vieux scientifique, sorti de son lieu de vie habituel comme c’était le cas actuellement, passait son temps à tripatouiller tout objet inconnu qui lui passait à portée de mains. Dieu sait que dans le fourgon d’une équipe d’intervention, il y avait de quoi faire des sottises. Et il en faisait.
-Merci, fit Astrid à Duke qui venait de confisquer au Dr Bishop une grenade lacrymogène dernier cri dont celui-ci cherchait avec curiosité à comprendre le mécanisme déclencheur.
-Pas de quoi. Je n’ai pas envie qu’il trouve accidentellement comment ça fonctionne.
Astrid sourit mais tout à coup jeta un regard en biais au jeune homme, tout en allumant la radio pour suivre la progression de leurs amis.
-Je vous tiens à l’œil aussi. N’espérez pas voler des armes ou quoique ce soit ici.
La main sur le coeur, Duke feignit une mine atterrée par l’injustice de ces suspicions mais s’abstint de protester à voix haute, préférant tout de même écouter ce qui se disait dans la radio.
On pouvait y entendre Olivia diriger l’intervention d’un ton ferme et assuré. Dans les minutes qui suivirent, ordres et bruit de fusillades rapides se succédèrent, le tout teinté d’une impression d’efficacité et de célérité remarquable.
Enfin, la voix d’Olivia s’adressa cette fois directement à eux.
-Bâtiment sécurisé. Astrid, on va avoir besoin de Walter.
Elle avait parlé d’un ton qui laissait à la fois une impression d’urgence et de tristesse. Astrid sortit du fourgon, suivie de Duke et du Dr Bishop. Ils entrèrent dans l’entrepôt et allèrent à la rencontre de Nathan et Peter qui se dirigeaient vers eux pour leur montrer le chemin. Tout au long du trajet, ils virent plusieurs ennemis, Shapeshifters ou mercenaires humains travaillant avec eux, que l’on menottait ou que l’on emmenait sur des civières, selon leur état.
Au détour d’un couloir, ce furent deux hommes en blouse de médecin qu’ils découvrirent, à genoux et les mains sur la tête. Interrogés par Olivia, ils se muraient dans un mutisme forcené. Lorsqu’elle vit Astrid et les autres arriver, la jeune femme leur désigna du menton une porte sur la gauche, qu’ils empruntèrent. Suivant Walter de près, Astrid découvrit alors ce qui ressemblait à une salle d’opération improvisée. Ses années de travail aux côtés du Dr Bishop l’avaient rendue aguerrie à voir des horreurs, mais la vision qui s’offrit à elle lui fit réprimer un frisson.
Allongé sur une table environnée de matériel médical, Rob Archer, sanglé et à moitié conscient, avait toute une partie du crâne ouvert, un champ opératoire entourant la plaie béante. Ses yeux remuaient comme s’il entendait ce qui se passait autour de lui, mais on lui avait de toute évidence administré des produits qui l’empêchaient de parler et qui, visiblement, ne lui permettaient pas non plus d’activer son infection. Le lieutenant Parker lui tenait la main et tentait de le rassurer.
A leur arrivée, celle-ci tourna un regard suppliant vers Walter, qui, la mine grave, s’approcha du patient et analysa les constantes qui clignotaient à l’écran, l’appareil émettant des bip-bip inquiétants.
- On les a surpris en pleine expérience sur le malheureux. Je crois qu’ils lui ont injecté quelque chose quand ils ont compris qu’on était là. Ils préféraient le tuer plutôt que de nous le laisser, fit Peter à mi-voix. Tu peux le sauver, Walter ?
-Je l’espère, fils, répondit celui-ci.
Astrid qui était restée un instant sous le choc, reprit ses esprits et se précipita à ses côtés, examina rapidement le matériel à leur disposition, prête à effectuer les tâches que Walter lui indiquerait et Peter se joignit bientôt à eux.
Pendant qu’ils oeuvraient à le sauver, Audrey continuait à parler au jeune homme d’une voix douce alors même qu’il avait sans doute perdu connaissance entretemps, tandis que le lieutenant Wuornos se tenait un peu plus loin, l’air sombre et pensif, aux côtés d’Olivia qui venait de les rejoindre.
-S’il survit, il ne sera jamais en sécurité nulle part, dit-il lentement.
-S’il survit, il n’y a pas que lui qui ne sera plus en sécurité, marmonna Duke.
-Ce n’est pas ce que je voulais dire et tu le sais très bien.
Ils s’affrontèrent un instant du regard et Duke, appuyé contre un mur, ne répondit finalement que par un haussement d’épaules.
-Par certains côtés, il vaudrait mieux qu’Archer soit mort, dit Olivia calmement.
Et après un instant pendant lequel tous s’étaient tourné vers elle, elle ajouta:
- Au moins aux yeux de certains.
Elle se dirigea vers la porte, jeta un œil au couloir d’à côté, où l’équipe d’intervention s’occupait des deux individus qui se prétendaient médecins et se livraient pourtant à ces expériences cruelles. Puis elle revint vers les autres, posa sur Archer un regard empreint de compassion. Après un moment d'hésitation, tout en restant ostensiblement à portée de voix pour ceux se trouvant le couloir, elle sortit son portable et appela son supérieur.
-Agent Broyles ? Oui, l’intervention s’est bien déroulée.
Elle fit une pause, eut un petit mouvement de tête à l’attention d’Audrey et Nathan, leur signifiant la confiance qu'elle plaçait désormais en eux pour la suite. Et elle reprit:
- Mais malheureusement, Monsieur, Archer est décédé.
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