Erwan raconte avec animation son weekend à Noah, son meilleur ami. Lorsque le professeur demande le silence, il lui adresse une œillade blasée. Ce dernier récupérant un billet tendu par Alexia qui cale une de ses longues mèches sombres derrière son oreille. Le regard du jeune homme s'attarde sur l'adolescente aux tenues bohèmes. Erwan songe non sans cynisme qu'elle devrait sérieusement prendre un abonnement tant ses absences sont régulières. Noah a le même cheminement de pensée :
— Elle devrait faire cours à l'infirmerie, ce serait plus efficace. Ce ne serait pas une perte, je ne suis pas sûr de connaître le son de sa voix.
Erwan laisse échapper un petit rire. Il est clair qu'Alexia gagne sans mal la palme des timides. Elle rejoint son cousin, Levi, et prend place à sa droite, comme d'habitude. Lorsqu'elle se redresse pour poser son cahier sur la table, leur regard se croise.
Le sourire du jeune homme disparaît et un sentiment de malaise l'envahit. Il est projeté dans son salon. La tête d'Alexia repose sur les genoux de son cousin qui l'appelle avec angoisse. Elle est d'une pâleur maladive et les traces de sang qu'il distingue sur ses joues lui nouent l'estomac.
Tout aussi brutalement, il est ramené à la réalité de la classe par son professeur qui le rappelle à l'ordre avec agacement. Il fait de nouveau face au tableau en fronçant les sourcils, désorienté.
Ça n'a duré qu'une fraction de seconde, mais ça le laisse fébrile. Qu'est-ce que qui vient de se passer ? Il jette une nouvelle œillade aux cousins. Rien ne semble différent par rapport à d'habitude : Levi couve du regard Alexia qui n'y prête aucune attention. Il lui arrive de montrer rude envers l'adolescente, mais il ne s'éloigne jamais l'un de l'autre.
Tous deux ont le visage couvert de taches de rousseurs et des yeux bleus-gris en amande. Bien qu'ils soient cousins, leur ressemblance tient presque de la gémellité, mais là où la forte mâchoire confère un certain charme à Levi, elle sied moins à la jeune fille. De même, leur mètre soixante-dix ne donne pas le même effet sur l'un et sur l'autre.
Par la force des choses, son esprit revient lentement au cours, mais il a des difficultés à se concentrer. Plus les minutes passent et plus il se sent mal. Barbouillé, le jeune homme envisage sérieusement de faire un tour à l'infirmerie.
— Et bien, tu ne manges rien ? l'interpelle Noah
Fatigué par son malaise qui n'a fait qu'empirer pendant la matinée, il répond du bout des lèvres :
— J'ai mal au crâne.
Diane l'observe avec attention vers lui en battant des cils :
— Tu n'as pas l'air très bien…
Erwan lui sourit et elle rougit un peu en retour. Il sait qu'il lui plait et il en joue souvent.
— Je pense que je vais demander quelque chose à l'infirmerie, précise-t-il.
Noah lui jette un coup d'œil soucieux :
— Tu veux qu'on t'accompagne ?
— Non, c'est bon. Je n'en ai pas pour longtemps. À tout de suite !
La soudaine solitude lui fait du bien et calme légèrement la migraine qui ne le lâche pas. Il passe la porte de l'infirmerie avec lassitude, plus vraiment sûr de pouvoir retourner en cours ensuite.
Erwan tombe nez à nez avec Alexia qui attend son tour. Le malaise revient avec plus de force lorsque leur regard se croise de nouveau. Il secoue la tête en espérant que ses pensées s'éclairciraient, mais rien n'y fait.
— Qu'est-ce que t'as à la fixer comme ça ?
Il réalise qu'il observe la jeune fille et tourne péniblement les yeux vers Levi.
— Désolé.
— T'as un problème ? insiste-t-il.
Il répond sans vraiment savoir pourquoi il doit se justifier :
— J'ai mal à la tête.
Alexia pose une main sur l'épaule de son cousin, le visage dissimulé par ses cheveux sombres.
— On y va, Levi ? Finalement, je pense que j'ai ce qu'il faut dans mon sac.
Ce dernier fait un mouvement en grommelant pour qu'elle retire sa main.
— Ouais, t'as raison. Au plaisir de ne pas te recroiser, lui lance-t-il agacé.
Erwan les regarde sortir en levant un sourcil. Levi n'est jamais très aimable, mais là, il bat des records. Rattrapé par la douleur, il préfère mettre ça de côté pour enfin demander un comprimé amplement mérité à l'infirmière.
Il soupire avec fatigue : sa tête lui fait de nouveau mal. C'est devenu si fréquent ces deux dernières semaines que sa mère a pris un rendez-vous pour passer une IRM. Il y a beaucoup réfléchi et il a déterminé que les premières crises remontent aux vacances de Toussaint.
Le jeune homme devait partir dans le nord pour enterrer son grand-père, mais après avoir lourdement insisté, il a obtenu le droit de rester chez lui. Étant donné qu'il l'avait vu qu'une ou deux fois, sa mère n'a pas fait trop de difficulté.
Ensuite, il lui a semblé que ça s'était calmé, mais à présent, il est en pleine rechute. Pour ne rien arranger, il a de nombreux cauchemars et ça ne l'aide pas à se sentir en forme.
— Encore mal à la tête ?
Erwan lance un air mauvais à Noah. Ce dernier fait de plus en plus référence à sa faiblesse et ça a tendance à lui taper sur les nerfs. Diane ne dit rien, mais aux regards qu'ils échangent, le jeune homme sait qu'ils commencent à trouver ça pénible. Maxime, un camarade de classe qui a récemment reçu le privilège de traîner avec eux, les observe avec intérêt se gardant bien de prendre parti.
— Ouais, répond Erwan, je dois voir un médecin la semaine prochaine.
Noah ne dit rien, mais son petit levé de sourcils parle pour lui.
— Tu devrais aller à l'infirmerie, lui dit Diane.
Erwan a la désagréable sensation qu'on veut se débarrasser de lui. D'un autre côté, il n'est pas sûr d'avoir le choix. Après un rapide salut, il traverse le couloir la tête basse. Lui qui a toujours été un garçon populaire à l'impression de devenir un moins que rien ces derniers temps. Il ne brille pas particulièrement grâce à son intelligent, mais il est bon en sport et plutôt mignon ce qui lui a permis d'être bien entouré et de profiter de ses années lycée. Du moins, jusqu'à ce que ces migraines viennent tout perturber. Vu de quelle façon cela évolue, il risque même de rencontrer quelques difficultés pour passer son Bac.
Le jeune homme monte lentement les marches, pas pressé de retrouver l'ambiance aseptisée de l'infirmerie. Il va s'engager dans le couloir quand on l'appelle. Il se tourne et observe avec surprise Alexia qui le fixe du bas des escaliers.
— Ouais ? demande-t-il.
— Tu dois oublier.
— Hein ?
— Non, tu peux oublier. Tout va bien, il n'y a pas de problèmes, c'est comme ça que ça doit se passer.
Erwan ne comprend pas ce qu'elle lui dit. Il descend deux marches, prêt à la questionner lorsque Levi apparaît.
— Xia, qu'est-ce que…
Erwan le voit suivre le regard d'Alexia dans sa direction. Sa mâchoire se crispe instantanément.
— Elle a dit un truc bizarre ? dit-il.
Surpris, Erwan acquiesce.
— C'est malin, tu vas passer pour une folle maintenant, lance Levi à sa cousine.
— Je… C'est bon maintenant, répond-elle.
— Parfait, alors on va en cours.
Levi entraîne la jeune fille avant qu'Erwan n'ait pu se ressaisir. Il lui faut quelques secondes pour se remettre en route en cherchant à comprendre ce que tout cela peut bien signifier. Étrangement, sa tête lui fait moins mal à présent. En fait, il se sent même bien. Perturbé, il hésite un moment, mais rebrousse chemin pour retourner en cours. Il devrait se réjouir, mais il commence sérieusement à se demander si Alexia et Levi ne lui cacheraient pas certaines choses. L'idée est étrange et d'autant plus parce qu'il n'a pas le souvenir de leur avoir parlé dernièrement. Ou d'avoir même eu une vraie conversation de plus de trois phrases.
Erwan se tourne dans son lit sans réussir à trouver le sommeil. Entre les maux de tête qui reviennent et le retour négatif de l'IRM, il ne sait plus quoi penser. D'un côté, c'est une bonne nouvelle, mais voir que les médecins n'ont aucune réponse n'est pas particulièrement réjouissant.
Énervé, il finit par se lever et profite de la fraîcheur de l'air pour tenter de soulager sa migraine. Appuyé sur le rebord de sa fenêtre, il observe la rue encore calme à cette heure très matinale. Il se perd dans la contemplation de la lumière se reflétant joliment dans les nuages.
Pris d'une pulsion, il attrape son jogging, bien décidé à aller courrir. Ce genre d'exercice adoucit généralement la douleur et l'aide à se vider la tête ce qui ne lui fera pas de mal.
Il griffonne quelques mots à l'attention de sa mère et la dépose en évidence sur la table de la cuisine. En prenant garde à ne pas faire de bruit, il se glisse dehors. L'air frais est agréable et il prend plaisir à rejoindre le parc encore désert à cette heure de la journée.
En prenant appui contre un arbre, il s'étire avec soin, soucieux de ne pas ajouter la douleur des courbatures à ses migraines. Au moment de s'élancer, il reconnaît deux silhouettes familières : Levi et Alexia. Eux aussi ont décidé de faire une séance de footing matinal. Sans vraie raison, il se met à leur niveau, près de la jeune fille.
Alexia ne tourne pas la tête vers lui, mais Levi lui jette un regard interrogateur. Erwan est surpris, mais ne dit rien. En silence, ils foulent le sol avec souplesse à un bon rythme.
Au bout d'une bonne demi-heure, il constate que Levi commence à fatiguer et serre les dents pour maintenir l'allure. Alexia au contraire n'aucune difficulté et paraît même pouvoir continuer indéfiniment. Bien décidé à ne pas perdre face à elle, il se concentre sur sa respiration pour tenir aussi longtemps que possible.
Au bout d'un quart d'heure, Levi s'arrête en haletant.
— J'en peux plus.
Alexia met quelques secondes à réaliser que son cousin ne la suit plus.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Je suis fatigué, ça fait un moment qu'on court !
Erwan observe la jeune fille qui ne semble guère souffrir de la séance contrairement aux garçons. Bien qu'en meilleure condition que Levi, Erwan n'aurait pas tenu beaucoup plus longtemps.
— Je continue, dit-elle avant de repartir.
Levi se contente d'un geste de la main pour réponse en reprenant son souffle. Erwan s'apprête à la suivre, mais il l'interpelle :
— N'essaye pas de jouer : tu vas te faire mal. L'endurance, c'est son truc !
Erwan décide de rester en sa compagnie en supposant qu'il sera certainement plus bavard qu'elle. Levi se laisse tomber dans l'herbe en poussant un soupir de soulagement. Il tire une bouteille de son sac à dos et en avale une longue rasade avant de la lui tendre. Erwan l'attrape et prend place près de lui.
— Elles vont mieux tes migraines ? demande soudain Levi.
Erwan retient une grimace en comprenant que toute la classe est à présent au courant. Il répond en marmonnant :
— Non pas vraiment.
— T'as l'air fatigué.
Bien que sa compassion lui paraisse particulièrement suspecte et il ajoute quelques mots :
— Je dors mal, je fais des cauchemars.
— On est dedans ?
Erwan se redresse de surprise et le dévisage avec des yeux écarquillés.
— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
— C'est rare, mais ça arrive, répond Levi, le regard dans le vague.
— Qu'est-ce qui arrive ?
— Qu'un possédé garde des souvenirs. Tu as causé du souci à Alexia, elle n'aime pas la tournure des évènements.
— Je ne comprends rien à ce que tu dis.
— Ouais, je m'en doute… C'est quoi tes cauchemars ?
— Alexia, blessée, la tête sur tes genoux.
— Ça ne me surprend pas, tu as sacrément flippé à ce moment-là.
— Tu veux pas être un peu plus clair ? demande Erwan, de plus en plus agacé.
— Je veux bien, mais tu risques de ne pas y croire. C'est tout le problème d'ailleurs.
— Mais tu vas parler oui !
Erwan se retient tant bien que mal de hurler. Levi lui jette un petit regard avant d'enfin donner quelques explications.
— Alexia et moi, on est des exorcistes. Tu as été possédée par ton grand-père quand tu l'as vu au funérarium et on a dû s'occuper de toi.
— Je ne me souviens pas du funérarium.
— Ça s'est passé avant qu'il ne transfère le corps pour l'enterrement.
— C'est… Je suis pas sûr de comprendre.
— Tu m'étonnes ! Mais, tu es quand même moins agressif que la première fois que j'ai tenté de t'expliquer ça.
— On a déjà eu cette discussion, demande Erwan, incrédule.
— Yep.
— Je ne m'en souviens pas.
— C'est normal.
— Comment ça ?
— Une fois que l'exorciste a fait son travail, le possédé oublie généralement ce qui s'est passé. C'est un mécanisme de survie. Comme c'est incroyable, l'esprit réinvente les souvenirs durant la nuit pour recréer quelque chose de plus crédible avec lequel il est plus confortable.
— Qu'est-ce que ça a à voir avec mes migraines ?
— Tu refuses les souvenirs que tu as créés. Tu veux te rappeler.
— Levi !
Le jeune homme en question sourit à sa cousine, furieuse, qui vient de les rejoindre.
— Ah, ça y est Xia, tu as fini ?
— On a dit qu'on ne devait pas lui en parler.
Erwan a soif d'explications :
— Pourquoi ? demande-t-il.
— Parce que tu avais une vie avant et qu'il n'y a aucune raison pour que ce qu'il s'est passé change quoi que ce soit.
— C'est trop tard Xia, ses migraines ne disparaissent pas et il nous voit après la bataille.
La jeune fille se tourne avec stupeur vers lui et lorsque leur regard se croise, la douleur devient à peine supportable. Il gémit en se prenant la tête entre les mains. Immédiatement, Levi réagit.
— Ah merde, Xia, aide-moi à le conduire à la maison.
Il sent des bras qui viennent le soutenir de chaque côté pour l'aider à se mettre debout. La migraine est telle qu'il a envie de vomir. Il a besoin de toute sa concentration pour faire un pas après l'autre. Le trajet lui semble interminable. Quand enfin, il est dans un canapé, il arrête de combattre la douleur et perd connaissance.
Les images se succèdent si vite qu'il a du mal à les analyser. Il se voit assis dans une cuisine qu'il ne reconnaît pas, en train de rire en compagnie d'Alexia et Levi. La jeune fille est penchée sur de vieux papiers dans un bureau à la lumière feutrée. Il fait face à une photo de son grand-père dans un uniforme nazi.
Levi, debout dans son salon, a un couteau dans la main et se tient prêt à agresser quiconque s'approcherait de sa cousine inanimée. La tête de cette dernière repose sur ses genoux et une silhouette fantasmagorique à son image sort de son corps. Lui-même sent une masse noire le quitter et un immense soulagement l'envahir. Pris d'un vertige, il se rattrape à une table pour regarder Alexia faire face à une ombre nébuleuse. Armée d'une lance, elle bataille avec acharnement réussissant enfin à venir à bout du démon.
Levi appelle sa cousine avec angoisse, mais elle n'a pas l'air de vouloir réintégrer son enveloppe charnelle. Après plusieurs minutes de supplications désespérées, la jeune fille revient à elle et Erwan voit sa poitrine se soulever dans un râle. Le visage encore déformé par la peur, Levi la serre contre lui pendant que des égratignures apparaissent sur ses joues.
Erwan ouvre brutalement les yeux et se redresse dans le canapé. Il lui faut plusieurs secondes pour retrouver son souffle. Levi est à son chevet et l'observe intensément sans pour autant laisser paraître la moindre émotion. Voyant qu'il reste silencieux, l'exorciste prend la parole :
— Ça va ?
— Je crois que… Je n'ai plus mal à la tête ?
— Bien donc ?
— Oui, je crois.
— Parfait ! Alors tu devrais passer un coup de fil chez toi, ton portable n'arrête pas de sonner.
Levi lui lance son téléphone et il l'attrape à la volée. L'objet se met presque immédiatement à vibrer et il s'empresse de répondre :
— Ah ! Erwan ! Je commençais à m'inquiéter, dit sa mère.
— Désolé, je suis tombé sur des amis et je n'ai pas entendu tes appels.
— Tout va bien ?
— Oui, je rentrerai pour midi, je pense.
— D'accord à tout à l'heure.
— À tout à l'heure.
Il raccroche et remarque de la surprise sur le visage de Levi.
— Quoi ? questionne Erwan avec agacement. Ça pose un problème qu'on discute encore un peu ?
— Non, je pensais juste que les souvenirs auraient définitivement disparu après le malaise.
— Vous allez pas vous débarrasser de moi comme ça.
— On dirait.
Malgré sa grimace, Levi ne semble pas mécontent à cette idée. Erwan l'observe en se demandant ce qu'il va découvrir d'autre : de toute évidence, il ne fait qu'effleurer la vérité. Le sourire aux lèvres, il attrape le verre d'eau que lui tend l'exorciste. Alexia entre sans frapper, se contentant de fixer son cousin.
— Il se souvient, dit-il simplement.
La jeune fille soupire en secouant la tête avant de s'adresser à lui :
— Quoi que tu apprennes aujourd'hui, soit assuré que ça n'a pas besoin de changer quoi que ce soit dans ta vie.
— Mais j'espère bien que si.
C'est un rugissement tant sa réponse est venue spontanément, presque indépendamment de lui. Il a la surprise de voir une esquisse de sourire se dessiner sur les lèvres d'Alexia. C'est la première fois.
— Et bien, ça promet dit-elle. Levi, débrouille-toi pour ne pas le mettre en danger.
— Oui, Xia.
Elle quitte les lieux sur cette drôle de mise en garde, les laissant en tête à tête. Levi s'enfonce dans un fauteuil en faisant craquer ses doigts.
— Alors, commençons par le commencement…
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