La faible lumière des réverbères éclairait les recoins des ruelles de Goldcrown. Nul ne s'y aventurait si tard la nuit. Pourtant, une silhouette restait nichée dans les ténèbres, laissant échapper une traînée de fumée qui s'éleva dans les cieux. Il s'agissait d'un jeune homme au regard perdu dans le vide, une cigarette coincée entre les lèvres. Où est-il allé traîné? Jacob, bien évidemment. Ils avaient toujours été ensemble... Au début, c'était leur nature qui les avait rapproché. Ils ne se sont pas tout de suite apprécié, mais ils savaient dès le départ qu'ils avaient besoin du soutien de l'autre pour survivre. Au fil du temps, les remarques stupides de Jacob étaient devenues une habitude, son esprit vif et confiant contrastant avec celui de son ami, qu'il définissait lui-même de "tordu" ou tout simplement de trop complexe. Et c'était le cas. Bien qu'il ne fût pas timide, c'était un vrai taciturne, cependant il n'en était pas moins quelqu'un de direct, parfois même trop.

Bizarre.

Manquant de tact.

Drôle de bonhomme.

Tel était Matthews, un jeune adulte... comme les autres. Ou du moins, c'était ce qu'il se disait, il ne savait plus vraiment ce qui était normal. Pourquoi? Hé bien, il fallait commencer par le commencement... Il y a des siècles, vécut Aethar, un roi du peuple daemon dont la puissance ne pouvait être égalée, et dont l'ambition menaçait les autres contrées, dans lesquelles subsistaient déjà des tensions. Un jour, il décida de frapper. Des années qu'il préparait cette guerre... Audace et ruse se côtoyaient plaisamment dans son esprit. Il n'attaqua pas sur un simple coup de tête, bien évidemment, il prit soin de placer des espions partout dans les autres pays, sans oublier quelques éléments gênants qui sauraient provoquer la terreur au sein des royaumes par divers attentats. Douteuses, les contrées visées finirent par remettre en question leurs propres alliances. Pour ne pas arranger les choses, elles s'affaiblissaient et s'appauvrissaient... Ces conflits menèrent finalement à l'inévitable confrontation, opposant tous les royaumes. Le domaine d'Aethar les écrasa sans mal aucun, et soumit la race humaine. Les autres espèces décidèrent de fuir et de se réfugier dans les Contrées Lointaines, un milieu hostile et étranger. Le peuple du roi dominant, scinda son territoire en deux, qu'il nomma l'Empire. Il régnait notamment dans les Inferni, où se trouvaient la majorité des daemon et des pires aberrations qui aient jamais existé. A la surface, se situaient les Dessus, fréquentés par ces humains ignorants des maux qui les touchaient, inconscients du fait qu'ils n'aient plus aucune maîtrise du monde.

Toutes les mémoires originelles de l'Humanité avaient été corrompues pour laisser place à de faux événements historiques qui auraient pu expliquer leur existence, la population était contrôlée, et toutes sortes de prétextes avaient été imaginés pour que les humains ne s'aventurent pas au delà des Dessus... Les daemon les avaient soumis, ils pouvaient les utiliser quand ils en avaient besoin, en tant que main d'œuvre, leur inventivité étant tout bonnement remarquable, ou même en tant que chair canon, quelques milliards de soldats pourraient être bien utiles pour d'éventuelles guerres. Alors, dans cette immense machinerie, que pouvait bien-t-il arriver? Les philocalistes. Voilà ce qui pouvait arriver. Des êtres humains qui développaient des capacités, qui, pire, avaient la possibilité de se défaire des daemon. Il y avait urgence; il fallait s'en occuper, et de façon radicale. Curieusement, ils n'en firent rien. De la clémence? Oh non, il ne fallait pas attendre de clémence de ces êtres là... En effet, ils avaient en tête une toute autre motivation. Ils pensaient que s'ils arrivaient à les dresser, ils deviendraient des leurs. Alors dès le plus jeune âge, ils se mirent à les enfermer dans des établissements, les couper de leurs familles le plus tôt possible et surtout, les apprendre à se soumettre. Vint ensuite la dernière étape; les aider à maîtriser leurs dons, qui seraient bien utiles à l'Empire dans le futur. C'était le stratagème employé. C'était ainsi que Matthew et Jacob, se retrouvèrent seuls élèves de l'établissement, officiellement nommé Maxwell University, dans lequel ils allaient passer une partie de leur vie. Ils ont tout de suite su qu'ils devaient se montrer dociles, sous peine de connaître l'inéluctable et mortel sort qu'ils leur réservaient. Les deux jeunes hommes avaient été élevés durement, aucune erreur n'avait jamais été acceptée, encore moins la rébellion.

Leurs maîtres étaient particulièrement sévères en ce qui concernait la désobéissance... Jacob en avait souvent souffert, de nature particulièrement agité, et ça ne s'arrangeait pas avec le temps. Plus il vieillissait et plus il...

« Vieux! T'es dans les vapes ou quoi? »

Matthew sursauta en reconnaissant la voix. Il était tellement plongé dans ses pensées qu'il n'avait pas vu arriver son ami. Il esquissa un sourire avant de hocher négativement la tête. Il leva les yeux envers la direction de son visage... En effet, Jacob avait toujours été plus grand que lui, et paraissait en général plus vieux que lui, bien qu'ils aient le même âge. Une barbe naissante s'éparpillait peu à peu sur ses joues et son menton, ce qui lui donnait des airs de jeune adulte de fin de vingtaine, alors qu'il venait à peine de fêter son dix-huitième anniversaire. Il essayait de se fondre dans la masse humaine, rejetant ses origines particulières. Il se baladait sans cesse avec des vêtements d'humains, comme son éternel casquette qui recouvrait ses cheveux teintés, autant dire que ses maîtres trouvaient pas cette façon d'agir tout à fait à leurs goûts.

« Je rêvais. déclara simplement l'adolescent à la cigarette, Où tu étais passé? »

Son meilleur ami ne répondit pas, se contentant d'arracher la cigarette de sa bouche. Il la jeta par terre et l'écrasa. Matthew le dévisagea avec surprise, avant qu'il ne comprenne en apercevant son regard. Il était inquiet, comme toujours.

« Jacob, ça ne peut pas me faire de mal. Je contiens probablement plus de bêtises qu'elle n'en contient. lâcha-t-il

- Je m'en fous, n'y touche pas. répondit Jacob, le regard tout aussi dur »

Son ami poussa un long soupir, levant les yeux au ciel. Quand il les rabaissa, quelque chose retint son attention... Il venait de remarquer le sac-à-dos que portait son interlocuteur. Qu'est-ce qu'il faisait avec un sac-à-dos? Était-ce le fruit de son imagination où ce sac émettait-il une lumière verdâtre? Quel bourrique! Il disparaissait sans rien dire, lui passait un coup de fil en lui intimant de venir ici aussi tard, et maintenant ça? A son retour, les maîtres seraient furieux...