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Les yeux plissés, le vieillard penchait son visage en direction du comptoir. Son regard suivait les gestes du serrurier qui lui faisait découvrir les secrets de sa future acquisition.

« Comme vous le voyez, cette serrure est bien plus perfectionnée que la précédente. Avec cette double sécurité, elle sera très difficile à forcer. Les meilleurs cambrioleurs se casseraient les doigts sur un coffre d'une telle qualité... »

Le vieil homme rit d'une voix chevrotante avant de lui répondre :

« Jeune homme, je n'ai pas besoin d'un matériel aussi sophistiqué. Je voudrais juste mettre à l'abri les quelques bijoux de ma pauvre Martha, avant que mon beau-fils ne mette la main dessus. Si seulement Berthe n'avait pas épousé un tel imbécile. Aaaah la famille, que de soucis !!! »

Nusumu Kagi laissa son client s'épancher sur ses problèmes domestiques. Pour l'instant, ils étaient seuls dans la boutique. Il pouvait passer un peu de temps avec lui s'il réussissait à vendre son premier coffre du mois. En ce moment, son budget se portait encore plus mal que d'habitude. Depuis qu'il avait ouvert son commerce, le serrurier avait failli mettre plusieurs fois la clé sous la porte. Le quartier de Nasakenai était le plus pauvre de la capitale. La plupart des habitants n'avaient pas assez de choses à protéger pour vouloir installer une serrure. Alors un coffre... Même si celui-ci était très petit, il lui permettrait de rembourser quelques factures.

« Laissez-moi vous montrer comment vous servir du système d'ouverture de secours... »

Une petite clochette retentit, signe que quelqu'un venait de pousser la porte du magasin.

« Bonjour, lâcha le nouveau venu, un homme brun entre deux âges.

- Bonjour monsieur, je suis ravi de vous revoir. Puis-je faire quelque chose pour vous ? répondit Nusumu.

- Non merci. Je regarde. »

Le serrurier se replongea dans la démonstration du coffre. Son client semblait sur le point de céder. Il finit par se décider quand le commerçant lui offrit une remise de 15%. Dix minutes plus tard, le vieillard ressortit en tenant un grand sac dans sa main tremblotante. L'autre homme s'approcha et s'accouda au comptoir.

« Tu lui as fait un joli cadeau à ce vieux schnock, lança-t-il. Ça ne vaut pas la peine de vendre du matériel à ce prix.

- Tu n'y connais rien. Alors laisse-moi faire mon travail et n'insulte pas mes clients !

- En parlant de boulot, tu dois savoir pourquoi je suis ici.

- Ouais, mais je pensais que tu passerais plus tôt. Tu m'avais parlé de la semaine dernière.

- Ça n'a pas pu se faire. La Brigade était sur nos traces, on a dû abandonner.

- Je vous avais prévenus de ne pas vous en prendre aux gouverneurs. Vous avez du bol que j'ai pu vous filer un tuyau à temps.

- C'est bien pour ça que tu bosses là-bas, non ? Tu ne vas pas te plaindre, ils doivent bien te verser une prime pour les heures que tu fais chez eux.

- Une paille... Bref, tu n'es pas là pour vérifier mes comptes, non ? L'affaire est pour quand ?

- Ce soir.

- Hein ? Vous êtes débiles ou quoi ? Et si je ne suis pas prêt ? »

Son collègue ne prit pas la peine de répondre. Il se dirigea vers la porte située à gauche du comptoir.

« On ne peut pas discuter ici, il y a toujours quelqu'un qui risque d'entrer. Ferme ton magasin et rejoins-moi à l'arrière. »


En fin de soirée, Nusumu sortit de sa serrurerie, une sacoche accrochée à l'épaule droite. Un vent violent soufflait et une forte pluie battait le trottoir. En soupirant, il passa une main dans ses cheveux noirs ébouriffés et regarda autour de lui.

« Quelle idée de bosser par un temps pareil ! Où est-ce qu'ils sont bon sang ? »

Il finit par voir une camionnette s'arrêter le long du trottoir. Cette fois-ci, il s'agissait bien de leur véhicule. Le serrurier grimpa à côté du conducteur après avoir jeté un coup d'oeil autour de lui.

« Salut Nus' ! le salua le chauffeur, un grand blond baraqué au teint mat. Alors, prêt pour ce soir ?

- Salut Mark... Mouais, je crois que ça devrait aller. Il faudra penser à être plus prévoyant la prochaine fois.

- Hé, faut sauter sur toutes les occasions ! Une affaire dans le quartier des plus gros richards de notre belle Keiyaku, ça ne se refuse pas !

- Kagayaku est aussi la zone la plus surveillée de la capitale. J'espère que vous avez pris toutes les précautions pour qu'on ne se fasse pas repérer.

- Relax ! Déjà on vise une bicoque isolée. C'est la villa du vieux Garryel, un riche commerçant à la retraite. Il n'y aura presque personne dedans. Le proprio est tellement parano qu'il vire tout son personnel la nuit venue.

- Avec une meute de teyrogs dans son parc, il ne vaut mieux pas embaucher de gardes. À moins de vouloir se faire arrêter pour meurtre...

- Ah ah, c'est bien vrai ! Il a choisi de sacrées sales bêtes, on va arranger ça ! »

Mélange improbable entre un tigre à dents de sabre et un hérisson géant, le teyrog était réputé pour ses talents de gardien. Il fallait l'élever dès son plus jeune âge pour s'en faire obéir. Grâce à son odorat très sensible, il lui était impossible de rater un humain se baladant sur son terrain de chasse. Souple et discret, il pouvait surgir par derrière et vous arracher la tête d'un coup de dents. Nusumu ne savait pas comment ses collègues comptaient calmer la bande de monstres qui les attendait. En tout cas, il resterait à l'extérieur tant qu'il ne les verrait pas neutralisés.

« Si seulement la pluie pouvait cesser de tomber... murmura-t-il. »

Au bout d'une heure, le serrurier commença à somnoler. Même s'il s'inquiétait pour sa vie, il s'était levé tôt et il avait travaillé toute la journée. Il s'enfonça dans un rêve étrange peuplé de serrures géantes garnies de crocs et de hérissons qui chantonnaient en courant sous une pluie de bijoux. Puis la situation devint inquiétante, car ce petit monde semblait avoir remarqué sa présence. Soudain, une serrure bondit vers lui et se jeta sur son épaule. Nusumu se réveilla en sursaut.

« Ça va ? lui demanda Mark. On est arrivés, faut pas traîner. On a déjà piraté le système de surveillance de la propriété. Je vais faire le guet pendant que tu bosses. Mais je crois que personne ne va vouloir sortir cette nuit, avec toute l'eau qui tombe.

- C'est déjà ça, répondit Nusumu. »

Le jeune homme saisit sa sacoche et se glissa hors du camion. Il était un des premiers à entrer en scène, tandis que ses collègues préparaient leur matériel. Il s'approcha avec prudence du portail imposant qu'il allait devoir forcer. Derrière, le parc plongé dans l'obscurité lui parut très angoissant. Il imagina de gigantesques teyrogs arpentant les allées, prêts à se jeter sur tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un quartier de viande. Charmante perspective... Bon, il ne devait pas se laisser impressionner. Mark avait raison, les circonstances étaient de leur côté. Même si cette expédition lui semblait trop précipitée, il avait choisi de les suivre. Il n'avait plus le droit d'hésiter à présent, il lui fallait se montrer à la hauteur. Il enfila les gants en cuir qu'il venait de sortir de son sac.

« Bon, voyons cette serrure... souffla-t-il en s'accroupissant devant la grille. »

À première vue, il allait affronter un système de fermeture ultra-perfectionné. Cependant, Nusumu avait déjà vaincu un adversaire semblable il y a quelques semaines. Finalement, le portail céda encore plus vite que prévu.

« Pas mal ! lança Mark de l'autre côté de la rue.

- Pas si fort ! Tu veux que la police débarque ?

- Aucun risque, y a personne. Je t'ai dit qu'on contrôlait les alarmes de la baraque. De toute façon, le proprio doit dormir à l'heure qu'il est.

- Avec ce qui gambade dans son jardin, il n'a aucune raison de s'inquiéter.

- Faut jamais être trop sûr de soi. C'est à nous de jouer maintenant. »

Le serrurier s'éloigna de l'entrée tandis que le reste du groupe s'approchait de la grille. Le contrat était clair : il était là pour ouvrir des portes, pas pour livrer sa mince carcasse à l'appétit des teyrogs. Il remarqua que ses collègues portaient un masque à gaz sur la figure. Ils allaient sans doute tenter d'endormir les gros monstres en pulvérisant des gaz narcotiques. Plusieurs d'entre eux chargèrent les armes qui leur serviraient de couverture en cas de problème. Auraient-ils le temps de réagir si l'un des dangereux gardiens surgissaient sous leur nez ? Rien n'était moins sûr. Nusumu resta donc en retrait, le temps que les animaux soient neutralisés.

« Tu n'as pas l'air de vouloir entrer, lui dit le brun qui était venu à son magasin.

- Il est préférable que je reste en vie tant que les serrures ne sont pas toutes déverrouillées, non ? Et toi Graftik, tu ne portes pas d'arme ? Tu as l'intention de les attaquer à mains nues ?

- Pas question que je mette mes yeux précieux en danger. »

Originaire de la planète Yalus, son associé avait la capacité de voir la composition d'une matière dans les moindres détails. Il avait suffisamment de connaissances pour analyser finement ce qu'il discernait. Peut-être aurait-il pu devenir un scientifique brillant s'il l'avait voulu. Mais il gagnait mieux sa vie dans les divers trafics que lui proposait la planète Keiyaku, la plate-forme commerciale la plus riche de cette galaxie. Nusumu suivit des yeux ses équipiers qui s'éparpillaient dans le parc. Quelque chose n'allait pas.

« C'est pas normal... Ils auraient déjà dû endormir les teyrogs. Pourquoi est-ce qu'ils ne tirent pas ?

- Le proprio a peut-être oublié de les lâcher. On ne va pas se plaindre si le travail est plus simple que prévu.

- Ça n'a pas de sens, tu le sais bien. Personne ne fait une erreur pareille. On n'est peut-être pas les seuls sur ce coup !

- On ne va pas tarder à être fixés, ils reviennent. »

Ils virent leurs collègues se regrouper près du grand portail. Ils avaient enlevé leurs masques et ceux qui portaient une arme l'avait rangée dans leur ceinture ou sous leurs vêtements. Mark vint à leur rencontre, l'air perplexe.

« Ah la la, il s'est passé un de ces trucs ! Le vieux s'est fait bouffer par ses bestiaux. Quand on est arrivés près du chenil, on s'est rendus compte que les teyrogs étaient encore dedans. On a regardé à l'intérieur et on a vu des bouts de corps par terre. Les murs étaient couverts de sang. Y avait même un pied pas loin de la porte. Il a presque réussi à sortir celui-là !

- Nous nous passerons de ton humour si tu n'y vois pas d'objection, répondit Graftik en se pinçant l'arête du nez.

- Oh, ça va hein ! Il a dû se faire bouffer y a un moment. Ça puait, mais à un point ! J'crois qu'il y en a un ou deux qui ont failli tourner de l'oeil...

- Comment est-ce que ça a pu se produire ? le coupa Nusumu. Vous m'avez dit que ce type connaissait bien les teyrogs. Il n'aurait jamais couru le risque d'entrer dans leur chenil pour les relâcher. Tu es sûr que c'est bien lui qui est mort ?

- Peut-être pas, y a plus rien de reconnaissable là-dedans. On sera fixés quand on entrera dans la villa. Seul, Garryel n'est pas dangereux. S'il se cache à l'intérieur, on le neutralisera vite.

- Allons-y alors, ajouta Nusumu. »

Ils traversèrent un parc étrangement silencieux, comme si la présence des teyrogs effrayait les animaux environnants. Ce qui n'aurait rien eu d'étonnant d'ailleurs. La porte principale de la villa était toujours verrouillée, mais le serrurier la crocheta sans mal.

« Il n'y a aucune sécurité sur celle-ci. Il devait compter sur son portail et sur sa meute.

- Allez les gars, on y va ! lança Mark. On a moins d'une heure pour embarquer tout ce qu'on a repéré. Faudra partir avant le passage de la prochaine patrouille.

- Amène-toi Nusumu, dit Graftik en le saisissant par le bras. On va commencer par le coffre de son bureau. Je pense qu'on va y trouver des choses très intéressantes. »

Les deux hommes entrèrent dans une pièce bien rangée, où chaque chose semblait à sa place. En face de la porte se trouvait le bureau du maître de maison. Un sous-main en cuir noir couvrait le bois luisant et bien ciré de ce meuble luxueux. Deux dossiers refermés par des sangles reposaient sur le côté gauche, tandis que le grand écran plat d'un ordinateur dissimulait partiellement le côté droit. Deux bibliothèques garnies de livres aux couvertures de cuir encadraient le bureau, recouvrant les deux murs jusqu'au plafond. Cette pièce sans fenêtre aurait été bien sombre sans la lumière du couloir. Graftik appuya sur l'interrupteur et se planta en face de la bibliothèque de droite.

« D'après ce qu'on m'a dit, le coffre est caché par ici. Il y a sans doute un loquet... Ou un crochet quelconque derrière de faux bouquins... »

Nusumu le rejoignit pour l'aider à chercher. Au bout de quelques minutes, un léger clic se déclencha sous leurs doigts, suivi par l'ouverture d'un panneau sur leur gauche. Un coffre de taille moyenne était incrusté parmi les livres. Il paraissait assez grand pour contenir plusieurs objets précieux ou une pile de dossiers. Le serrurier s'attela à la tâche, mais il s'aperçut rapidement que le travail serait plus compliqué de prévu.

« Ça va me prendre du temps, dit-il en s'essuyant le front. Il tenait beaucoup à ce qu'il avait rangé là-dedans.

- Je te rappelle qu'on a moins d'une heure, rétorqua Graftik d'une voix tendue.

- Va aider les autres ! J'ai besoin de concentration en ce moment. Tu me gênes là ! »

L'autre homme sortit de la pièce sans rien dire, laissant son collègue seul. Ce dernier s'acharna pendant plus d'une demi-heure avant que le coffre ne finisse par s'ouvrir. À l'intérieur, il découvrit plusieurs petites boîtes en cuir posées sur une étagère. Dessous, il vit un grand livre plutôt fin recouvert d'une reliure en tissu vert foncé. Il saisit l'ouvrage et commença à le feuilleter. Il comprit qu'il s'agissait d'un registre où le propriétaire notait une partie de ses comptes. Le papier avait dû lui paraître plus prudent que l'informatique. Au bout de quelques minutes, il reconnut un nom, puis deux, puis trois... Sa gorge se noua et il referma le cahier d'une main tremblante. Il resta figé sur place, ne sachant pas quoi faire de sa trouvaille encombrante. Soudain, il entendit des bruits de pas. Il se précipita vers sa sacoche, jeta le livre dedans, la referma et retourna près du coffre.

« Tu l'as ouvert, parfait ! s'exclama Graftik qui venait d'entrer. Je vais pouvoir étudier le contenu. Si mes sources sont bonnes... Ah ah ! ajouta-t-il en s'emparant des boîtes. Elles sont là toutes les cinq ! Regarde-moi ces merveilles Nusumu ! »

Son partenaire ouvrit l'une des boîtes du coffre et souleva avec précaution une magnifique parure. Pendant quelques secondes, il la fixa avec une grande attention. Satisfait, il la reposa dans son écrin avant de s'intéresser à la boîte suivante.

« Ces bijoux sont la perfection même, reprit-il, tant par le travail de l'orfèvre que par le choix des pierreries. C'est dommage qu'ils soient trop connus pour être vendables, ils nous auraient permis de faire fortune. Mais nous allons déjà gagner beaucoup d'argent grâce au collectionneur qui les a commandés.

- Tant mieux, répondit Nusumu d'un air absent.

- Qu'est-ce qui se passe ? Tu fais une drôle de tête d'un seul coup.

- J'ai pris trop de temps pour forcer ce coffre. Je pense qu'on ferait mieux de partir au plus vite.

- Ne t'inquiète pas, on a encore un peu de temps. De plus, on a déjà chargé les autres marchandises. On va retourner au camion. Ramasse ton matériel, je m'occupe de ces petits trésors. »

Le serrurier rangea vite ses outils, en veillant à ce que Graftik ne voit pas l'intérieur de son sac. S'il avait su qu'il emportait des papiers importants, peut-être n'aurait-il rien dit. Le chantage n'était pas son rayon, mais plusieurs de leurs associés appréciaient les informations de ce genre. Or, Nusumu ne voulait pas monnayer ce qu'il venait de trouver. Il fallait qu'il réfléchisse avant, qu'il comprenne l'importance de sa découverte.

« Finalement, cette villa était plus remplie que je ne le pensais, continua son collègue. Je croyais que Garryel avait mis toute sa fortune dans les bijoux du coffre. Mais on a mis la main sur de nombreuses œuvres d'art en fouillant la maison. On a dû en laisser une partie, il n'y avait pas assez de place dans le camion. Je ne pensais pas que son entreprise de construction avait pu lui rapporter autant d'argent.

- Il a peut-être trempé dans des trucs pas nets, ajouta Nusumu.

- Sans doute, ils le font tous. »

Quelques minutes plus tard, leur véhicule démarrait, emportant les cambrioleurs vers le quartier de Nasakenai.

« Une affaire pareille, ça se fête Nus' ! lança Mark au serrurier assis à côté de lui. T'as vu les breloques ramenées par Graf' ? Et la tonne de trucs sortis de la baraque ? Sans croiser personne en plus !

- C'était sûrement le cadavre de Garryel dans le chenil, répondit le serrurier. Il va falloir se montrer très discrets. La police va nous mettre sa mort sur le dos même si on n'y est pour rien.

- Ouais, ces gros nuls sont pas capables de faire la différence entre un meurtre et un accident. Pas grave, on a fait très attention. M'étonnerait qu'ils trouvent nos traces.

- Quand ils veulent, ils savent se montrer efficaces. Peut-être... C'est bizarre cette mort. Je n'ai pas envie qu'on serve de boucs émissaires pour dissimuler un assassinat.

- Tu passes trop de temps à la Brigade toi ! Tu vas finir par devenir un policier modèle, s’esclaffa Mark. T'en fais pas, tout ira bien ! »

Nusumu ne répondit rien et se plongea dans ses pensées. Il sentait la présence de la sacoche contre son mollet droit. Plus le temps passait, plus il se disait qu'il avait eu tort de voler le registre.


Plusieurs semaines s'écoulèrent. Contrairement à ce qu'avait envisagé le serrurier, les policiers conclurent que la mort de Garryel n'était qu'un tragique accident. Comme tous les soirs, le vieil homme avait voulu libérer lui-même ses teyrogs. Pour une raison inconnue, il avait commis l'erreur d'entrer dans le chenil. En temps normal, un bouton lui permettait d'ouvrir de l'extérieur la porte de chaque cage individuelle. Mais ce système automatique s'était avéré défectueux, ce qui avait pu bloquer les portes. L'ancien commerçant avait-il voulu régler le problème en les ouvrant de ses propres mains ? Sans doute avait-il trop fait confiance aux animaux qu'il avait élevés ? Par un fâcheux concours de circonstances, des cambrioleurs avaient profité de ce drame pour vider la maison. Il était impossible de faire le rapport entre la mort du propriétaire et le vol de ses collections. D'ailleurs, la mort semblait s'être produite plusieurs heures avant le sac de la villa. Lorsque Nusumu lut ces nouvelles dans les journaux, il eut bien du mal à y croire. Alors c'était tout ? Cette mort horrible et très suspecte ne déboucherait sur rien d'autre ? Aucun journaliste ne fouinerait un peu plus loin que les apparences ?

Il savait qu'il aurait mieux fait d'oublier cette histoire, mais il ne le pouvait plus désormais. Il avait attendu plusieurs jours avant de se plonger dans le registre de Garryel. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre que le vieil homme s'adonnait à de nombreux trafics illégaux. Dans une société rongée par la corruption, c'était monnaie courante. Cependant, le retraité s'était montré de plus en plus gourmand. Peut-être avait-il fini par en demander trop à ses clients ? Le serrurier avait reconnu le nom de gouverneurs importants dans certaines colonnes. Un membre du gouvernement pouvait voir sa carrière ruinée par un scandale, même sur un monde aussi pourri que Keiyaku. Malheureusement, un gouverneur en poste était assez puissant pour supprimer un vieillard sans que personne ne s'en soucie.

« Ce n'est pas un pauvre minable comme moi qui va y changer grand-chose. Quelles pourritures ! grogna Nusumu en jetant le registre au pied de son lit. »

Son impuissance lui donnait la nausée. Ces ordures pouvaient tout s'offrir : la vie d'un gêneur, un journal, la police... Pourtant, il ne voulait pas qu'ils s'en sortent aussi facilement. D'ailleurs, il venait peut-être de trouver une solution pour les mettre dans une bonne grosse panade cette fois-ci.

Quelques jours plus tard, le gouverneur Eiji Sarutobi découvrit avec surprise un grand paquet brun sur son bureau. Qui l'avait donc déposé là ? S'agissait-il d'une bombe ? Inquiet, il sortit de son bureau pour ordonner à son personnel d'évacuer le bâtiment dans le calme. Lui resterait sur place en attendant le service de déminage. S'il ne s'agissait pas d'une bombe, il voulait voir en premier ce que contenait le colis. Bien lui en prit, car le registre à la couverture verte lui apprit de nombreuses informations intéressantes. Contrairement à la plupart des gouverneurs, Eiji était réputé pour son humanisme et son honnêteté irréprochable. D'un caractère trop doux pour cette planète sans pitié, le jeune homme rêvait de la transformer en un monde où il ferait bon vivre. Dans cette quête presque insurmontable, ce simple cahier vert pouvait devenir une première étape.


Texte publié par Natth, 25 mai 2015 à 19h50
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