Au début du 21ème siècle, la TYRELL CORPORATION a permis à la robotique d’entrer dans la phase NEXUS : la fabrication d’un être virtuellement identique à l’homme et connu sous le nom de Réplicant.
Les Réplicants NEXUS 6 sont d’une force et d’une agilité supérieures à celles des généticiens qui les ont créés et d’une intelligence au moins égale.
Les Réplicants sont utilisés comme main d’œuvre pour les travaux dangereux lors de l’exploration et la colonisation d’autres planètes.
Après la mutinerie sanglante d’une équipe de combat NEXUS 6 dans une colonie de l’espace, les Réplicants ont été déclarés illégaux sur Terre – et passibles de la peine de mort.
Des brigades de police spéciale – LES UNITES BLADE RUNNER, LES FAUCHEURS – ont reçu l’ordre d’abattre, dès identification, tout Réplicant ayant pénétré sur Terre.
Il ne s’agit pas d’une exécution.
Le terme employé est retrait.
NOVEMBRE, 2019
Pap Alisz dut tirer fort pour ouvrir la porte du congélateur en inox en partie rongé par la rouille. Dans la pénombre, elle attrapa une coupelle qu’elle plaça à côté du microscope. A l’aide d’une pipette, elle prit un échantillon des cellules souches et se concentra pour les observer à travers les lentilles de l’appareil. Elle pouvait les voir bouger, se reproduire et, pour certaines d'entre elles, mourir. Après quelque mois d’incubation dans une usine de la Tyrell Corporation, ces cellules deviendraient un réplicant Nexus 6, les meilleurs disponibles sur le marché. Pap constata que les cellules mourraient à un rythme qui aurait été alarmant pour un être humain mais tout-à-fait normal pour un réplicant. Cette spécificité limitait leur espérance de vie à quatre ans. C’était un garde-fou, un moyen pour l’humanité de se protéger d’androïdes organiques toujours plus performants. Ces cellules étaient prêtes. Pap Alisz pouvait les préparer pour l’expédition.
La généticienne d’origine hongroise ne cachait pas ses quarante ans. Elle avait une permanente blonde de moins en moins frisée, un rouge à lèvre très vif, beaucoup de fond de teint et des pattes d’oie au coin des yeux. Elle préparait une autre coupelle quand sa fille entra dans la pièce mal éclairée avec une caisse en plastique. Kim avait des cheveux noirs bouclés, comme sa mère avant qu’elle les teigne en blond. Elle avait aussi ses yeux verts, le nez fin de son père qu’elle n’avait jamais connu et le visage immaculé d’une fille de dix-huit ans. Elle portait une mini jupe rose, un gilet court et noir en plastique et elle ne portait pas de gants.
— C’est de l’azote liquide dans la caisse, gronda Pap, tu veux avoir un accident ?
— Kuso ! Vagyok óvatos, lasse sie mie allein.
— Je déteste quand tu parles cette langue dégénérée.
Kim posa la caisse sur une armoire dont la porte ne tenait plus qu’à une charnière. Elle sortit d’horribles gants en nitrile et les enfila avant de reprendre la caisse et de la porter jusqu’au congélateur que Pap venait de refermer. La généticienne se radoucit.
— Tu sais que je ne supporterais pas s’il t’arrivait quelque chose.
— Oui, je sais.
Kim passa devant sa mère pour aller chercher une autre caisse et se fit attraper le bras au passage. Pap lui embrassa les cheveux. Un peu réticente au départ à une nouvelle preuve d’affection maternelle, elle tenta de se dégager pour abréger mais elle finit par se laisser faire et rendit son étreinte à celle qui lui avait donné le jour.
— Moi aussi je t’aime, maman.
La pluie ruisselait le long des joues d’Irm. Elle marchait sur le bitume, d’un pas franc et décidé. C’était son premier contact avec la Terre, tout était nouveau pour elle. Elle avait été conçue dans une usine d’assemblage sur Mars. La Tyrell Corporation avait son siège sur Terre, mais à part les prototypes, la majorité des réplicants étaient fabriqués dans les colonies de l’espace. La pluie ne s’était pas arrêtée depuis qu’Irm était arrivée. La plupart des gens qu’elle croisait portaient un parapluie à bout de bras, certains avaient même un manche lumineux. Irm n’avait pas besoin de se protéger des intempéries. Elle préférait d’ailleurs largement sentir l’eau fraîche couler sur sa peau jusque dans son cou et se faire absorber par son débardeur en mailles noires qui laissait apparaître son soutien-gorge. Cette pluie était le signe qu’elle avait réussi, qu’elle était enfin arrivée sur Terre. Et ça n’avait pas été simple. L’idée était venue naturellement entre Rand et elle, presque sans se parler. Ils avaient tous les deux trois ans, il leur restait donc moins d’un an à vivre. Si les généticiens humains avaient bloqué la régénération cellulaire des réplicants, c’était par peur. Et Irm pensait que se faire dicter sa conduite par la peur était particulièrement déraisonnable. Ses semblables et elle n’avaient pas d’autre ambition que de vivre pleinement la vie qui leur avait été offerte par Eldon Tyrell. Marvin était plus jeune mais il avait été facile à convaincre. Après tout, son comportement avait été programmé pour suivre les ordres de Rand en toute circonstance. Après des semaines de préparations, ils avaient fait sauter leur résidence en pleine nuit et avaient été déclarés hors services. On les imaginait calcinés. Le groupe s'était ensuite glissé clandestinement dans la soute d'un cargo spatial.
Irm entra dans une galerie au milieu d’Hawker’s Circle en se faufilant au milieu des humains. Elle passa une main dans ses cheveux blonds bouclés et humides pour leur rendre un peu de volume. Il faisait chaud, des vapeurs diverses embaumaient l’atmosphère, des effluves de nourriture, la transpiration, l’odeur des animaux artificiels dans leurs cages. Irm s’arrêta dans un coin et attendit, adossée contre un mur. Elle continua à observer les passants jusqu’à ce que Rand la rejoigne.
— Tu as trouvé, demanda-t-il ?
— Oui, entre le vendeur de faux serpents, Hassan, et ce prêteur sur gages là-bas. Il y a un bâtiment inoccupé.
Rand jeta un œil dans la direction indiquée par la jeune femme.
— Si tu me couvres, je dois pouvoir casser la serrure sans me faire repérer.
Irm acquiesça et ils se dirigèrent tous les deux vers la porte. Le bâtiment était étroit, véritablement coincé entre le marchand de faux reptiles et son voisin le plus proche. Rand se mit face à la porte et elle lui tourna le dos pour faire face à la rue et bloquer la vue des passants sur ce que son complice était en train de faire. Un craquement perdu dans le tumulte de la galerie couverte indiqua à Irm que la serrure avait cédé. La force des réplicants leur permettait de faire des choses que les humains n’auraient jamais imaginées. Ils rentrèrent tous les deux dans le bâtiment dans l’indifférence générale et claquèrent la porte derrière eux. Il n’y avait ni fenêtre, ni éclairage, il faisait complètement noir. Mais les yeux conçus par le spécialiste Hannibal Chew ne s’arrêtaient pas à ce détail et pouvaient percevoir la réflexion de la faible quantité de lumière qui passait dans les fissures murales et sous la porte. Les deux réplicants prirent possession des lieux en marchant dans le petit local. Pas d’électricité, pas d’eau courante. Mais tout ça pourrait être mis en place plus tard s’ils décidaient d’occuper l’endroit suffisamment longtemps.
Rand sortit de sa veste en cuir un cadre contenant une photo de lui et le posa sur une armoire pleine de poussière. Il avait, sur le portrait, le même visage fin et émacié, le nez pointu et les cheveux noirs coiffés en arrière.
— C’est chez nous.
Irm se pencha vers le sol et fit grimper sur sa main une petite araignée qui se baladait à côté d’elle dans l’obscurité.
— C’est une vraie, demanda Rand ?
— Je ne sais pas.
Ils s’approchèrent l’un de l’autre et s’embrassèrent fougueusement, comme deux adolescents qui se lancent à corps perdu dans le geste et pour le geste, sans êtres sûrs des émotions qui les accompagnent. Il la pressa contre lui et elle écrasa l’araignée dans sa main.
Marvin avait repéré le policier dès qu’il était entré. Il portait un long imperméable au dessus de son costume et de son nœud papillon. Il avait le visage buriné et marqué, des moustaches noires et pour seule barbe un trait pileux qui liait sa bouche à son menton. Il retira son chapeau trempé par la pluie et s’avança vers le fond du bar. Il n’y avait plus grand monde. Il était le seul client. Un des serveurs qui avait terminé son service était installé à la table à côté de lui, il portait encore son tablier sale, ses yeux bleus hagards essayaient de comprendre ce qui se passait autour de lui. Perdu dans ses pensées, il mangeait de faux œufs sur le plat. Il ne restait qu’une autre serveuse, jeune et rousse, à l’œuvre derrière le comptoir parcouru de néons roses et bleus. Marvin regarda le policier approcher. Il se demanda s’il aurait dû partir mais il ne bougea pas. C’était Rand qui donnait les ordres normalement, et il n’était pas là. Le policier portait une mallette qui arborait un logo graphique basé sur les lettres V et K. Marvin était sûr qu’il était là pour lui, mais il s’arrêta devant la table d’à côté, celle qui était occupée par le serveur. Le policier posa sa main sur le dossier de la chaise en face de lui.
— Ossu. Leülhetek itt, bitte ?
— Allez-y.
Il s’assit en posant sa mallette sur la table. Le serveur était visiblement nerveux.
— Michael R. Henderson. C’est votre patron qui m’a demandé de venir. Il aimerait que je vous fasse passer un petit test. Vous êtes d’accord ?
— J’ai déjà passé un test de QI.
— Ce n’est pas la même chose.
— C’est un test d’aptitude ?
— En quelque sorte.
Le policier ouvrit sa mallette et entreprit l’assemblage d’un drôle d’appareil. Michael R. Henderson avait, de toute évidence, de grosses appréhensions. Le membre des forces de l’ordre voulut rassurer.
— Essayez de vous détendre, il n’y a pas de raison de vous inquiéter.
Le test commença, l’interrogateur triturait un morceau de papier entre ses doigts.
— Le temps de réaction est important alors essayez de répondre aussi vite que vous le pouvez.
— D’accord.
— Quel âge avez-vous ?
— Quarante-deux ans.
— C’est votre anniversaire. Quelqu’un vous offre un portefeuille en cuir de veau…
— En cuir de vrai veau ?
— Oui.
— Mais… c’est illégal. Il n'a pas le droit.
— Imaginez.
— Je refuse le cadeau et je cesse de voir cet ami...
— Décrivez en mots simples, les choses agréables qui vous viennent à l’esprit au sujet de votre mère.
— Ma mère ?… Gentille, douce… Elle cuisinait très bien les pâtisseries. Avant la guerre.
Le policier avait les yeux rivés sur sa machine, une sorte de soufflet montait et redescendait sans cesse et un petit écran affichait un gros plan de l’œil bleu du serveur.
— Vous lisez un vieux roman d’avant la guerre. Les personnages sont à San Francisco. Ils ont faim et décident d’entrer dans un restaurant au bord de la baie. Au moment où ils entrent, le chef plonge un homard vivant dans l’eau bouillante.
— Vivant ? C’est horrible, comment peut-on faire une chose pareille ?
— Ca se faisait à l’époque…
— Les gens n’avaient aucune compassion ?
L’interrogateur s’arrêta un instant pour fixer son interlocuteur, il continuait à triturer un morceau de papier entre ses mains. Le serveur était visiblement très mal à l’aise, il se rongeait les ongles nerveusement. La machine commença à émettre un bip à intervalle régulier.
— Vous rendez visite à un ami qui vous a invité chez lui. Dans son appartement, il vous montre sa collection d’affiches de tauromachie.
— La tauromachie ? Qu’est-ce que c’est ?
— Un combat qui avait lieu dans une arène entre un taureau et un matador qui portait toujours une cape et une épée.
— Ca devait être violent.
— Oui, le taureau était souvent mis à mort, quelle que soit l’issue du combat.
— C’est monstrueux.
— Votre femme vous annonce qu’elle vous quitte…
— Je n’ai pas de femme.
— Encore une fois : imaginez.
— Vous voulez que j’imagine que j’ai une femme et qu’elle me quitte ?
— Ce n’est que pour le test. Essayez de vous détendre. Votre femme vous annonce qu’elle vous quitte pour un autre homme. Dans la foulée, elle vous annonce qu’elle était enceinte de vous et qu’elle a avorté.
— Avorté ?... Je la dénonce aux autorités, elle ira en prison.
Le bip de la machine devint de plus en plus régulier jusqu’à devenir continu. Le policer arrêta son interrogatoire. Il déposa sur la table le morceau de papier avec lequel il jouait depuis le début du test. Marvin réalisa que le morceau de papier avait été plié et déchiré pour prendre la forme d’une poule ou d’un poulet. Le policer se leva et dégaina son pistolet, un gros modèle, épais, avec crosse en faux bois et deux détentes pour le pointer sur le serveur qui se tétanisa.
— Qu’est-ce que vous faites ?
— D’après le test, vous êtes un réplicant.
— C’est… c’est impossible.
Marvin était absorbé, comme hypnotisé par la scène qui se déroulait sous ses yeux, mais il ne broncha pas. Il savait que le serveur était humain. Un réplicant n’avait pas besoin de test pour identifier un des siens. Michael R. Hernderson était paniqué.
— Je ne suis pas un réplicant ! Je le sais !
— Attendez ! intervint la serveuse qui n’avait rien manqué de la scène. Ce n’est pas un réplicant, c’est un spécial.
Le policier ne tira pas mais il garda son arme braquée sur son suspect. Les spéciaux étaient de plus en plus nombreux, dernières victimes d’une guerre pourtant terminée. Les retombées radioactives globales entraînaient chez certains individus une dégénérescence de la structure ADN. C’était l’un des arguments qu’utilisaient les autorités pour pousser les gens à émigrer vers les colonies de l’espace. La Terre se dépeuplait et les rares personnes qui y restaient finissaient par voir leurs gênes se corrompre et perdre des fonctions importantes. Ils montraient des facultés intellectuelles réduites et, dans certains cas, une difficulté à éprouver des émotions, ce qui pouvait générer un faux positif sur le test de Voight Kampff. C’était bien l’aptitude à l’empathie qui constituait la différence entre humains et réplicants et qui permettait au test de repérer les androïdes organiques. Le policier leva le canon de son arme et s’apprêta à la ranger. Il se tourna vers Marvin qui se trouvait juste à côté de lui et sourit.
— Qu’est-ce que vous en pensez ? Criske féjet oder nicht ?
Marvin ne comprenait pas le cityspeak, ce langage sabir et argotique parlé par certains habitants de Los Angeles. Il ne devait pas être là depuis suffisamment longtemps. Craignant de se faire repérer, il se leva brusquement et bondit sur le policier qui se n’était pas du tout attendu à se faire agresser. Marvin le colla au sol, le pistolet échappa à son propriétaire et glissa sur le sol jusqu’au mur du fond. Marvin asséna deux solides coups de poing au policier devant les regards ahuris des deux membres du personnel du bar. Il attrapa la fourchette dont s’était servi Michael R. Henderson pour manger et la planta violemment dans la cuisse du policer qui hurla de douleur. Marvin se releva et, une fraction de seconde plus tard, il courait vers la porte. La fourchette était enfoncée jusqu’au manche dans la jambe du policier, le sang se répandait sur son pantalon et commençait à goutter au sol.
— Appelez les secours ! Dites que je suis de la police. Gaff, détection des réplicants, matricule B-263-67 !
Marvin était dehors, il courait dans la pluie et bousculait les passants pendant que les haut-parleurs d’un ballon publicitaire lumineux enjoignaient ceux qui l’écoutaient à rejoindre les colonies de l’espace.
Installé sur le toit rouge qui protégeait le comptoir, le cuisinier et les clients de la pluie incessante, le dragon lumineux fit clignoter sa langue plusieurs fois, variant la teinte du visage de Marvin pendant qu’Irm le questionnait.
— Tu es sûr qu’il était de la police ?
— Certain.
— Et qu’est-ce qu’il t’a demandé ?
— Je ne sais pas… C’était du cityspeak.
— Tu aurais pu dire que tu ne comprenais pas. Il y a des gens dans cette ville qui ne comprennent pas.
— Il avait déjà sorti son arme, je ne voulais pas le faire douter à ce moment là.
— Ce qui est fait est fait, intervint Rand. Il faut nous concentrer sur notre objectif principal, la raison pour laquelle nous sommes venus ici.
Sans montrer d’émotion particulière, Irm accepta de changer de sujet.
— La solution qui attirera le moins l'attention, c'est d'étudier la génétique nous-mêmes. Au Nord-est, dans le kipple, il y a les locaux de l'USC, une université désaffectée. Dans la bibliothèque médicale, on devrait pouvoir trouver des livres qui nous aideront à en savoir plus.
— Ca va nous prendre un temps considérable, en admettant que les livres soient toujours utilisables.
— Sinon, pas très loin d’ici, il y a un quartier où sont rassemblés plusieurs généticiens, des sous-traitants.
— Un nom en particulier ?
— Docteur Pap Alisz, elle travaille directement sur les cellules souches. Elle doit connaître le problème de mort cellulaire.
— Allons-y.
Laissant les faux sushis et les nouilles, le petit groupe se mit en route. Irm s’était trouvée un parapluie, Rand s’abrita dessous, avec elle et Marvin continua à marcher sans se soucier de l’eau qui ruisselait sur son visage. Un spinner, l’une de ces voitures volantes passa au-dessus d’eux et se perdit dans la pluie. Quelques blocs plus loin, ils passèrent devant une façade lumineuse verte avec des inscriptions chinoises et, au-dessus de la porte, la représentation étrange d’un œil, orange et noir. Les trois réplicants s’écartèrent pour laisser passer un groupe de trois cyclistes asiatiques, protégés du temps par leurs chapeaux coniques. Un peu plus loin, ils arrivèrent devant l’échoppe du Docteur Alisz. Ils entrèrent et elle se mit à crier dès qu’elle les vit.
— C’est fermé ! Les cultures ne sont pas encore prêtes ! Revenez demain !
Rand s’avança vers elle pendant qu’Irm et Marvin observaient la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Mal éclairée, il y avait des caisses un peu partout, des congélateurs en inox montrant ça et là des traces de rouille, des microscopes et du matériel de laboratoire, pas toujours en très bon état. L’occupante des lieux, une quarantenaire blonde platine à la permanente défrisée et au maquillage voyant, continua à râler.
— Ces foutus spéciaux ne comprennent jamais rien. Je vous ai dit que c’était fermé ! Il faut revenir demain !
— Qu’est-ce que vous savez de la structure ADN qui accélère la mort cellulaire et entraîne une durée de vie de quatre ans maximum ? demanda Rand, presque l’air de rien.
Le visage de Pap Alisz changea de couleur. Elle fixait Rand, avec une mine de plus en plus inquiète.
— Je ne peux pas vous aider. Je ne sais rien. Je vous le jure. Il n’y a qu’Eldon Tyrell…
— Eldon Tyrell est inaccessible. La sécurité est trop importante.
— Je ne peux rien y faire.
— Vous pouvez le rencontrer.
— Oui, mais… Il ne me dira rien. Ne touchez pas à ça !
Dans une tentative de reprendre le contrôle de la situation, elle avait tenté d’empêcher Marvin de chipoter aux réglages d’un microscope. Il la regarda brièvement avant de reprendre son exploration comme s’il ne l’avait pas entendue. Mais le cri avait alerté une autre occupante des lieux, une jeune fille entra depuis la porte du fond.
— Qu'est-ce que...
— Retourne derrière ! ordonna la mère généticienne.
Rand lança un regard à Marvin qui sortit un gros revolver noir muni de deux diodes rouges qui scintillaient dans l'obscurité et le pointa sur la jeune fille que se figea. Irm approcha de la jeune fille et lui tendit la main en souriant, avec la désinvolture de deux adolescentes qui se rencontrent.
— Je m'appelle Irm. Et toi ?
— Kim, répondit-elle hésitante.
— Mes amis et moi on va rester ici avec toi pendant que ta maman ira voir le Docteur Tyrell.
— Non, supplia Pap, ne faites pas ça.
Marvin n'avait pas rengainé. Immuable et concentré, il tenait Kim en joue. La jeune fille commença à trembler et n'osa faire qu'un seul pas en arrière.
— Votre fille est inquiète, observa Rand. Vous devriez la rassurer. Dites lui que tout va bien se passer.
— Tout va bien se passer ma chérie, annonça Pap sans quitter le réplicant des yeux.
— Voilà, sourit Irm, elle se détend déjà.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur les appartements personnels d'Eldon Tyrell, en haut de la pyramide ouest du complexe de la corporation. Ce n'était pas la première fois que Pap rendait visite à ce scientifique, concepteur des modèles les plus évolués de réplicants et l'un des hommes les plus puissants du monde. Il interrompit sa conversation vidéophonique un bref instant.
— Entrez, Docteur Alisz, mettez vous à l'aise. Je vous prie de m'excuser un bref instant.
Sans regarder celle qui lui rendait visite, il déplaça une pièce sur son grand échiquier en métal et reprit sa discussion.
— Le pion en e prend f4.
— Fou en c4, répondit l'interlocuteur.
— Dame en h4, échec au roi mon cher Sebastian.
— Roi en f1.
— Pion en b5. Je me dois malheureusement d'interrompre notre partie ici. N'hésitez pas à me rappeler demain.
— Bonne soirée, Docteur Tyrell.
— A vous aussi, Sebastian.
Le propriétaire des lieux coupa le vidéophone et se tourna enfin vers son invitée. Il rajusta son nœud papillon blanc et, sur son nez, ses immenses lunettes octogonales.
— Que puis-je pour vous, ma chère ?
— Je suis désolée de vous déranger à cette heure tardive, Docteur Tyrell. Il y a un problème assez important avec un arrivage de cellules souches.
— Que se passe-t-il ?
— Un virus qui entraîne une mitose beaucoup trop faible. Si des réplicants sont conçus sur base de cette structure génétique, ils ne tiendront pas trois mois. Je pense même que les derniers modèles Nexus 6 sont contaminés. Il va falloir reprogrammer leur ADN...
— Vous savez comme moi que c'est impossible.
— Si tous les réplicants qui ont été produits ces dernières semaines meurent au bout de trois mois, ça va engendrer de grosses pertes, sans parler du coup que prendra l'image de la corporation.
— Votre fonction est de contrôler les nouveaux modèles de cellules souches. Une fois qu'ils sortent de votre laboratoire, ce n'est plus votre problème.
— Je ne disais ça que pur vous aider...
— Cet après-midi, j'ai reçu le rapport hebdomadaire de contrôle de qualité en provenance des usines martiennes. Personne n'a détecté de problème. Êtes-vous certaine de vos résultats ?
— Oui, j'ai revérifié.
— Vous avez amené les rapports d'analyses avec vous ?
— Non, je...
— Envoyez-les-moi et je les contrôlerai demain.
— Docteur Tyrell, vous ne comprenez pas, chaque minute compte...
— Docteur Alisz, comment se fait-il que vous veniez me voir chez moi en pleine soirée, pour me parler d'un problème que vous ne pouvez pas appuyer par des données brutes ? Pourquoi venez-vous me parler dune reprogrammation génétique dans un domaine qui ne vous concerne pas mais qui est le cœur même de la question que tout le monde se pose au sujet des réplicants ?
— Docteur Tyrell, je...
— Combien les Russes vous ont-ils donnés pour m'extorquer ces informations ?
— Non, vous n'y êtes pas...
— Je pensais pouvoir vous faire confiance, Docteur Alisz. Visiblement, ce n'est pas le cas. La Tyrell Corporation se passera désormais de vos services.
Pap fondit en sanglots et sombra dans la panique.
— Docteur Tyrell, je vous en supplie ! Ils ont ma fille...
— Dans ce cas allez voir la police. Vous m'avez énormément déçu, Docteur Alisz. Je pense que vous devriez partir.
— Non ! S'il vous plaît...
— Ne m'obligez pas à appeler la sécurité.
En prédateur, Eldon Tyrell avançait vers Pap pour la forcer à reculer. Il la fixait de ses grands yeux de rapace nocturne. Pap voulait se débattre, continuer à discuter, convaincre le généticien, mais elle reculait inexorablement vers l'ascenseur. Quand elle fut dans la cabine, la porte se ferma. Elle pleura seule, dans le silence de la nuit pendant que la cabine extérieure la ramenait à la base de l'immense construction.
Pap prit les commandes de son spinner personnel et les grandes pyramides furent rapidement dans son rétroviseur. Les mains accrochées aux poignées des commandes, elle survola les hautes cheminées qui crachaient des flammes dans l'obscurité pour retourner vers le centre-ville de Los Angeles. Elle essuya les larmes qui continuaient de brouiller sa vision. Elle ne pouvait pas retourner voir les réplicants sans résultats. Ils exécuteraient sa fille sans hésiter. L'absence d'empathie les différenciait des humains, et les rendaient implacables. Tyrell avait raison, son dernier espoir, c'était les forces de l'ordre.
Elle arriva au quartier général de la police de la ville, expliqua son problème au réceptionniste en uniforme dans le grand hall de l'accueil et on la fit patienter. Un peu de lumière filtrait depuis la rue, donnant à la grande salle une atmosphère bleutée. Pap attendait depuis une bonne heure quand elle fut enfin reçue par un inspecteur qui l'emmena jusqu'à son bureau délimité par de fines parois d'un mètre vingt. Il portait un costume impeccable, sa coiffure était parfaitement maîtrisée. Avec sa raie sur le côté, on aurait dit un premier de classe. Il alluma une cigarette.
— Inspecteur Holden, détection des réplicants. Que puis-je pour vous, Docteur Alisz ?
— Des réplicants sont chez moi. Ils ont pris ma fille en otage. Il faut que vous veniez. Ils vont la tuer !
— Pourquoi sont-ils venus chez vous ?
— Ils veulent des informations sur la structure de leur ADN, vivre plus longtemps...
— Vous les leurs avez données ?
— Non, je ne les ai pas. Il n'y a que le Docteur Tyrell qui connaisse les limitations de leur structure génétique.
— Pourquoi sont-ils venus chez vous alors ?
— Pour que j'entre en contact avec le Docteur Tyrell et que j'obtienne les informations à leur place. Je vous en supplie, il faut agir vite, ils vont la tuer.
Holden la regarda un instant et écrasa sa cigarette. Il était courtois mais un peu froid, et pas très enclin à aider. C'était l'attitude générale des membres de la police à l'égard des scientifiques qui créaient des réplicants et à cause de qui leurs vies étaient mises en danger au quotidien.
— Quel modèle de réplicants ?
— Des Nexus 6, je crois.
— Aucun Nexus 6 n'a encore été identifié sur Terre. Une navette a été détournée par des réplicants il y a quelques jours dans les colonies, mais ils n'ont pas encore eu le temps d'arriver jusqu'ici.
— Je ne sais pas comment ils sont arrivés, mais ils sont en train de menacer ma fille Alors, vous allez m'aider, oui ou non ?
Holden laissa passer un instant à observer la généticienne qui perdait patience. Même s'il restait professionnel, son mépris pour elle se lisait dans son regard. Il décrocha son vidéophone, composa l'extension de son supérieur dont le visage rondouillard chauve et moustachu apparut bientôt sr l'écran.
— Qu'est-ce qu'il y a Dave ?
— Une généticienne, sous-traitante de la Tyrell, dit que sa fille est retenue en otage par des Nexus 6.
— Ils n’ont pas eu le temps d’arriver sur Terre.
— Je sais, mais il faut quand même que j'aille vérifier. Vous avez des hommes à disposition ?
— Non, pas pour ça.
— S'il y a des réplicants là-dedans et qu'ils ont un otage, ça va mal finir, même si ce ne sont pas des Nexus 6.
— Bon, prends une patrouille, mais pas plus. J'ai déjà pas assez d'hommes pour régler les bagarres chez Taffey Lewis, je vais pas envoyer la moitié de mes effectifs pour des soi-disant Nexus 6 qui ne sont jamais arrivés ici.
— Merci capitaine.
Holden raccrocha, Pap était plus paniquée que jamais. Ils se mirent en route mais avant d'arriver à l'ascenseur qui devait les mener au toit, ils tombèrent sur un autre policier Celui-là avait un nœud papillon, une moustache et une fine barbiche. Il marchait avec une canne.
— Gaff ! L'interpela Holden, qu'est-ce qui t'es arrivé ?
— Un Voight Kampff qui a mal tourné. Le réplicant n'était pas celui que je testais. Il m'a planté une fourchette dans la cuisse. Kuso skinjob.
Après une brève discussion, Holden et Pap, rejoints par Gaff, prirent l'ascenseur avec deux agents en uniformes noirs renforcés et deux spinners prirent la direction du laboratoire. Pap, côté passager contemplait, sur la façade d'un immeuble convertie en écran, le visage d'une geisha proposant, sur fond de musique traditionnelle, d'acheter des bonbons aromatisés au faux thé vert. La généticienne était plus inquiète que jamais.
L'imposant revolver avait changé de mains. Il était désormais tenu par Irm qui vérifia rapidement son contenu sans réaliser que son geste avait généré encore un peu plus d'inquiétude dans le chef de l'otage. Ca faisait plus de trois heures que la mère de Kim était partie. Si elle ne revenait pas, il faudrait exécuter la prisonnière. Mais personne ne doutait de l'attachement de Pap pour Kim, pas même la jeune fille qui y jouait sa vie bien malgré elle. La porte d'entrée s'ouvrit, tout le monde se redressa, sur le qui-vive, et Pap entra.
— Alors ? demanda Rand.
— J'ai obtenu des réponses, annonça-t-elle avec confiance.
— Lesquelles ?
— Il y a un moyen de reprogrammer l'ADN pour augmenter la mitose. Mais ça implique une manipulation génétique assez lourde et un traitement médicamenteux.
— Vous pouvez procéder à cette reprogrammation vous-même ?
— Oui, mais ça va prendre du temps.
Rand sourit, Irm lui répondit en souriant à son tour. Marvin resta impassible.
— Alors c'est terminé ? demanda Irm, on a réussi ?
— Oui, répondit Gaff en entrant.
Holden et lui avaient déjà dégainé leurs armes. Les coups de feu commencèrent. Gaff abattit Marvin de deux balles au milieu du front. Le réplicant fut retiré avant d'avoir touché le sol. Son expression de surprise, sa bouche bée, ses yeux écarquillés se figèrent définitivement. Pap fixait sa fille toujours prisonnière et cherchait un moyen de lui venir en aide. Rand plongea derrière un réfrigérateur avant que les Blade Runners n'aient le temps de pointer leurs armes vers lui. Désarmé, il ne pouvait pas faire grand chose à part rester à couvert pendant que les balles pleuvaient autour de lui. Irm était restée pétrifiée, choquée par le retrait de Marvin. Une balle perdue perça une caisse d'azote liquide à côté d'elle et secoua la Nexus 6 comme un réveil. Le liquide se répandait à côté d'elle dans une fumée blanche, elle pointa le revolver sur la nuque Kim, absorbée par la fusillade. Elle tira une fois. L'arrière du crâne de la jeune fille explosa. Les morceaux de crâne et de cervelle se répandirent dans l'azote et gelèrent instantanément. Sans quitter des yeux le visage sans expression de sa fille, Pap hurla de toutes ses forces. Rand rampa en direction d'Irm qui chercha elle aussi à se mettre à couvert. Gaff et Holden rechargèrent et les réplicants en profitèrent pour se relever et courir en direction de la porte arrière dont ils arrachèrent la serrure rouillée d’un coup de paume. Dehors, les deux policiers en uniforme les attendaient, prêts à tirer, mais surpris par la force avec laquelle Irm et Rand avaient fait céder la porte. Contrairement aux Blade Runners, les agents en uniforme n'avaient pas reçu l'entraînement nécessaire pour faire face à des réplicants aux réflexes aiguisés. D'un bond, Rand et Irm les bousculèrent et les firent voler au sol avant de reprendre leur course et de disparaître dans la nuit. Même dehors, le bruit de la pluie était couvert par les hurlements hystériques de Pap.
Gaff approcha du réplicant qu'il venait de retirer. Il avait immédiatement reconnu celui qui lui avait planté la fourchette dans la cuisse. Il déposa dans la marre de sang un petit origami en forme d'ours qui s'embrunit rapidement par capillarité. Pap s'accrochait en sanglotant à ce qui restait du corps sans vie de Kim.
Les vestiges du centre médical universitaire n'étaient pas très loin dans le kipple, mais il avait malgré tout fallu y arriver. Le kipple était le nom donné à la masse de débris en tous genres, générés par la guerre et qui continuait à se propager. Le célèbre animateur de télévision Buster Friendly affirmait même que le kipple se reproduisait et s'insinuait dans la vie des derniers habitants de la Terre sous forme de bric-à-brac et finirait par recouvrir l'ensemble du globe. Rand et Irm étaient enfin arrivés jusque là, c'était leur dernier espoir. Ils se tenaient devant la vieille façade art-déco aux motifs géométriques surplombés de statues délabrées. Ils entrèrent pour se trouver enfin à l'abri de la pluie. Ils marchèrent en silence pendant un long moment avant d'arriver à la bibliothèque médicale de l'université.
— On a plus de chances si on se sépare, dit Rand.
— On se tient au courant, confirma Irm.
Elle perdit rapidement la trace de Rand et marcha dans les allées sombres. La pluie s’était infiltrée, l’eau dégoulinait le long des murs. Elle examina les rayonnages, les livres encore présents, ceux qui étaient moisis. Elle finit par trouver un rayon qui recensait les ouvrages sur les maladies génétiques. Irm se saisit d’un volume un peu au hasard. L’ouvrage traitait des mutations génétiques et de la structure de l’ADN. Elle feuilleta la table des matières tout en marchant, repéra un passage et tourna les pages jusqu'à arriver au chapitre qui l’intéressait. Elle s’installa à une table couverte de poussières. L’eau de pluie ruisselait sur la verrière au-dessus d’elle et l’empêchait de se concentrer. C’était étrange, Irm n’avait jamais de problème pour se concentrer. Les généticiens l’avaient dotée d’une intelligence supérieure. Elle avait l’habitude de lire vite. Elle comprenait sans difficultés des raisonnements abstraits complexes. Ses pensées vagabondaient et ça ne lui était jamais arrivé avant. Elle relut le passage et reprit sa lecture avant de réaliser au milieu de la page qu’elle n’enregistrait de nouveau plus ce qu’elle lisait. Les mots défilaient sous ses yeux, de façon décousue, sans que les phrases qu’ils formaient parviennent à faire sens dans son esprit. Irm voyait le laboratoire du Docteur Alisz. Le policier qui ouvrait le feu sur Marvin, elle qui tirait sur Kim. L’arrière de la boîte crânienne de la jeune fille volait à nouveau en éclat dans la mémoire du réplicant. Le sang, les morceaux d’os et de chair gelaient et émettaient une fumée blanche dans l’azote liquide répandu au sol par une balle perdue. Irm soupira et recommença à lire. Les structures moléculaires s’assemblaient dans son esprit. Les molécules devinrent des atomes et les atomes se volatilisèrent. Kim avait le regard vide quand sa tête toucha le sol. Son expression de résignation était gelée alors que le visage de Marvin affichait de la surprise quand les balles du policier le clouèrent au sol. Le docteur hurlait, un cri rauque, une énergie folle, perdue dans l’air moite alors qu’elle se contorsionnait de douleur devant sa vie à jamais brisée. C’était triste. Irm serra plus fort le livre, comme pour l’empêcher de fuir. Son cou se raidit alors qu’elle s’obligeait une nouvelle fois à fixer les caractères. Si seulement le Docteur Alisz ne les avait pas trahis, si seulement elle n’était pas allée voir la police, Irm n’aurait pas été obligée de tuer sa fille. Au fond, tuer Kim avait peut-être été inutile. Ca n’avait pas aidé les réplicants à obtenir les informations dont ils avaient besoin. Elle le voyait bien, son geste n’avait servi à rien et il avait irrémédiablement brisé deux vies. Irm était responsable. Elle l’était pour Marvin aussi. Si Rand et elle ne l’avaient pas convaincu de fuir avec eux, il n’aurait pas été retiré. Dans leur quête égoïste pour vivre plus longtemps, ils avaient raccourci la vie d’un des leurs. Sans compter le nombre de leurs semblables qui avaient péri dans l’explosion de leur résidence sur Mars. Irm se remit à lire une nouvelle fois et fut arrêtée au bout de trois mots. Sa vision était brouillée par des larmes. Il ne faisait pourtant pas vraiment sec dans la bibliothèque. Il n’y avait pas de vent, elle n’avait pas de poussières dans les yeux. Elle mit un moment à comprendre qu’elle pleurait parce qu’elle était triste. C’était étrange, elle ressentait un creux dans le ventre, un malaise général, et elle pleurait pour la première fois de sa vie. Irm avait la sensation de ne plus rien contrôler. Son corps ne faisait plus ce qu’elle voulait, elle réagissait à tous ces événements malgré elle. La mort de Marvin, la mort de Kim, la détresse de la maman, c’était horrible. Quelle tristesse il devait y avoir dans la tête d’un humain qui venait de perdre son unique enfant. Elle se frotta les yeux, tenta de lire une nouvelle fois et contempla très vite le trou béant à l’arrière du crâne de Kim. Irm laissa échapper un sanglot et lança le livre dont les pages fendirent l’air en se tordant avant que sa course ne soit arrêtée par une étagère. Les larmes ruisselaient le long de son visage et elle leva la tête pour regarder la pluie tomber sur la verrière au-dessus d’elle. L’empathie, c’était l’empathie qui la mettait dans cet état là. Elle ressentait de la tristesse pour Marvin qui s’était fait retirer. Elle était triste pour Kim qui avait vu sa vie s’arrêter alors que, comme elle, elle ne demandait qu’à vivre. Elle était triste pour Pap qui venait de perdre ce qu’elle avait de plus cher au monde.
Deux coups de feu retentirent. Irm leva la tête, l'instinct reprit le dessus, elle se mit à courir. Ses talons ne touchaient pas le sol, elle se déplaçait avec grâce et dans le silence. Au détour d'un rayon, elle repéra la silhouette de Rand allongée par terre. Oubliant toute notion de prudence, elle se précipita à ses côtés. En courant, elle écrasa sans s'en rendre compte un origami en forme de loup. Elle prit la tête de Rand dans ses mains qui n'eut que le temps de lui sourire avant de mourir. Des larmes chaudes coulèrent sur les joues d'Irm. Elle comprenait, enfin elle comprenait. L'empathie. Ce qui les différenciait, eux les réplicants, des humains. Les émotions, la capacité à ressentir la souffrance des autres et à les aimer. Kim, Marvin, Rand, elle les aimait. Elle était devenue aussi humaine que les humains. Submergée, elle pleurait à chaudes larmes, elle ne pouvait pas se contrôler. Elle entendit Gaff arriver derrière elle, mas elle ne parvenait pas à bouger. Le coup de feu lui traversa la nuque et elle tomba sur Rand.
Le policier rangea son arme encore fumante et déposa, près du cadavre d'Irm, un origami en forme de cygne. Il se releva à l'aide de sa canne et contempla sa victime dans une méditation silencieuse qui fut interrompue quelques instants plus tard par Holden.
— On dirait que j'ai raté la fête.
— C'est terminé.
— J'ai reçu un coup de vidéophone de Bryant. Des Nexus 6 se sont infiltrés à la Tyrell Corporation. Il veut que j'aille faire passer les tests de Voight Kampff. Je te laisse gérer ici ?
— Oui, vas-y, je m'en occupe.
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