Un soir d’automne, dans un petit village du centre de la France…
« Réveille-toi Victor ! On va bientôt fermer. »
Le jeune homme ainsi interpellé releva péniblement la tête et observa la main qui secouait son épaule. Il grogna d’un air mauvais, mais il en fallait plus pour impressionner celui qui le tenait.
« Je dormais pas Maurice… »
Fous-moi la paix, vieux débris ! pensa-t-il très fort.
« Vu la tronche que tu fais, t’en étais pas loin. Mais t’as raison, la prochaine fois j’attendrai que tu roules par terre pour avoir le plaisir de te réveiller à coups d'pied ! T'es lourd Victor. J’aimerais autant que t'ailles te saouler ailleurs, plutôt que devoir te virer tous les s… T’as payé au moins ?
- Tu me laisses plus prendre un seul verre si je t’ai pas filé mon fric avant…
- Et j’ai bien raison ! Quand j'pense que tu t’es bourré à l’œil la première fois que t’es venu ! Je m'ferai plus avoir, ça non !
- T’as oublié que j’ai payé le lendemain… J’en ai marre de t’entendre gueuler tous les soirs, je reviendrai plus…
Tant mieux ! »
Pourtant, Victor savait très bien qu’il repasserait dès le lendemain dans cet établissement. Et qu’il ne traînerait sans doute jamais dans les deux autres cafés de la commune. Il avait essayé bien sûr. À chaque fois, on l’avait jeté dehors sans ménagement, en menaçant d'appeler la police s’il osait revenir. Bon, sans doute aurait-il dû éviter de frapper le serveur qui avait refusé de lui apporter une troisième bouteille de vin alors qu’il tenait à peine sur ses jambes. Ou d’insulter le client qui lui avait gentiment demandé de ne pas s’asseoir sur la chaise réservée à son épouse. Pour l’instant, il ne s’était rien produit de tel chez « Le joyeux Drille », bar respectable tenu par monsieur Maurice Leroy. Il continuait donc de hanter les lieux en restant le plus discret possible. Les deux précédents incidents lui avaient servi de leçons. De toute façon, il ne venait ici que pour boire, quitte à jeûner quand il n’avait plus assez d’argent. Il ne partait qu’en fin de soirée, lorsque le patron fermait son établissement.
« C’est bon… J'me casse… »
Victor se leva avec précaution, en se cramponnant à la table pour éviter de s’écrouler. Autour de lui, les meubles et les murs se mirent à osciller dangereusement, comme s’ils se préparaient à lui tomber dessus. Le jeune homme ferma les yeux, prit une grande inspiration et regarda droit devant lui en direction de la porte. Satisfait du résultat, il lâcha son support pour atteindre la sortie d’un pas chancelant. Il lança un vague « Bonsoir… » d’une voix pâteuse avant de franchir le seuil. Maurice soupira et secoua la tête d’un air désolé. Ce gamin filait un très mauvais coton.
« Y m’énerve… Vieux croulant… Pourquoi il ferme si tôt… Tiens, il est ouvert lui… Mouais, j’ai plus d’argent… Tant pis… »
Occupé à grommeler, Victor ne se souciait pas du chemin qu’il suivait. Il ne se serait pas perdu en temps normal, même dans un état d’ébriété avancé. Installé depuis six mois dans ce petit village, il avait arpenté chaque rue des dizaines de fois. Ce soir pourtant, ses pieds avaient décidé de lui jouer un vilain tour.
« Faudrait peut-être que j'aille en ville demain… Beuh, pas envie… Ça fait un bail que j’ai pas bossé… Vais plus avoir de fric à force… »
Journaliste pigiste de profession, Victor avait pratiqué son métier avec sérieux pendant plusieurs années. Jusqu’au jour où il avait commencé à boire. Durant un an, il avait réussi à donner le change, à produire avec régularité de nouveaux articles, à ne pas traîner trop souvent dans les bars… Mais à son arrivée dans cette commune où il ne connaissait personne, il avait laissé tomber. Depuis, il vivait chichement d’un reste d’héritage légué par ses parents. En dépit de son train de vie très pauvre, il savait qu’il ne lui resterait bientôt plus rien. Quand cela se produirait, sans doute partirait-il en ville pour finir par sombrer dans la mendicité ou la délinquance. Parfois, il se demandait pourquoi il s’obstinait à rester dans ce coin perdu. Peut-être avait-il peur de ce qui se passerait après.
« Mal au crâne… Bizarre, je suis pas encore arrivé chez moi… »
Le jeune homme se laissa tomber sur le sol en soupirant. Pourquoi y avait-il si peu de lumière à cette heure-ci ? À croire que la mairie s’amusait à perdre les habitants rentrant tard chez eux. Victor passa la main dans sa chevelure brune, avant de s’étirer de tout son long. Même s’il n’avait jamais été un grand sportif, il sentait que sa condition physique s’était dégradée depuis plusieurs mois. Prendre un seul repas par jour ne l'aidait pas non plus à garder la forme. Au moins, il était toujours aussi maigre en dépit des litres d'alcool qu'il ingurgitait.
« Faut y aller là… »
Le journaliste se releva dans un gémissement, cherchant quelque chose pour s’appuyer. Vu qu'il ne trouva rien, il s’en fallut de peu pour qu’il ne s’écroule à nouveau. Pendant quelques secondes, il tendit les bras pour maintenir son équilibre. Cette petite réussite lui permit de reprendre sa marche. Il écarta d'une main molle les mèches qui tombaient devant ses yeux. Pour l’instant, on ne pouvait pas dire qu’il portait les cheveux longs. Mais ce serait bientôt le cas s’il n’allait pas chez le coiffeur. Une fois la vue dégagée, il observa avec attention les alentours.
« Je… Je suis où moi ? »
Stupéfait, Victor s’aperçut qu’il avait quitté le village et que les lumières de ce dernier semblaient à deux bons kilomètres. Comment avait-il pu s’éloigner à ce point sans remarquer son erreur ?
« Bon, du calme… Je vais pas m’énerver pour si peu. Si j'suis parvenu jusqu’ici, j’arriverai à rentrer. »
Il décida de courir un peu pour retrouver plus vite son lit, ce qui rendit sa démarche incertaine. Il allait à droite, à gauche, incapable de rester au milieu du chemin. À un moment, il sentit quelques gouttes de pluie lui tomber sur la figure. Il redressa la tête par réflexe… Aussitôt, la route parut disparaître sous ses pieds. Il bascula en avant et heurta brutalement le sol. Emporté par sa chute, son corps roula le long de la pente. Victor essaya de s’agripper aux cailloux, aux herbes, mais tout lâchait sous ses doigts. Par chance, cette dégringolade ne dura que quatre ou cinq douloureuses secondes. Il atterrit sur une surface herbeuse, moins dure que ce qu’il venait de traverser. Pendant quelques instants, il resta allongé sur le sol sans bouger, au bord de l'inconscience. Il finit par se relever avec beaucoup de difficultés.
« Ho la la… Qu’est-ce que j’ai fichu… »
Cette fois-ci, il trouva où s’appuyer car on avait eu la bonne idée de planter un bel arbre près de lui. En fait, la pente qu'il venait de dévaler se trouvait à l'orée d'un bois. Et devant lui...
« Ça alors… »
Éberlué, il découvrit un grand édifice planté au milieu des arbres. À cause de l’obscurité, le journaliste dut l’observer durant plusieurs secondes pour comprendre qu’il s'agissait d'une église en ruines.
Tiens… J’ignorais qu’il y avait un machin pareil ici. Depuis que j’habite dans le coin, personne m’en a parlé… Personne me cause de toute manière.
Un peu dessaoulé, il s’approcha du trou qui correspondait à l’entrée de ce monument. Il vérifia que les murs ne risquaient pas de lui tomber dessus avant de s’engager dans l’allée centrale.
« Y a encore des bancs… Ils n’ont pas l’air trop pourris. »
Il s’assit avec méfiance, mais le bois ne céda pas. Au contraire, il paraissait bien solide, comme si cette banquette sortait d'une menuiserie.
« Pourquoi diable a-t-on laissé des meubles ici ?
- Peut-être parce que certaines personnes viennent encore se recueillir dans cette église.
- Aaaaaaah !!! »
Victor bondit sur ses pieds en hurlant et faillit s’étaler par terre. Il vit un inconnu se lever et tendre la main vers lui pour l'aider.
« Je suis désolé, je ne voulais pas vous faire peur. »
Ce jeune homme semblait beaucoup s’amuser de sa frayeur. D’un autre côté, il n'avait peut-être pas tort. Quelle idée de réagir d’une façon aussi stupide !
« Pas votre faute… J’aurais pas dû crier si fort…
- Excusez-moi, vous êtes sûr que vous vous sentez bien ? On dirait que vous allez vous écrouler. Il vaudrait mieux que vous restiez assis.
- C’est pas ça… C’est juste que… »
Le journaliste vit son interlocuteur s’arrêter à deux ou trois pas de lui. L'inconnu comprit certainement la raison de ses jambes flageolantes, il ne fit pourtant aucune remarque. Toujours souriant, il se rassit sans rien dire tandis que Victor se laissait tomber sur le banc près de lui.
« Je m’appelle Christopher Jones. Et vous ?
- Victor Morel.
- Enchanté, monsieur Morel. Je vous souhaiterais volontiers la bienvenue dans la région, mais j’imagine mal un touriste se promener par ici en pleine nuit. Aussi…
- J’habite le village d’à côté depuis un an. Je me suis perdu en rentrant chez moi. »
Sa voix était sèche, voire agressive. Il ne pouvait s’empêcher de penser que cet individu se moquait de lui à cause de son ivresse.
Du calme… Faut que j’arrête la paranoïa… Je suis pas dans la tête de ce gamin. Peut-être qu’il est toujours aussi… euh… expansif.
En réalité, il exagérait en traitant Christopher de gamin. Victor avait fêté son vingt-septième anniversaire l'été dernier et cet homme semblait du même âge que lui. Cependant, autant le visage de l’un paraissait morne et fatigué, autant celui de l’autre resplendissait d'enthousiasme. Gêné par cette présence, le journaliste voulut se lever pour quitter cet endroit. Hélas, la pluie venait de redoubler et, en dépit de quelques trous, le toit de l’église les protégeait de l’inondation.
« Dites, si vous cherchez votre chemin, je peux vous aider. Même si je ne vis pas dans le coin, je connais très bien…
- C’est pas la peine. C’est pas parce que j’ai b… je suis fatigué que j’ai oublié par où rentrer chez moi. J’ai repéré des lumières pas loin. Y a aucune chance que je me perde.
- Désolé, je ne pensais pas que vous le prendriez mal. J’ai souvent remarqué que les gens s'égaraient par ici la nuit. Il y a si peu d’éclairage que cela n’a rien d’étonnant. »
Victor se frotta le visage en soupirant. Il regrettait de se montrer désagréable alors que ce jeune homme tentait de l’aider. Quelque chose d'étrange le dérangeait chez lui… Il jeta un coup d’œil discret à Christopher sans rien remarquer d’anormal. Il ne vit qu’un individu plutôt grand, de la même taille que lui, mince et vêtu de façon élégante. Ses cheveux, foncés dans cette noirceur, étaient aussi bien peignés que s’il venait de les coiffer. A cet instant, le journaliste comprit pourquoi il se sentait mal à l’aise.
On dirait que ce type sort d’un gala… Alors qu’est-ce qu’il fout dans cette ruine ?
« J’ai l’impression que ma tête ne vous revient pas, ajouta Christopher en souriant. Peut-être croyez-vous m’avoir déjà rencontré ? C’est possible, je m’excuse de ne pas me souvenir de vous dans ce cas.
- Non… C’est juste que… Vous n’avez pas peur d’abîmer votre costume ?
- Aaaah, c’est ma tenue. Je devais participer à une réception ce soir pour mon travail. Voyez-vous, je suis antiquaire et j’ai la chance d’avoir des clients fortunés. Ce qui ne les empêche pas d’être un peu pingres… L’un d’entre eux m’a invité à une fête organisée pour l’anniversaire de sa fille aînée. Très sympathique, n’est-ce pas ? Sauf qu’on a discuté pendant près d’une heure du prix du prochain marbre antique qu’il voulait acheter. Il croyait qu’il obtiendrait une bonne ristourne grâce à cette invitation. J’en ai eu assez et j’ai filé en douce à la première occasion.
- Pour vous réfugier dans une église abandonnée ? Votre client vous fait si peur ? »
Christopher éclata de rire avant de se lever d’un bond. En dépit de l’heure avancée, il semblait déborder d’énergie.
« Non, ce vieil homme n’est pas effrayant. En fait je voulais venir ici de nuit… Peut-être resterai-je jusqu’au matin cette fois-ci. Et vous ? Cela vous tente ? »
Victor le regarda d’un air ahuri. Qu’il quitte une soirée de richards où le proprio le harcelait pour quelques sous, il comprenait. Mais venir dans une ruine en pleine nuit, alors qu’il tombait des cordes…
Ça non, je pige pas…
Il ne dit rien pour ne pas vexer l'antiquaire. Ce dernier comprit son étonnement et répondit à sa question muette.
« Vous devez vous demander si j'ai toute ma raison. C’est normal pour quelqu'un qui ne connaît pas cet endroit. Je suppose que vous n’avez jamais entendu parler de la légende de cette église. »
Le journaliste resta silencieux. Cela ne parut pas décourager Christopher qui s’assit à ses côtés. Pendant quelques instants, il regarda droit devant lui, cherchant l’inspiration parmi les vieilles pierres.
« Regardez ! s’écria-t-il en tendant un doigt vers les restes de l’autel. La rosace… »
Victor tourna la tête dans la direction qu'il lui indiquait. Au début, il ne saisit pas ce qu’il devait voir. Il s’aperçut que le ciel s’était dégagé, il apercevait la lune à présent. Une douce lueur avait envahi le chœur et atteignait maintenant les premiers bancs. Le vieux bâtiment ne semblait plus aussi sinistre, même si cette lumière montrait à quel point il était délabré.
« C’est très joli… Et je ne comprends toujours pas de quoi vous parlez. »
Il posa sa main sur sa bouche pour étouffer un bâillement. Il ne ressentait plus les troubles de l’alcool, mais il savait qu’un sommeil très lourd allait bientôt l’assommer. Si l’antiquaire voulait que quelqu’un entende ses explications, il lui faudrait se dépêcher de les donner.
« Ne vous inquiétez pas, j’y arrive. Cela va peut-être vous étonner d'apprendre que cet édifice est probablement le plus ancien de la région. D’après les historiens, il a été construit dans les années 1200. Hé oui, à la même époque que Notre Dame de Paris ! Surprenant n’est-ce pas ?
- Pas vraiment… Vu son état, je suppose que plus personne n’y est entré depuis.
- Ah, vous ne vous rendez pas compte du trésor archéologique que représente cette église ! Je peux le comprendre. Lorsque je l’ai découverte, je n'y ai vu qu'une ruine sans grand intérêt. Dire que personne ne l’entretient, alors qu’elle abrite de tels trésors ! Tenez, rien que les sculptures…
- Pourquoi ne l’achetez-vous pas cette merveille ? Elle ne doit pas coûter bien cher avec ce qu’il y a à retaper.
- Je suis loin de rouler sur l’or, répliqua Christopher avec un sourire. Non, il faudrait une grande fortune pour réparer les outrages du temps. J’ai essayé de sensibiliser les responsables de certaines communes avoisinantes, sans succès. Ce monument est dans un tel état que leurs hésitations ne me surprennent pas. J’ai appris récemment que cette église avait été abandonnée pendant plusieurs siècles, à cause d'une curieuse légende. »
Depuis plusieurs minutes, Victor ne suivait plus trop les paroles de l’antiquaire. Ces problèmes d’archéologie et de rénovations hypothétiques ne l’intéressaient pas. Cependant, sa curiosité se réveilla quand Christopher se lança dans un récit d’un autre genre.
« Vous le savez peut-être, la plupart des églises sont orientées vers l’est, là où le soleil se lève. Mais ce n’est pas le cas de celle-ci, car on raconte qu’un événement étrange s’est produit juste avant le début de la construction. Ce jour-là, l’architecte était venu sur le terrain pour réaliser ses derniers repérages. Son travail avait pris du retard, ce qui l’inquiétait beaucoup. Quand il est arrivé sur place, il a découvert une vieille femme en train de chanter et de danser à l’endroit exact où devait s’élever l’autel… »
Christopher s’arrêta quelques secondes avant de reprendre son histoire. Son expression était devenue très sérieuse, comme s’il se préparait à annoncer une grande catastrophe. Malheureusement, Victor avait encore en tête l’image d’une vieille folle en train de se trémousser au milieu du chœur, ce qui cassait l’effet dramatique.
« D’un seul coup, l’architecte est entré dans une colère folle ! Il s’est rué sur l’inconnue pour la rouer de coups ! Lorsqu’elle s’est effondrée sur le sol, il a continué de la piétiner jusqu’à ce que ses pieds soient couverts de sang. La pauvre l’a supplié de se calmer tant qu’elle a pu parler. Hélas, elle n’a pas survécu bien longtemps.
- Mais il était taré ce type ! Pourquoi il a fait un truc pareil ? »
Pris par l’histoire, le journaliste semblait à présent bien réveillé. Son compagnon haussa les épaules d’un air triste. On aurait dit qu’il assistait lui aussi à cette scène horrible.
« C'est simple… Quand l’architecte a vu cette femme, il a cru qu’il s’agissait d’une sorcière jetant un sort à la future maison de dieu. La légende dit qu’il avait raison. Mais il n’aurait jamais dû la tuer, car le démon s’est vengé d’une terrible façon !
- Ah ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Des cornes ont poussé sur la tête de cet abruti ?
- La métaphore est intéressante... Il paraît que l’épouse de cet homme se montrait très attentionnée envers les apprentis. C’est étonnant que vous ayez deviné. Pourtant, sa punition fut bien pire. »
Euh… Il se fout de moi là, non ? C’est quoi cette histoire de coucherie ?
« Le plus intéressant reste encore à venir, reprit Christopher. Lorsque les villageois ont appris ce qui s’était passé, personne n’a critiqué l’architecte au départ. On l’a même félicité pour avoir protégé un lieu sacré. Jusqu’à ce que les premiers décès se produisent.
- Hein ?
- Une semaine plus tard, des paysans ont retrouvé un cadavre sur le lieu du drame. Le mois de décembre venant de commencer, on a cru qu’il était mort de froid. Cependant, on a remarqué une chose inquiétante. Le visage de cet homme était tordu dans une expression d’horreur et de panique. On aurait pu croire qu’il était mort de peur.
- Je suppose que c’est bien ce qui lui est arrivé…
- Tout à fait. Le surlendemain, ce sont deux corps que l’on a ramassés. La situation n’a fait qu’empirer au fil des semaines. Bientôt, les villageois ont commencé à dire que la vieille femme avait maudit l’endroit au moment de sa mort. Personne n'osait plus l'approcher, y compris les ouvriers chargés de creuser les fondations de l’église.
- Ah, ah… Ennuyeux ça…
- Bien sûr, les responsables religieux de la région ne pouvaient pas laisser les choses ainsi. Ils ont confirmé que les maléfices de la sorcière avaient perverti ce lieu, qu’ils allaient purifier grâce à un puissant exorcisme. Un prêtre spécialisé dans le domaine règlerait ce problème au plus vite.
- Ça a marché ? »
Ça m’étonnerait…
« Eh bien, plus ou moins d'après la légende. Cet homme vivait dans une contrée éloignée, au sud de l’actuelle Belgique. C’est pourquoi il lui fallut beaucoup de temps pour atteindre le village. D’ailleurs, les habitants ne savaient pas quel jour il devait arriver. Cela ne le dérangeait pas car il avait décidé d’agir seul. Il disait que dieu lui avait envoyé un message en rêve. Que tout individu qui tenterait de l’aider perdrait la vie. Que lui seul pouvait vaincre la créature qui avait tué ces gens.
- Je suppose qu’il s’en est débarrassé d'un claquement de doigt.
- Pas vraiment. Selon la tradition, le diable en personne hantait les lieux. Courroucé par la mort de sa servante, il avait décidé qu’il tuerait chaque être passant la nuit là où on devait construire l’église. Seuls ceux partis avant le lever du soleil survivaient. Bien sûr, les habitants ignoraient sa présence. L’exorciste a réussi à chasser le Malin, mais cet exploit lui a coûté la vie. Et il y a pire…
- C’est déjà pas mal pourtant.
- Avant de plonger en enfer, le diable a lancé une malédiction. Je reviendrai, dit-il, chaque fois qu’un être vivant, homme ou femme, passera plus de dix nuits dans la future église. Au onzième lever de soleil, j’apparaîtrai sous la forme d’un monstre écailleux à la bouche gigantesque ! Alors je dévorerai sans pitié ma proie, quel que soit son âge ou ses vertus. À cause de ce maudit exorciste, je ne peux plus emporter ma victime en enfer. Aussi, je jure de tant la broyer que même son âme ne résistera pas. Elle n’atteindra jamais le paradis : elle plongera dans le néant éternel.
- Il était presque aussi bavard que vous, dis donc. Pas étonnant qu’on ait préféré oublier cette église… Comment cette légende s’est-elle transmise ?
- Le prêtre a survécu quelques heures à ses blessures, assez pour prévenir les paysans qui l’ont secouru. Les morts inexpliquées ont cessé et ce magnifique édifice a pu être bâti. Hélas, certains décès mystérieux ont rappelé qu’une malédiction planait sur ce lieu. Les villageois ont fini par abandonner cet endroit. Deux siècles plus tard, on avait pratiquement oublié son existence. Au 19è siècle, l'un des châtelains l'a redécouvert, mais il est mort jeune. Certains disent qu’il aimait trop cette église et qu’il y avait passé plus de dix nuits.
- Je vais sans doute faire de même… conclut Victor en bâillant.
- Quoi ? »
Le journaliste s’étira dans un long soupir. Il sentait sa fatigue revenir avec la fin du récit. Il comprit qu’il ne parviendrait jamais à rentrer chez lui, pas sans dormir une heure ou deux.
« J’ai sommeil… Alors je vais faire une sieste avant de partir.
- Ici ? En pleine nuit ?
- Vous avez peur que je disparaisse au matin ? rétorqua-t-il en regardant Christopher d’un air moqueur.
- Bien sûr que non ! Mais nous sommes fin novembre. Vous risquez de mourir de froid si vous passez la nuit ici.
- Je vous ai dit que je ne resterai pas longtemps. »
Trop épuisé pour discuter, Victor se laissa glisser par terre. Il s’installa sous le banc, sans se soucier des protestations de l’antiquaire.
« Je peux vous aider à retourner chez vous si vous le souhaitez...
- Bonne nuit ! »
Le jeune homme se roula en boule pour récupérer un peu de chaleur. Au début, il se dit qu'il s'agissait d'une mauvaise idée parce qu'il tremblait de froid. Puis il trouva une position plus confortable dans un creux herbeux. Quelques secondes plus tard, il était plongé dans un profond sommeil.
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