Lorsque Victor se réveilla le lendemain, il ne fut pas très surpris de sentir un gros pavé à la place de son oreiller. À force de passer la nuit dehors, il se demandait s’il n’allait pas s’installer dans cet édifice. Au moins, il ne paierait plus un loyer scandaleusement cher pour un studio minuscule. En revanche, il lui faudrait trouver une solution pour son corps ankylosé par le froid.
Brrrrr, j’suis gelé ! Bizarre, c’est la première fois que ça m’arrive ici…
Il réalisa qu’il avait dormi avec un second manteau les nuits précédentes, celui de Christopher. Le journaliste ne le lui avait pas rapporté la veille, car il l’avait oublié dans son appartement. Son acolyte était d'ailleurs parti avant lui, préoccupé par un « problème personnel ». Il se demanda quel âge pouvait avoir le « problème personnel » en question. Était-elle jolie ? Sans doute, car l’antiquaire semblait bien fait de sa personne. Il s’agissait aussi d'un homme sympathique, capable de s’entendre avec n’importe qui. Il disposait d’une situation stable qui devait lui procurer de bons revenus. Tout pour plaire en quelque sorte.
Quel intérêt pour lui de traîner par ici en pleine nuit ? Je ne comprends pas du tout. Et comment il bosse s’il vient aussi la journée ? Bah, il sait ce qu’il fait mieux que moi.
Victor s’estimait mal placé pour donner des conseils sur la façon de gérer sa vie privée. En fait, il détestait se mêler des affaires des autres, tout comme il avait horreur que l’on s’immisce dans son existence. Pour cette raison, il ne cherchait pas à nouer de relations au sein du village. Manque de chance, cela ne suffisait pas pour qu’on le laisse tranquille. Passe encore pour ses employeurs, en droit de se demander si le travail exigé serait remis dans les temps. Mais qu’un barman émette des critiques sur son rapport avec les boissons alcoolisées, alors qu’il lui en vendait des litres tous les soirs, non ! Hélas, le sieur Maurice Leroy semblait très remonté ce matin-là contre « l’alcool, ce fléau ». Il ne s’était pas encore attaqué au journaliste, assis dans un coin sombre en face d’une bouteille de whisky à moitié pleine.
Va vraiment falloir que je change de bar…
Pour mieux ignorer les paroles du tenancier, Victor repensa aux dernières heures. Il était rentré chez lui avec l’idée de retourner aussitôt aux archives départementales. Il songeait aux paroles de Christopher sur les sculptures, les alligators, les crocodiles et les Égyptiens. Peut-être trouverait-il quelque chose de ce côté ? Et il lui restait la piste du Comte de Boideauray à exploiter. Il allait passer tout son samedi perdu dans de passionnantes études, loin de la grisaille quotidie…
Aaaah, quelle andouille ! Les archives sont fermées aujourd'hui ! Abruti !
Par chance, il s’en était souvenu avant de prendre le car. Il aurait erré en ville toute la journée, ne sachant où aller... Ou plutôt non. Il se serait installé dans le premier troquet venu pour boire jusqu’à plus soif. Peut-être aurait-il été tranquille là-bas, loin des âneries déblatérées par le fameux Maurice.
Il tire la tronche depuis qu'il m’a vu entrer dans le bar...
D’ordinaire, il ne débarquait qu’en début de soirée pour repartir à l’heure de la fermeture. Il lui arrivait cependant de venir en fin de matinée quand il n’avait rien à faire. Ce comportement d’ivrogne ne plaisait pas au barman, mais le jeune homme s’en moquait. Sauf lorsque celui qu’il surnommait le vieux débris se permettait de lui faire la leçon. Dès qu’il était entré, il avait senti ses yeux inquisiteurs se poser sur lui. Sans se soucier de sa réaction, il avait filé vers l’une des tables les plus éloignées du comptoir. Plusieurs bagarres avaient éclaté au cours de l’après-midi, donnant l’occasion à Maurice de se plaindre de « ces fichus tord-boyaux étrangers, remplis de dieu sait quoi ! » Il termina en jurant qu’il ne commanderait plus jamais ces « horreurs imbuvables ».
N’importe quoi ! Comme s’il y avait une différence entre du whisky et du... le truc qu'ils vendent dans le coin. On se demande vraiment qui boit le plus ici !
Pourtant, il aurait été malhonnête d’accuser le tenancier de s’adonner à la boisson car celui-ci ne buvait jamais. Ou alors il attendait d’être chez lui. Victor ne se souvenait pas l’avoir déjà vu vider un seul verre devant sa clientèle. Étrange…
Bof, c’est son affaire. C’est p’t’être important de rester sobre quand on saoule les autres, surtout qu’il n’a pas besoin d’alcool pour ça.
Vingt minutes plus tard, la bouteille déversa ses dernières gouttes dans le verre du journaliste. Les jambes flageolantes, ce dernier se leva pour aller chercher de quoi s’abreuver. Il était à présent trop ivre pour se soucier de la mauvaise humeur du barman.
« Une autre ! lâcha-t-il en posant brutalement la bouteille sur le comptoir.
- Ça va pas non ? s’exclama Maurice. C’est quoi ces manières ?!? Tu t’améliores pas toi !!! »
Le jeune homme dut réfléchir quelques secondes avant de comprendre ce qui clochait. Puis il s'aperçut que c'était la première fois qu'il tapait sa bouteille vide sur un bar pour réclamer la suivante. Il trouva la situation plus drôle que gênante, ce qui ne l’empêcha pas de s’excuser.
« Dé… Désolé…
- Va t’asseoir ! J’vais te servir !
- J’pré… J’préfère rester là… répondit-il en s'écroulant sur l’un des tabourets.
- C'est toi qui voit, tant qu’tu restes calme.
- J’m’é… J’m’énerve jamais moi… Ou presque…
- Si t’étais aussi raisonnable pour le reste, tout s'rait parfait.
- Ga… Garde tes cou… cours de mor… morale pour toi…
- T’as l’intention de mener cette vie encore longtemps ? Si tu t’reprends pas très vite, tu vas mal finir. T’as pas de parents, de famille ? Une p’tite amie ?
- Sont morts, sont l… loin et non…
- Même si tes proches vivent ailleurs, tu devrais…
- C’est pas des proches ! Des vagues cous… cousins, c'est tout !
- J’peux comprendre que la solitude soit dure à supporter, mais y a des moyens de s’en sortir. »
Pitiééééééééééé…
Désemparé, Victor s’avachit sur le comptoir, attendant que Maurice oublie son rôle de bon samaritain pour celui de marchand d’alcool.
« Tel que tu m’vois, j’ai pas toujours été barman dans un bled paumé. À une époque, j’avais une femme, une entreprise qui tournait bien, pas mal d’argent... Et j’ai perdu tout ça ! Pourquoi ? À cause du jeu ! J’adorais les jeux d’argent, les soirées au casino et les grosses parties d’cartes. Bien sûr, ça pouvait pas durer… »
Maurice poussa un gros soupir en écrasant une petite larme. Le journaliste ne remarqua pas son émotion car son visage était appuyé contre ses bras croisés.
Bon sang ! Sers-moi ce foutu whisky et oublie-moi !
« Un soir, deux gorilles ont débarqué chez moi pour m'casser la figure ! Ce jour-là, ma femme a compris c'qui s’passait. Résultat, un mois plus tard elle demandait le divorce à mes torts. Mais elle m'trompait avec mon associé depuis un moment. Ce salaud a tout fait, TOUT, pour m'piquer l’entreprise ! À l’époque, j’me sentais si mal qu’il a réussi sans problème. Y m’a viré d'mon propre poste de PDG ! Y m’a laissé juste assez pour acheter un bar. Et encore, j'crois qu'c’est mon ex qui a insisté pour m'aider. Ah, Germaine ! On était si bien ensemble ! C’est fini tout ça… »
Victor se mordit les lèvres pour ne pas éclater de rire, le visage dissimulé derrière ses bras posés sur le comptoir.
« Hé p’tit ! Ça va pas ? T’as envie de vomir ? Oh !
- Nooooon, j'me sens trèèès bien… Juste un peu f… fatigué…
- T'exagères, l’est à peine sept heures du soir ! Enfin… Si t’avais une vie saine, tu s'rais pas crevé. Tiens, regarde-moi !
- J'préfèrerais admirer une bouteille de whisky…
- La ferme ! Depuis qu’j’ai arrêté d'jouer, j'mène une vie exemplaire ! Quel que soit l'temps, j'sors en manches courtes, juste avec un chapeau pour m’protéger la tête. Un béret basque ! C’est le seul galurin qui m'reste de mon père… »
Mouais… Avec le marcel et l’option bras bleus en hiver, j'aime autant éviter…
« Et j'vais chercher mon pain à pied quel que soit l'temps ! J'pourrais pas m'passer de ma baguette quotidienne. C'est excellent pour la santé, faudrait qu'tu fasses pareil !
- En parlant de commissions… Ma bouteille…
- T'es désespérant... Va t’asseoir à ta table ! J’vais t’l’apporter !
- Ok… »
Victor ne protesta pas, car il craignait que le barman ne lui tienne la jambe pendant une bonne heure encore. Il alla s’écrouler sur sa chaise et n’en bougea plus jusqu’à l’heure de fermeture.
Pourquoi c’est moi qu’il choisit dès qu'il veut s'épancher ? Marre…
Une fois dehors, il se dirigea aussitôt vers la fameuse église. Après une soirée agitée par plusieurs bagarres, auxquelles il n’avait pas pris part, et une insupportable discussion sur le sens de la vie, il souhaitait juste s’étaler sur l’un des bancs de ce lieu tranquille. À côté des souvenirs de Maurice, le bavardage de Christopher lui semblait presque reposant. Beaucoup moins ivre que la veille, il rejoignit sans trop de difficultés le vieil édifice.
Tiens, il y a de la lumière à l’intérieur… Il doit être déjà là.
D’un pas vif, le journaliste pénétra dans le bâtiment en souriant.
« Salut Chris… Euh…
- Monsieur ? »
Contrairement aux autres nuits, une jeune femme au visage impassible était assise sur l’un des bancs. Ses grands yeux sombres fixèrent Victor, comme si elle cherchait à lire dans son esprit. Un peu intimidé, ce dernier ne savait plus quoi dire. Une seconde, il se demanda s’il ne ferait pas mieux de s’en aller… Puis il se sentit idiot de réagir ainsi. Cette bâtisse étant abandonnée depuis des siècles, il ne faisait rien de mal en venant ici. Il ne se trouvait pas sur une propriété privée et il ne causait aucune dégradation en se contentant de dormir parmi les vieilles pierres. Alors pourquoi se sentait-il mal à l’aise ? Attendant toujours sa réponse, l'inconnue se leva et se dirigea vers lui.
« Monsieur ? Puis-je vous aider ?
- Euh… Je… Non… Tout va bien…
- Excusez-moi, j’ai cru que vous cherchiez quelqu’un, ajouta-t-elle avec un charmant sourire.
- Je… L’une de mes connaissances passe souvent par ce monument… en journée... je veux dire… aussi le soir… C’est un histor… Non, un antiquaire.
- Oh, je vois ! Ne s’agirait-il pas de monsieur Jones ?
- Oui, c’est bien lui ! Vous le connaissez ? Oh… Vous ne seriez pas… »
Il se demanda alors s’il ne s'agissait pas de la petite amie de Christopher. À force de l’attendre chaque soir, elle avait peut-être décidé de le rejoindre pour un rendez-vous nocturne. Gêné, le journaliste n'osa pas achever sa phrase.
« Vous disiez ?
- Non, rien d’important.
- Êtes-vous étonné que je connaisse Christopher ? Cela n’est guère surprenant en tant qu'habituée des lieux. Cependant, je doute que votre ami apprécie ma présence.
- Je… Ce n’est pas vraiment mon ami… Enfin je ne crois pas… Nous ne nous connaissons que depuis quatre nui… jours.
- Je suis pourtant sûre qu'il s'est montré sympathique et très intéressant. Je crois qu’il donne cette impression à tout le monde au début. Il est très doué en ce domaine. »
Son visage se durcit durant quelques secondes, mais elle resta silencieuse. Victor s’écarta de plusieurs pas et regarda autour de lui pour dissimuler sa gêne. Cette femme connaissait-elle des aspects peu recommandables de la vie de Christopher ? Si c’était le cas, que lui reprochait-elle ? Son attitude lui rappela ses propres doutes.
« Je ne sais rien de lui, répondit-il d’une voix sèche.
- Je ne vous reproche rien ! C'est plutôt moi qui devrait m'excuser, je ne me suis pas encore présentée. Je me nomme Sarah Morton et je suis enchantée de vous rencontrer, monsieur…
- Victor Morel. Je… Je suis ravi de… vous rencontrer. »
C’est bizarre… Même si je ne l’ai jamais vue, son nom me rappelle quelque chose.
Sarah lui adressa un léger sourire avant de se détourner pour rentrer dans l’église. Sa silhouette élancée glissait avec légèreté et assurance parmi les pierres. On aurait dit qu’elle connaissait le chemin par cœur, car elle ne buta contre aucun caillou en dépit de ses chaussures à talons. Son fin manteau brun doublé de fourrure recouvrait le corsage d'une longue robe en soie bleu marine. D'un geste vif, elle écarta une mèche de sa chevelure noire attachée en chignon au-dessus de sa nuque.
Amusant, elle aussi semble sortir d'une soirée mondaine.
« Je vous en prie, ne restez pas dehors à cause de moi ! reprit-elle en s’asseyant sur l’un des bancs. Il y a assez de place pour nous deux. Si vous souhaitez en apprendre plus sur cet étrange édifice, je suis certaine de pouvoir vous aider.
- Je ne voudrais pas vous déranger, madame.
- Non, je vous assure. Je suis ici depuis plusieurs heures et je dois avouer que je commence à m’ennuyer. J’ai l’impression que rien ne se passera ce soir…
- Puisque cela vous fait plaisir… murmura-t-il en s’installant à côté d’elle. Vous attendiez quelque chose ? »
La jeune femme ne lui répondit pas tout de suite. L’expression de son visage s’assombrit tandis qu’elle regardait en direction du chœur. Puis sa main plongea sous sa veste pour se saisir de ses cigarettes et d'un briquet.
« En désirez-vous une ? demanda-t-elle en lui tendant le paquet.
- Volontiers, je vous remercie. »
Sarah aspira une longue bouffée d’un air soucieux. Pendant un court instant, elle parut oublier la présence du journaliste. Soudain, elle jeta son mégot à moitié fumé et l’écrasa du bout de sa chaussure.
« Victor, j’aimerais que vous me répondiez avec honnêteté. Est-il vrai que vous avez rencontré Christopher cette semaine ? Êtes-vous certain de ne pas l’avoir croisé auparavant ?
- C'est évident ! Je pense que je m’en souviendrais sinon. »
Sauf si j’étais ivre au point de rouler sous une table. Mais je le vois mal traîner dans les mêmes bars que moi.
« D'accord, je vous fais confiance. Je suis sûre que vous êtes un homme sincère et responsable. Malheureusement, cela risque de vous empêcher de croire ce que je vais vous raconter.
- Depuis quelques jours, j’ai l’impression d'être capable de comprendre les choses les plus étranges.
- Hmmm… Peut-être avez-vous raison… Ce que je vais vous confier est en rapport avec une légende liée à cet endroit.
- Celle du démon qui réapparaît au bout de dix nuits…
- Oui, je suppose que Christopher vous en a parlé en détail. C’est une bonne chose que vous l'ayez rencontré car il est le seul à connaître aussi bien cette histoire. Quel dommage qu’il refuse de tenir compte de certains éléments !
- Ah ? Vous voulez dire qu’il m’a caché des informations ?
- Non, c'est plus compliqué que cela… Je vais commencer par le début pour que vous saisissiez l’importance de ce monument. »
Le journaliste regarda la jeune femme avec curiosité. Quels secrets Christopher avait-il choisi de lui dissimuler ? L’antiquaire s’était montré si prolixe sur le sujet, que pouvait-il lui avoir caché ?
Ils se sont peut-être mis d’accord pour me mener en bateau. Mais pourquoi agiraient-ils ainsi ? Je ne peux rien leur apporter.
Ignorant son inquiétude et sa méfiance, Sarah se lança dans son récit.
« Je suis arrivée dans cette région il y a six mois environ pour de simples vacances. Alors que je visitais les alentours du village voisin, j’ai découvert ce bâtiment. La disposition de ce lieu, les sculptures et surtout l’isolement de cet endroit m’ont semblé fort inhabituels. Travaillant dans le domaine de l’histoire de l’art, j’ai décidé d’étudier cette église en profondeur. Un soir, j’y ai croisé Christopher Jones, un antiquaire anglais, venu en France pour des raisons professionnelles.
- Oh, je croyais qu’il vivait par ici.
- Il loge dans un appartement en ville en ce moment. J'ai cru comprendre qu’il s’en irait bientôt. Ou peut-être pas. Il semblerait que son client actuel soit quelqu’un de difficile à satisfaire.
- Oui, il m’en a un peu parlé.
- Comme vous devez vous en douter, c’est grâce à monsieur Jones que j'ai découvert la légende
de cet endroit. Je n’avais rien trouvé au cours de mes propres recherches, je n’habitais pas ici depuis assez longtemps.
- Et vous ne passiez pas toutes vos nuits dehors…
- Qu’en savez-vous ? Peut-être ai-je d’aussi mauvaises habitudes que vous ? »
Sarah le regarda avec un sourire amusé, mais Victor n’avait pas envie de rire. Cette remarque le mettait mal à l’aise car il ne savait pas où elle voulait en venir. Se moquait-elle de son ivrognerie ou sous-entendait-elle autre chose ?
« Excusez-moi, je plaisantais… Je suis désolée que vous l’ayez mal pris.
- Non, je vous rassure. J’avais juste la tête ailleurs.
- En fait, je crois que je manque de courage pour aborder ce que je vais vous révéler. C’est si effrayant…
- Vraiment ?
- Oui… Après avoir discuté de temps en temps avec monsieur Jones, mes recherches sont devenues très productives. J’étais ravie de mes résultats au départ. Il suffisait que je passe une journée aux archives départementales pour trouver de nouvelles informations. Cependant, à force d’étudier, j’ai trouvé des choses que j’aurais préféré ignorer… Notamment les affaires de meurtres.
- Pardon ???
- À plusieurs reprises, on a retrouvé des gens décédés de mort violente dans l'église. La police oriente aujourd'hui son enquête vers une secte, mais j’ai bien peur qu’ils ne se trompent.
- Attendez, je ne vous suis pas là…
- C’est pourtant simple. Il y a une bonne raison pour laquelle les enquêteurs n'ont trouvé aucun indice les orientant vers un quelconque assassin. La légende dit vrai. J'ignore si c'est le diable ou autre chose qui vient prendre ses victimes au onzième matin, mais cette créature n'est pas humaine. J'en suis persuadée. »
Éberlué, le journaliste fixait Sarah, incapable de répondre. Cette dernière semblait bien trop calme vu ce qu'elle venait d'annoncer.
Elle délire… Ce n’est pas possible…
« Victor, je ne voulais pas vous effrayer avec ces horreurs. Comprenez-moi ! C’est si difficile de garder ça pour soi, de voir les cadavres s'entasser... Et d'être la seule à comprendre pourquoi ! Aujourd’hui, trop peu de personnes se souviennent de cette légende. Comment les pauvres gens qui s'égarent ici pourraient-ils savoir à quel danger ils s’exposent ?!?
Le jeune homme écoutait Sarah dans un silence gêné. En temps normal, il aurait ri devant des affirmations aussi ridicules. Peut-être n'avait-elle pas toute sa raison ? En tout cas, se moquer d'elle n'arrangerait rien.
« Madame, il s’agit d’un mythe… Aucun démon à tête d’alligator n’est descendu sur terre pour massacrer ces malheureux. Les policiers ont raison d'envisager les crimes d’une secte.
- En temps normal, je serais d’accord avec vous. Mais il y a trop de coïncidences ! J’ai vérifié le passé de chaque cadavre retrouvé sur les lieux depuis six mois. À chaque fois, il s'était caché plusieurs nuits dans cette église. On raconte que celui qui suivra l'évolution des ombres des statues au cours de la nuit découvrira un trésor composé d’or et de rubis. Plusieurs fous ont dû prendre cette histoire pour argent comptant.
- Quoi qu’il en soit, ils n’en sont pas morts. La bêtise n’a jamais tué personne.
- Je n’en suis pas si sûre…
- C’est stupide ! Vous croyez sincèrement que ces racontars vieux de neuf siècles sont vrais ?
- Il m’est impossible de vous obliger à me faire confiance, répondit-elle d’une voix froide. »
Perdu dans ses pensées, le journaliste se leva et se dirigea à pas lents vers le chœur. Il le traversa et marcha jusqu’à ce qu’il atteigne l’autre bout du monument. Puis il s’arrêta, étonné de voir un mur en face de lui. Il s’était à peine rendu compte de ses déplacements. Cependant, il sentait une légère excitation poindre au creux de son ventre. Quelque chose qu’il n’avait pas éprouvé depuis au moins deux ans… Ou plus…
« Madame, répondit-il en se tournant vers Sarah, c’est déjà la quatrième nuit que je dors ici. Et je suis persuadé que j’en passerai dix sans le moindre problème. Faisons un pari. Si je suis encore vivant le onzième matin, oubliez ces histoires de démon.
- Vous… Vous êtes sérieux ? Vous allez rester ici dix nuits d’affilée ?
- Croyez-moi, vous ne serez pas responsable de ce qu'il m'arrivera. Cette histoire me plait et je meurs d’envie d’en connaître le fin mot. »
Sarah le regarda d'un air inquiet durant plusieurs secondes. Elle finit par se lever à son tour pour le rejoindre.
« Victor, je pense que vous faites une folie. Je reviendrai pour vous convaincre de renoncer à cette idée idiote. S'il s’agit d’une secte, vous courez un grand danger en attendant ici chaque soir. Pensez-y ! Si vous avez besoin d’une chambre pour la nuit, je peux vous héberger tempor…
- Je vous remercie, ce n'est pas nécessaire. Je loue déjà un appartement dans les environs. Je vous donne ma parole que tout ira bien. Quand je repèrerai des gens douteux s'approcher de cet édifice, j'irai me cacher dans la forêt. Je connais bien le coin maintenant.
- D’accord… Je comptais rester ici cette nuit, car un collègue m’a affirmé posséder des preuves sur cette fameuse secte. Il devait me les apporter avant minuit, l’heure est hélas dépassée depuis longtemps.
- Il est plus de minuit ? Aucune importance. Je ne bougerai pas jusqu'au matin, donc il me trouvera s’il vous cherche. Vous devriez rentrer chez vous, je lui expliquerai la situation quand je le verrai.
- Je vous remercie, je suis épuisée… »
Sarah s’avança pour lui serrer longuement la main. Elle semblait plus émue qu’elle ne voulait le montrer, ce qui toucha le jeune homme. Il lui adressa un sourire confiant et un regard bienveillant. Puis il la regarda sortir de l’édifice de son pas sûr et léger.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Cette question lui apporta plus de curiosité que d’angoisse. Même si le journaliste n’avait aucune idée de ce que lui apporterait le lendemain, rien ne l’effrayait en cet instant. De toute façon, n'importe quoi vaudrait mieux que l’ennui mortel qui le rongeait depuis plusieurs mois.
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