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tome 1, Chapitre 2 « Deuxième nuit » tome 1, Chapitre 2

Assommé par ses excès de boisson, Victor ne se réveilla qu’à l'aube. Surpris de se retrouver dans un endroit inconnu, il se redressa brusquement et manqua de s’assommer contre un banc. Il lui fallut plusieurs minutes pour se rappeler la scène de la veille. Lorsqu’il se leva, il s’aperçut que Christopher avait posé sa veste sur lui. Il ronchonna en repoussant cette couverture improvisée d’un geste agacé. Mais il la rabattit contre lui quand il sentit le froid matinal.

Il avait raison de se méfier… songea-t-il en grelottant. Comment je vais le lui rendre maintenant ?

Le journaliste se promit de repasser dans la journée près de l’église. L’antiquaire appréciait beaucoup ce monument, il y viendrait peut-être aujourd’hui. Manque de chance, il ne put pas mettre son plan à exécution. Vers onze heures, il reçut un appel téléphonique de la part d’un de ses anciens employeurs. Celui-ci avait besoin de quelqu’un pour couvrir une fête agricole se déroulant dans l’après-midi. Tout son personnel était occupé, il avait donc cherché parmi les pigistes de la région. Le jeune homme faillit refuser, avant de se souvenir que son compte en banque était presque vide.

J’ai horreur de ce genre de boulot…

Il passa une journée exécrable sans trouver l’occasion de boire une seule goutte d’alcool pour lui remonter le moral. Le soleil se couchait quand il transmit enfin son article. La seconde d’après, il se précipita vers « Le joyeux Drille », pressé de noyer son ennui dans beaucoup de vin. Ou de whisky, si ses poches contenaient suffisamment d’argent. Lorsqu’il sortit du bar en chancelant, il se souvint qu’il devait rendre son manteau à Christopher. Il l’avait d’ailleurs emmené avec lui dans ce but. Cependant, une autre raison le poussait à retourner là-bas. Au cours de ce jour si long et désagréable, ses pensées s’étaient souvent égarées du côté de ce mystérieux bâtiment et de son étrange légende.

Je me demande comment il a réuni autant de renseignements sans archives. Il n’a quand même pas interrogé tous les habitants du coin !

Quand il entra dans l’église, il constata à regret que celle-ci était vide. Sur le coup, il se sentit un peu bête… Quelle idée de croire que l’antiquaire reviendrait en pleine nuit ! Il ne pouvait pas avoir de client insupportable et de soirée soporifique à fuir chaque jour. Victor se laissa tomber sur un des bancs en grognant. Il contempla les ruines d’un air morne : le chœur à moitié effondré, les rares sculptures encore visibles, les murs branlants percés de larges ouvertures… Sans doute l’emplacement de vitraux disparus depuis longtemps. Il releva la tête pour observer les plafonds qui semblaient ne tenir que par miracle. Abruti par l’alcool, il finit par s’endormir, son visage retombant sur sa poitrine. Mais il se réveilla en sursaut au moment où son corps menaçait de basculer en avant.

« Hein… Qu’est-ce que… »

Aux aguets, il entendit de légers bruits derrière lui qui ressemblaient à des grincements. Intrigué, il se releva avec le plus de discrétion possible. Ces sons inhabituels l’inquiétaient, il craignait de croiser des gens malintentionnés. Arrivé près de l’entrée, il se rendit compte que la brume venait de tomber. Pourtant, elle n’était pas encore assez dense pour lui boucher la vue. Son instinct professionnel se ranima-t-il en dépit des vapeurs de l’ivresse ? Le journaliste s’aplatit contre le mur et observa ce qui se passait. Au départ, il ne vit que deux étranges véhicules, des sortes de… de carrosses ?!?

C’est pas possible… J’ai des visions ou quoi ?

Le jeune homme se frotta le visage avec énergie pour dissiper l’hallucination. Rien n’y fit. Quand il regarda de nouveau dans cette direction, il nota la présence de trois formes humaines devant les calèches. Hélas, le brouillard devenait de plus en plus épais. Impossible de voir leur visage ou les vêtements qu’ils portaient. Ils auraient pu être habillés de livrées de cocher sans qu’il ne s’en aperçoive.

On croirait que je suis remonté dans le temps…

À cette idée, un malaise brutal lui tordit l’estomac. Mais non voyons, c’était complètement idiot ! Il suffisait de faire quelques pas pour dissiper l’illusion et… Sauf que son corps ne lui laissa pas cette occasion. Soudain, Victor sentit tout le vin qu’il avait avalé envahir sa gorge. Paniqué, il se précipita à l’intérieur de la bâtisse pour se cacher sous l’un des bancs. Là, il plaqua ses mains sur sa bouche et déglutit pour s’empêcher de vomir. S’il n’y parvenait pas… Si on l’entendait… Si ces inconnus s’en prenaient à lui… Sur ces pensées peu rassurantes, il perdit conscience. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il sentit que quelqu’un tentait de le tirer en arrière. Comme il avait oublié ce qu’il venait de vivre, il se laissa faire.

« Hé ! Tu pourrais m’aider un peu si tu es réveillé ! lança une voix joyeuse.

- Christopher… souffla-t-il en le fixant d'un air ahuri.

- Tu as passé toute la journée ici ? Non, c'est impossible… Quand je suis passé dans l’après-midi, tu n’étais pas là.

- J’avais trop de travail aujourd’hui… J’aurais voulu venir plus tôt…

- Ne t’excuse pas voyons ! Le travail, c’est bien plus important que les vieilles ruines. D’ailleurs, je ne pensais pas que tu repasserais. Au fait, cela ne te dérange pas que je te tutoie ?

- Non… Je te ramène ta veste et… »

D’un seul coup, le journaliste se rappela la scène à laquelle il venait d’assister. Ce souvenir lui coupa les jambes alors qu’il se relevait. Il s'écroula sur le banc, parvenant de justesse à ne pas tomber par terre.

« Attention ! Tu vas finir par le rater si tu ne regardes pas où tu t’assois !

- Je n’ai plus envie de voir quoi que ce soit ce soir… gémit-il d’une voix angoissée. »

Silence. Christopher s’installa à côté de lui sans rien dire. Il attendit quelques instants, puis il reprit la parole d’un ton plus posé.

« J’ai l’impression qu’il s’est passé quelque chose de grave en mon absence. Tu souhaites en parler ?

- Mais non, pas du tout ! C’est juste que j’ai trop bu et… Ça semblait si réel… Après tout, il y avait peut-être quelque chose… Faut… Faut que j’aille vérifier… Dehors… »

Le jeune homme s’appuya sur le banc pour se mettre debout, ce qui le propulsa en avant. Il faillit basculer la tête la première, mais l'antiquaire parvint à le retenir d'une main.

« Attends ! Dis-moi au moins ce qu’il y a ? »

Il tira sur le pan de son manteau pour se dégager et se précipita vers la sortie, pressé de confirmer ses inquiétudes. Encore ivre, il buta à plusieurs reprises sur des restes de pavés brisés, évitant quelques chutes douloureuses. Il entendit Christopher courir pour le rattraper, le forçant à accélérer. Il ne voulait pas qu’il l’empêche de voir, de comprendre ! Victor commençait à se méfier de cet homme même si ce dernier se montrait serviable. Lorsqu’il se remémorait la précédente soirée, certains éléments l’inquiétaient. En fait, il trouvait son comportement beaucoup trop incongru. Quelle idée de venir en pleine nuit dans une église délabrée ! Que pouvait-il étudier ici, alors que la lumière de la lune éclairait à peine le chœur ? Et cette histoire de soirée… Grotesque ! Il lui avait menti, il en était certain ! Qu’allait-il lui faire maintenant ?!?

Cal… Calme-toi… Ça ne sert à rien de paniquer… S’il avait voulu m’agresser, il aurait pu le faire pendant que mon sommeil. Inutile de s’énerver… Je lui demanderai des explications tout à l’heure. Pour l’instant, le sol !

Sur ces pensées peu rassurantes, le journaliste regarda autour de lui pour chercher l’endroit où s’était déroulée cette scène insolite. Les minutes passèrent sans qu'il ne parvienne à le repérer, car le brouillard lui avait caché trop d'éléments. En dépit d'un temps désormais clair, il resta bredouille. Il finit par se mettre à genoux pour étudier chaque pouce de terrain. Christopher le rejoignit et l’observa un long moment avant d'attirer son attention.

« On dirait que tu as perdu quelque chose. Tu es certain que je ne peux pas t’aider ?

- Non ! Enfin si… Je ne sais pas… Je… »

Victor éprouvait de la gêne à l'idée d'en parler, d'autant plus qu'il n'avait pas l'esprit très clair. Avait-il souffert d'hallucinations ? Il se trouvait stupide en songeant à la peur qu'il avait ressentie.

« Ça paraissait réel pourtant… J’ai même entendu le grincement des roues…

- Qu'est-ce que tu as vu ?

- Désolé, j’ai pensé à voix haute.

- D’accord… Je ne vais pas t’obliger à me le dire si tu ne le veux pas. Cependant, tes recherches seraient plus fructueuses avec un peu de lumière, ajouta-t-il en lui tendant une torche électrique.

- Merci… »

Le jeune homme saisit l’objet avec précaution pour ne pas le lâcher. Ses mains tremblaient toujours un peu quand il était saoul, sans compter qu’il souffrait des conséquences de son malaise. Il balada le faisceau lumineux sur le sol durant plusieurs minutes. Il remarqua que la terre avait été remuée et tassée à certains endroits, comme pour effacer des traces.

« Je ne suis pas fou alors… murmura-t-il.

- J’ai l’impression que tu as trouvé quelque chose d’intéressant.

- Pas vraiment… D'ailleurs, je… J’aimerais te poser plusieurs questions, si ça ne te dérange pas. Rien d’indiscret je te le promets ! »

Christopher sourit et se laissa tomber par terre.

« Aucun problème ! Je vais te raconter ma vie si tu en as envie. Mon existence a débuté il y a 28 ans à Londres, entre un père anglais et une mère française. Grâce à eux, j'ai appris à parler mes deux langues maternelles sans accent. Ils ont un peu trop insisté sur le sujet, car je suis devenu un garçon très bavard au débit fort rapide. C’est du moins ce que de nombreuses personnes ont remarqué chez m…

- A… Attends… C’est pas ça que je voulais savoir… Même si ça explique pourquoi tu causes tout le temps et que t’as pas un nom du coin…

- En effet ! Pour la peine, je te laisse me poser toutes les questions que tu souhaites. Mais je crois que nous serions mieux sur les bancs de l’église.

- Ouais… »

Victor tenta de se redresser, sans succès. Il était accroupi depuis trop longtemps, ses genoux ne voulaient plus lui répondre. Avant qu’il ne réagisse, l’antiquaire s’approcha de lui et passa un bras sous ses épaules. Il le tira avec fermeté, l’empêchant de retomber. Le journaliste fut surpris par sa force parce que le jeune homme ne semblait pas très musclé. Cependant, il savait que n’importe qui pouvait être plus en forme que lui.

« Désolé pour la corvée…

- Ce n’est rien. Cela peut arriver à tout le monde de rester bloqué, surtout sur un sol aussi dur. »

Les deux hommes se dirigèrent avec lenteur vers le sombre édifice, immense parmi les arbres. Sa masse noire paraissait très impressionnante par cette nuit sans lune. Bien cachée derrière les nuages, celle-ci n'exposerait sans doute plus ses cratères avant le lendemain soir. Au fond, Victor s’en moquait. Son regard fixait les contours du monument, fasciné par ce qu’il voyait.

« Comment est-ce possible… Les murs bougent !

- Hein ???

- Braque la lampe par là ! Je t’ai dit que les murs bougeaient ! »

Surexcité, il arracha la torche de la main de Christopher pour la diriger en tremblant vers l’une des parois. Il sentit une violente nausée quand il vit une forme noire longiligne se glisser le long du mur.

« C’est… Qu’est-ce… Qu’est-ce que…

- Victor, calme-toi… C’est juste un animal nocturne, je dirais une belette ou une fouine. Je suis sûr qu’il y a plein de terriers dans le bois, car je n’arrête pas d’en croiser par ici. Certaines se glissent dans les sculptures pour trouver les petits rongeurs qui s’y réfugient parfois. De nombreux ornements creux ont résisté au temps. Tu n’as aucune raison de paniquer, elles n'ont rien de dangereux. »

Honteux, le journaliste s’écarta de l'antiquaire et partit s’asseoir sur l’un des bancs. Celui-ci le rejoignit pour s’installer à côté de lui.

« C’est dommage que l’on ne voit rien cette nuit, sinon nous aurions pu étudier les sculptures. Je crois que tu les aurais trouvées passionnantes.

- C’est ridicule ! explosa le jeune homme. On ne s’amuse pas à jouer à l’historien à cette heure-ci ! D’ailleurs, je me demande pourquoi tu es encore ici !

- Du calme ! Je ne sais pas ce que tu as vu tout à l’heure, mais ça ne te donne pas le droit de me hurler dessus ! Je ne plaisante pas, il est préférable d’étudier les murs de cette église aux heures nocturnes. Tu te souviens de la légende, non ? Avant que ne commence la construction de ce bâtiment, l’architecte a réalisé de nombreux calculs liés à la position de la lune. La tradition veut qu’il ait essayé de conjurer une partie du mauvais sort. Comme le diable menaçait d’apparaître au lever du soleil, il a décidé que l’astre nocturne deviendrait son allié. C'est pourquoi des ombres étranges émergent des murs les nuits de pleine lune. Je pense que les différentes décorations ont été façonnées pour projeter des symboles, des créatures capables de chasser les démons. Je suis loin d’avoir tout compris à ce sujet et les dégâts compliquent ma tâche. Il est impossible de discerner aujourd'hui les formes que les constructeurs voulaient nous montrer. C’est pour cela que je reviens souvent après le coucher du soleil. Si ce bâtiment est orienté vers l’ouest, c’est aussi pour tromper le démon, censé arriver à l’est.

- Ah… Désolé, je l’ignorais… Je m’excuse… Je… Je ne voulais pas m’énerver…

- Ce n’est pas grave. Il est normal que tu te sois méfié, j’aurais réagi de la même manière à ta place.

- Tous les trucs que tu me racontes… Tu les as appris où ? Tu m’as dit qu’il n’y avait plus d’archives…

- Des années 1200, non. Cette malédiction s'est longtemps incrustée dans la mémoire des gens de la région. Elle a atteint les oreilles de certains lettrés, qui l’ont retranscrite pour « l'édification des consciences » paraît-il. De plus, j’ai rencontré plusieurs conteurs qui connaissaient cette légende.

- Je me sens vraiment idiot…

- Ne t’inquiète pas pour ça. Au contraire, je suis plutôt content d’avoir rencontré quelqu’un qui s’intéresse à ce lieu. La plupart de mes clients achètent des antiquités pour le standing, pas pour leur richesse historique.

- On dirait que tes chers acheteurs t’ont laissé tranquille aujourd’hui. »

Cette nuit-là, Christopher portait une chemise blanche recouverte d’un pull en laine fine de couleur marron clair. Son pantalon semblait d'une teinte plus sombre, bien qu’il soit difficile d’en être sûr dans l’obscurité. Il avait aussi enfilé un long et épais manteau gris qu’il laissait ouvert.

« Oui ! Hélas, ils repasseront à l’attaque dès la première occasion. Alors ? Est-ce que tu as autre chose à me demander ?

- Hmmm… Les bancs… Ils sont trop récents pour dater du 13è siècle.

- C'est clair ! Lorsque je t’ai rencontré, je t’ai dit que des gens venaient encore s'y recueillir. Ceux-ci ont estimé plus confortable d’installer de quoi s’asseoir.

- Euh… Attends… Tu m’as dit qu’elle n’était plus fréquentée depuis des siècles…

- Oui, d’où son état. Cependant, le châtelain vivant ici en 1860 s’est pris d’une grande passion pour ce monument. Il paraît qu’il admirait les sculptures pendant des heures. Il les dessinait, les peignait, les étudiait… Malheureusement, il est décédé très jeune. Plusieurs personnes ont pris l’habitude de revenir en ces lieux : des parents du noble décédé, des habitants du village voisin, des curieux… Manque de chance, aucun individu vraiment fortuné ne s’est intéressé à cet édifice. J’ai tenté de convaincre l’un de mes clients, qui a reculé devant les frais importants.

- Aaaah… Je vois… »

Durant quelques instants, les deux hommes gardèrent le silence. Victor se sentait épuisé à cause de sa dure soirée. Sa journée avait été fatigante et il avait bu bien plus que la veille. Il frotta avec brusquerie ses yeux pour se réveiller un peu. Cela n’eut pour effet que de les irriter. Déjà qu’il avait du mal à les garder ouverts…

« Fait chier…

- Il vaudrait mieux que tu retournes chez toi. Pour ma part, je ne vais pas tarder à m’en aller.

- Non, je préfère rester jusqu'au matin…

- Tu plaisantes ?!? La météo a annoncé que les températures chuteraient cette nuit ! Tu risques de mourir gelé, même avec deux manteaux !!!

- Je t’ai rendu le tien et je n’en aurai plus besoin, merci. Il suffira simplement que je ne dorme pas. Si ça ne va pas, je pourrai toujours rentrer. »

Christopher haussa les épaules, avant de lui balancer son manteau en pleine figure.

« Je te donne le droit de l’abandonner sur un banc. De toute façon, je repasserai demain matin. Si tu t’es transformé en glaçon au cours de la nuit, j'appellerai la morgue. »

Victor était trop fatigué pour répliquer aux propos acides de l’antiquaire. Il replia ses genoux contre lui pour se protéger du froid. Il avait souvent l’impression que plus il se saoulait, plus il se refroidissait à l’intérieur… En fait, il savait qu'il s'agissait d'une réalité d'un point de vue scientifique et que dormir dehors n'arrangerait rien.

« Tu en veux ? »

Le journaliste tourna la tête et vit son acolyte lui tendre un paquet de cigarettes. Il hésita pendant une seconde avant d’en saisir une. À l'inverse de l'alcool, le tabac ne l’attirait pas vraiment. Pourtant il avait si froid qu’il ne résista pas à la proposition. Il se pencha sur le côté pour que Christopher lui donne du feu avec son briquet. Durant quelques secondes, ils fumèrent sans rien dire. La tête penchée en arrière, Victor regardait les volutes blanches monter vers le toit fendu de l’église. On aurait dit une sorte de petit fantôme qui tentait de s’échapper… Peut-être allait-elle rejoindre le brouillard envolé vers les étoiles… À moins qu’elle ne s’arrête près de la lune ?

Pourquoi je me raconte des conneries pareilles moi ?

« T’es sûr que c’est bien des cigarettes tes machins ?

- Aucun doute là-dessus.

- Hum… grogna-t-il dubitatif. »

Las, il fut tenté de s'allonger sous un des bancs pour regarder la fumée s’évaporer à son aise. Cependant, la scène des calèches continuait de le travailler.

« Euh… Je voulais te demander… Est-ce que tu… C’est difficile à expliquer…

- Prends ton temps, je ne suis pas pressé.

- J’ai l’impression que tu ne vas pas me croire…

- Depuis que je suis arrivé, j’ai la sensation que quelque chose t’inquiète. D’ailleurs, je t’ai trouvé dans une drôle de position sous le banc. Tu avais une mine affreuse ! J’ai cru que tu étais tombé malade après avoir passé la nuit dehors. C’est pour cela que j’ai essayé de te dégager sans te réveiller.

- T’avais pas entièrement tort… Je crois que j’ai fait un malaise quand…

- Quand ?

- Quand… j’ai vu… Non, c'est idiot…

- Écoute Victor… Si ce que tu me dis est incohérent, je te promets que je ne ferai aucune remarque. Mais tu as peut-être vu quelque chose d’intéressant, tu ne crois pas ? Comme j’étudie cet édifice, j’aimerais savoir ce qui s’est passé.

- D’accord… marmonna-t-il à moitié convaincu. Quelques minutes après mon arrivée, j’ai entendu un bruit étrange derrière moi… Un grincement… J’ai compris que cela venait de l'extérieur du bâtiment. Alors je suis sorti… En me cachant contre le mur… Je me suis dit que ça pouvait être des gens dangereux… »

Nerveux, Victor jeta son mégot par terre et l’écrasa d’un coup de pied. Il releva la tête et s’obligea à reprendre son récit d’une voix plus calme.

« Le brouillard était tombé depuis… Oh, pas très longtemps je pense. Ou je ne l’avais pas remarqué. Enfin, ça m’étonnerait… Donc on ne voyait presque rien… J’ai repéré deux gros véhicules. C’était… des carrosses… »

Le journaliste regarda Christopher d’un air gêné. Il s’attendait à ce que celui-ci éclate de rire ou exprime au minimum de la surprise. Pourtant le jeune homme ne réagit pas. Après tout, n’était-ce pas normal ? Ne pouvait-on pas trouver deux ou trois raisons crédibles pour que ces moyens de transport s'arrêtent près du monument cette nuit-là ?

Même si aucune ne me vient en tête...

« Je crois que j’ai vu deux ou trois personnes devant…

- Tu les as reconnues ? »

L’antiquaire lâcha cette question d’une voix brusque, comme s’il comptait sur une réponse immédiate. Étonné, Victor le fixa quelques instants avant d'ajouter :

« Bien sûr que non ! Déjà que je croyais que je délirais à cause de l’alcool… Y avait des formes, c’était des humains parce qu’ils avaient deux bras et deux jambes ! C’est tout, je ne voyais rien d’autre ! Ni leur tête, ni leurs vêtements, ni rien… En fait… J’ai cru que j’observais des fantômes… Je sais que c’est idiot maintenant !

- Excuse-moi, je n’aurais pas dû te poser cette question, tempéra Christopher avec un sourire embarrassé. Ce à quoi tu as assisté est très surprenant… En fait, j’aurais peut-être cru voir des fantômes moi aussi.

- Quand j’ai scruté le sol, j’ai vu que la terre avait été retournée, puis tassée… Enfin… Je peux me tromper…

- Je comprends… C’était une bonne idée de vérifier d’éventuelles traces de roues. Demain, j’étudierai l'endroit à la lumière du jour pour trouver d’autres indices.

- Euh… C’est tout ? T’acceptes ça sans souci ?

- Pourquoi pas ? Il y a de nombreuses raisons pour expliquer la venue de personnes en carrosse près d’une église en ruines par une nuit brumeuse. Bon, peut-être pas beaucoup, au moins quelques-unes. En revanche, tu devrais éviter de repasser la nuit prochaine. Si ces gens existent bien, il est possible qu’ils aient de mauvaises intentions.

- Je suis un grand garçon et je sais me défendre seul. Je reviendrai demain si j’en ai envie ! renchérit Victor d’un ton aigre.

- Je ne vois pas pourquoi tu t’énerves…

- Je suis fatigué. Je vais dormir une heure avant de rentrer chez moi.

- Non, tu vas t’écrouler sous un banc pour n’émerger qu’au lever du soleil ! C'est très dangereux par une nuit pareille ! Surtout si des inconnus traînent dans le c…

- FOUS-MOI LA PAIX ! On n’est pas amis, t'as pas à te mêler de mes affaires ! Dégage ou ignore-moi, COMPRIS ?!? »

Sans attendre de réponse, Victor s’éloigna rapidement pour aller s’effondrer dans une encoignure située près du chœur. Au fond, il s’en voulait de s’être emporté. Ce qu’il vivait depuis deux nuits le perturbait, il avait l'impression de s'enfoncer dans un piège. Il ne savait rien de Christopher, en dehors de ce que ce dernier lui avait dit. Lui racontait-il n’importe quoi ? Tentait-il de le manipuler pour une raison incompréhensible ?

Si ça se trouve, c’est un taré enfui d’un asile psychiatrique. Je suis verni tiens…

Le jeune homme décida de se lancer dans ses propres recherches dès le lendemain. Il irait étudier les archives de la préfecture pour découvrir le passé de ce monument. Ainsi, il saurait s'il s'agissait vraiment d'un lieu maudit depuis des siècles. Perdu dans ses pensées, il sombra dans le sommeil.


Texte publié par Natth, 11 juillet 2020 à 14h17
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