Pourquoi vous inscrire ?
«
»
Lecture

Chaque soir, la jeune fille suivait le sentier entourant la propriété de ses parents. Depuis sa plus tendre enfance, elle aimait marcher sur ce chemin tranquille, perdu en pleine nature. Au loin, la maison familiale ressemblait à un phare rassurant, unique lumière de ce jour qui baissait. Dans une heure ou deux, sa mère sortirait pour l'appeler. Elle rentrerait alors en courant, car le dîner n'attendrait pas. Même si elle ignorait ce qu'elle lui avait préparé, elle savait que ce serait bon. D'aussi loin qu'elle se souvenait, sa mère n'avait jamais raté un seul plat. Ses repas étaient parfaits, ils le seraient toujours.

Au bout de quelques mètres, le sentier commença à descendre vers une grande forêt. La masse sombre des arbres s'étendait sur des kilomètres, jusqu'à l'horizon. La jeune fille savait qu'elle ne devait pas s'aventurer dans les bois à cette heure-ci, au risque de se perdre. Pourtant, elle prenait chaque soir l'embranchement qui menait vers la grande clairière. Elle aimait l'odeur des arbres, le bruit des feuilles sous ses pas et le ciel étoilé au travers des branches. Elle écouta les bruits nocturnes, cherchant à reconnaître le cri d'un animal. Un hibou, une chouette ? Un loup ? Elle sourit. Non, il n'y avait pas de loup ici, il n'y en avait jamais eu.

Soudain la jeune fille s'arrêta, interdite. Au milieu de la clairière, un grand mur gris se dressait. Comment avait-on pu construire un ouvrage pareil en une seule journée ? Elle était venue la veille, mais il n'y avait rien ici. A présent, le sentier était barré par un rempart si haut qu'elle n'en voyait pas le bout. De quel édifice pouvait-il bien s'agir ? Et pourquoi ne l'avait-elle pas vu de la colline, alors qu'il semblait dépasser la cime des arbres ? Intriguée, elle décida de le longer pour rentrer chez elle. Peut-être parviendrait-elle à découvrir ce qu'il abritait ? De toute façon, il s'arrêterait bien quelque part. Aucun mur n'était infini.

Elle marcha longtemps, s'enfonçant dans une forêt de plus en plus obscure. Elle s'appuyait contre la muraille pour éviter de trébucher sur les nombreuses racines. Cet étrange bâtiment était devenu son seul point de repère dans le noir. L'heure du repas était passée depuis un bon moment, sa mère allait la gronder. La jeune fille espérait qu'elle ne se fâcherait pas trop quand elle apprendrait la raison de son retard. A plusieurs reprises, elle lui avait formellement interdit d'entrer dans la forêt quand venait le soir. Dans cette campagne isolée où l'on ne croisait personne, il semblait bien trop facile de disparaître pour toujours.

A bout de force, la jeune fille décida de s'arrêter quelques minutes pour se reposer. Adossée contre le mur, elle ferma les yeux. Au début, le silence lui parut total. Même les oiseaux de nuit semblaient s'être endormis. Pourtant, elle sentit bientôt qu'elle n'était pas seule. Elle entendit de légers bruissements de feuilles... Des feuilles écrasées. Quelqu'un se trouvait là, juste devant d'elle. Inquiète, elle ouvrit les yeux et tourna la tête en direction du bruit. Elle vit de petites lumières briller au loin, comme des torches. Etait-ce ses parents, partis à sa recherche ? Ou de parfaits inconnus, peut-être malintentionnés ? Pourtant, personne ne passait jamais par ici.

Sur la défensive, la jeune fille resta sans bouger. Au bout de quelques instants, les lumières se mirent à tourner en tous sens, s'élever brusquement, retomber vers le sol... Que se passait-il ? Derrière les torches dansantes, elle aperçut des formes blanches... Des silhouettes qui n'avaient rien d'humain. Terrifiée, elle lâcha le mur pour s'enfuir en courant dans les bois. Elle avait oublié ! C'était LA NUIT ! Celle où personne ne devait se trouver dehors. Le malheur l'attendait. Il la rattrapait au rythme du pas de ses ennemis. Mais elle allait s'échapper !!! Cette fois-ci, elle réussirait. Personne ne l'arrêterait, elle arriverait à temps !

Jaillissant d'un sentier, une lumière hurlante bondit vers elle. La jeune fille hurla avant de s'écrouler sur le sol.

Penché sur la blessée, le médecin tendit deux doigts sous sa gorge pour lui prendre le pouls. Son visage resta crispé quand il sentit un léger battement. La vieille dame était en vie, il fallait faire vite. Si seulement ces infirmiers stupides l'avaient surveillée avec plus d'attention ! Ils savaient que le 31 octobre était une date difficile pour leur patiente. Depuis que sa maladie s'était aggravée, elle n'avait plus toute sa raison. Ils l'avaient déjà retrouvée arpentant les allées du square municipal, persuadée qu'elle se promenait dans l'ancienne ferme de ses parents. Ce soir-là, son esprit s'était focalisé sur l'un des plus hauts gratte-ciels de la ville.

Le médecin observa les infirmiers soulever le brancard et le déposer dans l'ambulance. A son tour, il monta à l'arrière du véhicule. Il se demandait encore ce qui avait poussé la vieille dame à tourner aussi longtemps autour de cet immeuble. Elle semblait très calme au départ. Mais dès qu'ils s'étaient approchés, elle avait fui. L'un de ses collègues croyait qu'elle avait paniqué à cause des spots d'une discothèque toute proche. Toujours est-il qu'elle s'était jetée sur la chaussée à l'arrivée de l'ambulance. Même si le véhicule l'avait évitée, sa tête avait heurté la route. Elle n'avait pas repris conscience depuis. Peut-être souffrait-elle d'un traumatisme crânien ?

Le 31 octobre, jour de fête... Ou de drame. Soixante ans auparavant, dans un hameau perdu au fin fond de la campagne, un homme tira sur sa femme. La balle la frappa en pleine poitrine, la tuant sur le coup. On ne sut jamais les raisons de ce drame, car l'homme se suicida quelques minutes plus tard. Le seul enfant du couple, une jeune fille de quatorze ans, se promenait dans la forêt au moment du massacre. Le lendemain, on la retrouva prostrée devant le cadavre de ses parents. Adoptée par une nouvelle famille, elle changea jusqu'à son nom pour oublier ce passé horrible. Rien n'avait existé avant ses quinze ans, rien de bien important.

Jusqu'à ce que, plongée dans la maladie, le 31 octobre devienne son unique et éternel souvenir.


Texte publié par Natth, 7 avril 2015 à 16h06
© tous droits réservés.
«
»
Lecture
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
3053 histoires publiées
1345 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Hugo.smt
LeConteur.fr 2013-2025 © Tous droits réservés