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— Il ne faut pas lui en vouloir, tu sais. Elle me devait un service.

Adrian jeta un regard noir au patron du Blueprint, qui le fixait avec un sourire narquois. Pour se rendre dans le quartier des affaires, il avait pris son apparence de jeune cadre dynamique : un costume trois-pièces dans un tissu onéreux, dont il tenait la veste sur l’épaule gauche. Son bras brillait d’une lueur argentée sous la lumière crue du club. Son visage anguleux, couvert d’une barbe bien taillée, ses yeux en amande et ses oreilles légèrement pointues lui donnaient l’air d’un loup-garou. Aucun implant n’était visible, mais des circuits imprimés sur ses tempes allaient se perdre sous sa chevelure épaisse et noire.

Les sbires d’Anton le bousculèrent et il trébucha, se rattrapant de justesse à une table.

Sans les lumières colorées, la salle principale avait un air sordide, d’habitude bien caché par l’obscurité, les lumières stroboscopiques, la musique et le déhanché des danseuses et des serveuses.

Le jeune homme serra les dents pour contrôler la vague de nausée qui l’assaillit. La salle tournoyait autour de lui. Sa vision brouillée et sa migraine complétaient un tableau pas très reluisant. Il n’en voulait même pas à Gemma. Après tout, il s’était mis lui-même dans la panade avec Anton. S’engager dans une mission pour le dirigeant officieux de Second City et ne pas respecter son contrat étaient une mauvaise idée.

Les deux brutes le trainèrent jusqu’au bar et l’installèrent de force sur un siège. Le chef de gang passa derrière le comptoir et l’examina avec une grimace.

— Qu’est-ce qui t’est arrivé ? On dirait que tu es passé sous un levtrain.

Adrian garda le silence. Il était trop occupé à lutter contre une vague de vertige. Si le club voulait bien cesser de tournoyer, il pourrait peut-être répondre correctement.

Malheureusement, les nanoimplants ou quoi que sa mère lui ait injecté ne voulaient pas le laisser en paix.

Anton, les mains posées à plat sur la surface brillante du bar, l’examinait en silence, si intensément que le hacker en frissonna.

— Bon, Adrian. Ce qui t’est arrivé, je m’en fous. Mais je te rappelle que tu as une mission en attente pour moi. Le hack pour lequel je t’ai donné une bonne avance, tu en es où ?

Il fallut un moment à Adrian pour se remémorer ce dont parlait le criminel. Heureusement, la brume qui engloutissait son cerveau finit par se clarifier. Il se redressa en grimaçant.

— J’ai presque terminé. J’ai été interrompu par un évènement imprévu, mais je n’avais pas l’intention de…

— De quoi ? De me doubler ? Évidemment. Cela n’aurait pas été très intelligent de ta part. Dois-je te rappeler que le temps joue en notre défaveur ?

— Je sais : on a une semaine avant la mise à jour du firewall, souffla Adrian. J’ai toujours mené à bien mes contrats, Anton. J’ai juste eu un contretemps.

La migraine semblait s’affaiblir, mais les frissons ne voulaient pas le laisser en paix. Le patron du club continuait à le fixer d’un regard acéré.

— Le programme est sur mon serveur personnel sécurisé, continua le jeune homme. Si je peux utiliser ton système pour y accéder, je devrais pouvoir le télécharger.

Anton se redressa et croisa les bras. Il semblait moins méfiant. Son visage s’adoucit et Adrian y lut un vestige des sentiments qui l’animaient envers lui autrefois. Si ces sentiments étaient sincères.

— Tu as vraiment mauvaise mine. Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

— Rien d’important, répondit le jeune homme.

L’autre haussa les épaules. Puis il se retourna et agrippa une bouteille pleine d’un liquide bleuté. Il en versa une bonne portion dans un verre et le poussa vers son ami.

— Tiens. Ça te fera du bien.

Adrian but l’alcool d’une traite, indifférent à la brûlure dans sa gorge. Ses symptômes paraissaient se calmer, mais l’épuisement pesait sur ses épaules. Il soupira.

— J’aurais besoin de l’accès à l’une de tes salles et de calme.

Un sourire enthousiaste illumina son visage et il tapa du plat de sa main cybernétique sur le comptoir.

— Les gars, nous revoilà en route pour la fortune.