La lumière revint lentement ; un brouillard grisâtre engloba sa vision alors qu’il reprenait douloureusement connaissance. Il se garda bien de bouger, essayant de comprendre où il se trouvait. Il sentait un siège sous lui. Ses membres ne paraissaient pas restreints, mais il se garda bien de bouger.
Une vague de colère, mêlée de terreur, le traversa. Il la refoula et se força à ne pas réagir. De toute évidence, on l’avait drogué. Le stimulant qu’il avait pris avant de rejoindre la traitresse lui avait sans doute permis de se réveiller bien plus vite.
Soulevant légèrement les paupières, il vit qu’ils étaient passés dans la pièce suivante. Devant lui, une cuve vide était ouverte. Debout sur le côté, sa mère pianotait sur une interface. Puis il sentit une présence vigilante et oppressant non loin de lui : l’un des gardes sans doute.
— Ah ! Tu es réveillé, fit sa mère.
Adrian se figea. Une main lourde se posa sur son épaule pour empêcher toute velléité de fuite. Il cligna des paupières et se redressa, jetant un coup d’œil à son gardien.
L’agent gardait son regard vide fixé droit devant lui. Massif et hautement modifié, d’après ce que le jeune homme pouvait apercevoir. Un réseau de câbles et d’implants remplaçait ses cheveux sur son crâne rasé. Ses traits paraissaient déformés et inhumains. Il ne pouvait rien attendre de sa part.
Le regard du jeune homme fut attiré vers ses frères. Il les voyait de près et leur apparence le fit frissonner. Pourquoi donc sa mère voulait-elle les conserver ainsi auprès d’elle ? Pourquoi les torturer ainsi ?
Euphosia avança dans son champ de vision. Elle le contemplait en souriant, avec une immense satisfaction, presque de la douceur. Derrière elle, sur l’interface de la capsule, clignotaient des informations qu’il n’arrivait pas à lire.
— Mère, souffla-t-il. Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu… ?
Le visage d’Euphosia se contracta. Ses lèvres fines et brillantes étaient tordues en un rictus hideux et l’éclat de ses yeux soulignait sa folie.
— Je te l’ai expliqué tout à l’heure, fit-elle d’une voix claire.
Adrian ne répondit pas. Il repensa à ce qu’elle lui avait dit. Leur conscience dans Verso, à tout jamais ? Le transfert de conscience permanent dans Verso était interdit. Mais la lune appartenait à Euphosia, si ce n’est officiellement, en tout cas dans les faits. Elle siégeait au conseil gouvernemental avec les autres PDG des corporations qui avaient fondé la colonie humaine sur la lune. Adrian savait qu’elle les tenait tous en son pouvoir. Si elle voulait que cela devienne légal, cela le serait, au moins sur la lune.
— Ainsi, mes enfants, vous ne pourrez pas m’évincer, termina-t-elle, avec une grande tristesse.
Le jeune homme écarquilla les yeux.
— Mère, écoute-moi, tenta-t-il. Je ne sais pas qui t'a raconté des mensonges, mais ni Jonas, ni Mickaël, ni moi n’avons jamais…
Euphosia se déplaça si vite qu’il n’eut pas le temps de la voir. Son visage à quelques centimètres du sien, elle posa une main glaciale sur la joue de son fils et la caressa.
— C’est trop tard, mon chéri. Personne ne pourra prendre ma place. Mes trois enfants resteront à mes côtés, éternellement à mon service, obéissants et loyaux. En ce qui te concerne, il était grand temps, n’est-ce pas ?
Adrian frissonna face à la folie qui transparaissait sur le visage de sa mère. Pétrifié, il était totalement immobilisé, à la fois par le regard d’Euphosia, mais aussi par la poigne du garde qui lui déchirait l’épaule.
Il cligna des paupières et activa son implant. Le programme pirate qui tournait en arrière plan passa au premier plan.
Mais il n’eut pas le temps de réagir. Euphosia plaqua le crâne d’Adrian contre le dossier de son siège et d’un geste vif, planta une seringue hypodermique dans son cou. Surpris, le jeune homme grogna et se débattit. Le liquide chaud s’engouffra dans ses veines et il serra les dents sous la douleur. Le gorille le relâcha et sa mère recula. Haletant, Adrian essayait de reprendre le contrôle.
— Nous allons pouvoir commencer le transfert, entendit-il dans un brouillard confus.
Son regard se posa sur ses frères. Ils commençaient à disparaitre dans un brouillard informe. Il devait s’enfuir ! C’était sa dernière chance d’échapper à son sort.
Il activa une des commandes de son implant et les lumières s’éteignirent. Euphosia lâcha une exclamation de surprise. Adrian bondit, bouscula sa mère qui glapit et se faufila entre les caissons jusqu’au fond de la salle. Le plan se déroulait sur sa rétine. Grâce à son IV, qui avait utilisé l’une des faiblesses du réseau pour s’y insérer, il atteignit la grille d’aération qui s’ouvrit automatiquement devant lui.
Il entendait les pas lourds des gardes et les cris de rage de sa mère, mais il se concentra sur sa fuite. Il se jeta dans le conduit et verrouilla l’accès derrière lui. Le tunnel ténébreux était juste assez large pour qu’il y rampe. Il avança le plus rapidement possible, dans un silence ponctué de crissements métalliques. Son cœur battait la chamade ; pourtant, il sentait les effets de la drogue injectée par sa mère sur son système. Il serra les dents, ordonnant à son implant de lui injecter une autre dose de stimulant, malgré les alertes de sécurité.
Au bout d’un moment, la lumière tamisée réapparut. Adrian passait sas après sas, suivant le plan du labyrinthe du système de ventilation. Les minutes s’écoulaient ; dix, puis vingt, puis trente, sans qu’il perçoive la fin du dédale. Ses muscles hurlaient de douleur ; son crâne lourd rendait toute réflexion difficile ; sa vision était brouillée et sa poitrine était prise dans un étau.
Tu dois t’arrêter, pensa-t-il. Réfléchir. Ou tu vas sombrer dans l’inconscience et personne ne retrouvera tes restes.
Il se laissa tomber contre la paroi, remonta ses genoux contre sa poitrine et y reposa sa tête lancinante. Il fit défiler le plan sur sa rétine. L’immensité de l’endroit dans lequel il était enfermé lui donna envie de pleurer.
— Tu ne peux pas monter, alors il faut descendre. Atteindre les niveaux de maintenance.
Sa voix résonna entre les parois de métal. Il sursauta et se tut, regardant autour de lui avec un air effaré, s’attendant à voir surgir l’un des gardes. Pourtant, seuls les chuintements et les raclements se firent entendre. Son IV, à l’écoute de ses paroles, lui indiqua un chemin. En le suivant, il atteindrait le niveau sub-10, qui faisait partie du réseau de la ville, au prix d’une chute de douze mètres.
Il avala sa salive et prit une profonde inspiration pour clarifier ses pensées. Sa pause lui avait fait du bien, mais il sentait son corps proche de l’extinction. Il devait se dépêcher.
Il reprit sa route, rampa jusqu’à une intersection, qui reliait son conduit à l’un de ceux qui traversaient les niveaux de haut en bas. Il regarda en direction du bas, et ne vit que noirceur au bout de quelques mètres.
Il savait qu’il allait devoir passer trois sas avant d’atteindre sa destination. Le conduit était assez large pour le laisser passer ; il avait l’espoir de se freiner avec les mains et les pieds.
La terreur enserrait sa gorge et menaçait de le paralyser. Il serra les dents et se força à s’installer au bord, les jambes pendant dans le vide.
— Allez !
Il se laissa tomber dans le conduit.
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