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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

La sonnerie stridente l’arracha à son sommeil lourd. Adrian grogna et agrippa son oreiller comme s’il pouvait le protéger contre l’intervention intempestive de la réalité. Son estomac se plaignit et un brusque élancement de douleur traversa son crâne. Il se souvint soudain pourquoi il devait éviter les mouvements brusques.

— Éteins ça, cria-t-il.

Aussitôt un silence bienfaisant l’enveloppa. Le rire joyeux de Syrielle le brisa quelques secondes plus tard. Elle se souleva sur un coude et déposa un baiser sur / la joue du jeune homme.

— Tu as un rendez-vous ?

— Ouais. Le boulot, grommela Adrian en plaçant un bras par-dessus ses yeux.

La luminosité de la chambre était bien trop forte. Quelques secondes plus tard, une douce obscurité la remplaça. La jeune fille se glissa hors du lit et se dirigea vers la salle d’eau. Elle s’arrêta juste à l’entrée et se retourna vers lui.

— Tu peux me rejoindre si tu veux, l’invita-t-elle

Il ouvrit les yeux et se tourna vers elle. Il se gorgea de sa magnifique silhouette. Sur sa peau hâlée, des filaments bleutés formaient des dessins scintillants. Une douce chaleur flamba au creux de ses reins. Elle l’observait avec un sourire malicieux. Sa chevelure rousse libérée cascadait sur ses épaules, drapant son visage rond sous leurs boucles généreuses. Il soupira et lui adressa un sourire contrit.

— Dans l’état où je suis, ce ne serait pas raisonnable. Et il faut vraiment que j’aille à ce rendez-vous.

Syrielle lui envoya un baiser de ses doigts légèrement tordus et disparut dans la salle de bain. Adrian, luttant contre la nausée, se rallongea complètement et ferma les yeux.

Lorsque sa compagne revint dans la chambre et entreprit de se rhabiller, il s’éveilla complètement. Lorsqu’elle eut terminé, elle se tourna vers lui.

— Tu me rejoins ce soir au Blueprint ?  

— Évidemment. Après cette journée, j’en aurai bien besoin.

Elle lui fit un clin d’œil, se pencha vers lui et déposa un léger baiser sur ses lèvres.

— Il faut que je file. Le restaurant ouvre bientôt.

Elle quitta la chambre sans un regard en arrière. Adrian attrapa ses lunettes dans le tiroir de sa table de nuit et les enfila. Puis il activa son IV et l’interface scintilla. Plusieurs messages clignotaient dans le coin droit. Dès qu’il vit l’émetteur, il pinça les lèvres. Quatre messages de sa mère ! Cela ne présageait rien de bon. Il ouvrit le plus récent et l’écouta.

— Adrian, même pour toi, c’est inconcevable. Tes frères et moi t’attendons depuis deux heures. Ne me force pas à envoyer un agent te chercher. Si tu n’arrives pas au siège d’ici une heure, tu peux dire adieu à ta rente. J’ai été assez patiente avec toi.

La colère froide qui émanait de la voix de sa mère fit frissonner le jeune homme. Elle n’avait jamais réagi aussi violemment à ses nombreux retards. Il ordonna à son IV d’envoyer une réponse toute faite à sa mère, puis se hâta de se préparer, malgré les vertiges et la nausée.

S’il avait vécu dans son loft, au dernier étage de la tour d’Héphaïstos corp, il aurait mis à peine cinq minutes pour atteindre son bureau. Mais, contrairement à ses frères, il s’y était toujours refusé. Il tenait trop à son indépendance.

Son immeuble était situé à environ cinq cents mètres du siège de l’entreprise, dans un immeuble d’habitations proche du centre de Sélène. C’était tout ce qu’il pouvait concéder à sa mère. Peut-être aussi parce que c’était elle qui payait le loyer.

Il remonta d’un pas vif l’avenue principale, croisant de nombreux cadres plus ou moins jeunes et employés des différentes corporations qui occupaient ce quadrant de la ville lunaire. Autour de lui, les murs nus n’offraient aucune distraction pour ses pensées qui se noircissaient de seconde en seconde. Il laissa glisser son regard sur les parois argentées ou mates qui délimitaient les différents bâtiments au niveau de la rue. Les fenêtres n’apparaissaient que dans les niveaux supérieurs des tours les plus hautes.

Il aurait pu bénéficier des distractions apportées par l’environnement virtuel de la cité, mais son crâne n’était pas en état de supporter les couleurs stroboscopiques et les sons criards des publicités. Sa migraine était déjà bien assez intolérable. Il bénit une nouvelle fois sa décision d’avoir toujours refusé l’intégration des nanobots directement dans son cerveau. Il se contentait de son implant cortical d’avant-dernière génération, avec ses petits ajouts personnels et des lunettes de réalité virtuelle.

Sa mère ne comprenait pas que son fils cadet se prive des implants de dernière génération fabriqués par sa propre entreprise. Elle devait se demander ce qui s’était passé pour que son génome soit aussi défectueux. Il se le demandait très souvent lui aussi.

Lorsqu’il atteignit l’entrée de la tour effilée d’Héphaïstos corp, il n’eut pas d’autre choix que de réactiver son implant. Aussitôt, son champ visuel se remplit d’informations, d’images et d’icônes.

Il ne savait pas pour quelle raison elle voulait les voir, ses frères et lui. La réunion mensuelle avait eu lieu deux jours auparavant. La sacro-sainte réunion mensuelle. Il se serait bien passé de devoir écouter les bilans des différents projets des cadres de l’entreprise, mais sa mère tenait à ce que ses frères et lui y participent. Pour les former, disait-elle. Adrian se demandait toujours à quoi.

Depuis deux cents ans que sa mère était en vie, elle n’avait jamais été aussi en forme et loin de vouloir laisser la place à ses héritiers. Elle profitait des technologies de son entreprise pour rajeunir son corps à volonté et menait son entreprise de manière agressive. Elle avait eu ses trois garçons sur le tard. Lorsqu’ils étaient sortis des cuves, elle les avait confiés à des tuteurs humains, venant les voir de temps en temps.

Puis, lorsqu’ils avaient quitté l’université, leur diplôme en poche, diplôme qu’elle leur avait imposé, elle les avait fait entrer dans son entreprise et les avait pris sous son aile. Mickaël, Jonas et lui avaient beau être nés le même jour, il n’était en rien des triplés : trois ovules, trois pères différents — en tout cas leur matériel génétique savamment choisi. Adrian avait dû hériter d’un géniteur rebelle, car il avait été une déception pour sa mère pratiquement toute sa vie.

Il leva la tête pour observer la gigantesque tour de l’entreprise. Elle défiait toutes les autres constructions de la ville lunaire. Son toit atteignait la surface du dôme et elle bénéficiait d’un sas privé. C’était l’une des plus anciennes aussi, puisque Héphaïstos corp avait fait partie des entreprises qui avaient fondé la ville.

Au-dessus, les étoiles scintillaient dans un ciel uniformément noir et d’une profondeur qui donnait le vertige. Luttant contre une nausée soudaine, il entra dans le hall lumineux et sobre. Tout l’immeuble était un assemblage de métal, de plexiglas et de verre. L’entrée démesurée était un hymne à la puissance de l’entreprise de haute technologie. Il voyait les écrans publicitaires qui vantaient les mérites des différents produits qu’ils vendaient. Quelques employés allaient et venaient, ainsi que des clients, qui discutaient avec une jeune femme vêtue de l’uniforme d’Héphaïstos.

L’agent de sécurité à l’accueil leva les yeux du rapport qu’il était en train de lire et le considéra pendant qu’il avançait vers son bureau. Il était chauve et on apercevait sur son crâne les filaments de ses implants corticaux. Sa silhouette musculeuse et modifiée était cachée dans un costume qui lui seyait à merveille — Euphosia voulait que chacun de ses employés soigne son apparence. Lorsqu’il le reconnut, il reprit son activité.

Adrian s’intéressa à son interface, en luttant contre la nausée induite par les signaux lumineux qui entraient dans ses rétines. Il aurait peut-être dû prendre un purificateur avant de quitter son appartement. Un message était apparu dès qu’il était entré dans l’immeuble, mais il les ignora. Il activa son mécha via son IV et lui donna des instructions précises. Malgré l’ultimatum de sa mère, il prendrait le temps de boire son mélange privé, ou il ne serait pas efficace.

Le jeune homme rejoignit la cabine d’ascenseur et s’y glissa dès que la porte s’ouvrit. L’engin se mit en marche, sans aucun heurt, à destination du vingtième étage. À travers les parois transparentes, il essaya d’observer les niveaux qu’il dépassait, mais il abandonna bien vite : la pression dans son crâne menaçait de le faire exploser. Il payait la nuit passée dans le club d’Anton et l’after passé plaisamment avec Syrielle, mais il ne le regrettait pas une seconde.

Quelques minutes plus tard, sans aucun arrêt, puisqu’il avait privatisé l’ascenseur, la machine atteignit sa destination : les portes transparentes glissèrent sans un bruit et il pénétra dans la douceur du Directoire. Ici les décisions les plus importantes de l’entreprise étaient prises du fond de sièges en cuir. Il alla directement à son bureau et un sourire étira ses lèvres lorsqu’il vit la tasse fumante qui l’attendait. Le mécha était retourné dans son coin après avoir accompli sa tâche.

Il trempa ses lèvres dans le breuvage noir et poussa un soupir de contentement. Le café chaud mélangé à un cocktail purifiant eut très vite raison des élancements de son crâne. Le sifflement qui déchirait ses oreilles disparut. Il s’installa dans son fauteuil et ouvrit le message. Sur un ton calme — trop calme —, sa mère lui demandait de la rejoindre au niveau Sub-6.

Il fronça encore plus les sourcils. Pourquoi lui demander de descendre dans les laboratoires ? Sous le niveau du sol, dans les strates de roches de la lune, la plupart des bâtiments de Sélène avaient planté leurs racines. Les contraintes techniques limitant la place dans la ville sous dôme, malgré sa taille incroyable, toute une cité souterraine s’était développée. Héphaïstos corp comptait six niveaux, dans lesquels les expériences les plus critiques se déroulaient. C’était une manière de mieux contrôler l’environnement, et de mieux en conserver le secret.

Adrian n’y avait jamais dépassé le niveau - 1, les rares fois où il se rendait dans la salle des serveurs. Jonas n’y allait que très rarement, occupé avec le service juridique. Seul Mickaël y était souvent, en sa qualité de directeur du service de Recherches et Développement.

Adrian était censé être le directeur du service informatique, mais, dans les faits, il ne s’occupait de rien. Il avait délégué à des gens plus compétents et intéressés que lui. Sa mère avait bien essayé d’insister, mais sa distraction et son peu de motivation avaient eu raison de toutes ses tentatives. Les serveurs d’Héphaïstos étaient pourtant des machines de guerre qui feraient tourner la tête de n’importe quel informaticien. Mais rien que le mot « responsabilité » faisait fuir Adrian. Il s’épanouissait bien mieux dans les salons virtuels de ses clubs préférés ou en programmant des applications espionnes.

Ses frères s’étaient impliqués dans l’entreprise. Ils logeaient même au vingt-deuxième et au vingt-troisième étage dans des penthouses aussi grands qu’un manoir de Terre Mère. Mais lui était le vilain petit canard de la fratrie, offrant ses services d’informaticien au plus offrant. Sans attaches, mais à l’abri grâce à la générosité de sa mère. C’était pour cette raison qu’il se pliait à ses demandes et se rendait à ses convocations. Pourtant, il aimait ses frères de tout son cœur et ils partageaient sa tendresse pour lui. Chez leurs tuteurs, ils étaient devenus inséparables et ils ne lui avaient jamais reproché son manque d’investissement ou sa vie délurée.

Légèrement inquiet, il chercha à joindre ses frères, sans succès. Il était surpris qu’aucun des deux n’ait essayé de le contacter, au moins pour le prévenir. À vrai dire, il n’avait plus aucune nouvelle depuis deux jours. Il se redressa dans son siège et regarda autour de lui. Tout avait l’air normal. Les différents cadres étaient dans leurs bureaux ou dans les salles de réunions, s’activant sans doute sur des projets dispendieux et novateurs. L’une des secrétaires lui jeta un coup d’œil à travers la vitre de son bureau et lui fit un salut rougissant. Il la suivit du regard, cherchant à se rappeler son nom. Ines, se remémora-t-il soudain. Elle ne cessait de le draguer dès qu’il se croisait dans les locaux ou aux quelques soirées d’entreprise où ses frères avaient réussi à le trainer. Non, tout est normal, se dit-il, rassuré. Ses frères avaient dû être pris par leur travail.

L’esprit bien plus clair qu’à son arrivée, il se redressa et bondit de son fauteuil. Il ne devait pas faire attendre plus longtemps sa mère, ou sa fureur serait encore plus grande.


Texte publié par Feydra, 15 mars 2025 à 23h08
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