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Nous étions 8 installés autour du feu de camp qui devait nous permettre de faire chauffer le petit déjeuner. Mais ça prend du temps de faire bouillir de l’eau pour tant de thé, sur un foyer sauvage.

J’avais eu très froid pendant la nuit et le petit matin était encore frais. Quelle idée d’aller camper en forêt au milieu de l’automne ! Ceux qui étaient venus en amoureux se serraient l’un contre l’autre. Moi je n’avais d’autre choix que de m’activer pour ne pas mourir gelée. D'accord, l’estomac attendrait.

Si on était là, c’était pour passer Samhain autour d’un hêtre vénérable qui évoquait des pensées mystiques à mes amis. Très bien, j’allais faire une salutation à l’arbre en mode yoga, ça me réchaufferait un peu.

Le sol était couvert d’aiguilles d’épicéa car nous étions au milieu d’une exploitation privée de sylviculture. Nous n’avions pas du tout le droit d’être là ! Pourtant, le propriétaire de l’endroit avait laissé un bel espace dégagé autour des racines du hêtre, et semblait tolérer la présence régulière des admirateur de ce végétal multicentenaire.

Alors que j’en étais à la moitié de ma chorégraphie, et que deux autres personnes m’avaient rejointe, une exclamation nous parvint du feu de camp. Un jeune homme que nous ne connaissions pas venait d’arriver, accompagné d’une épagneule qui courait partout.

Je stoppais l'enchaînement et nous revînmes nous poster autour du foyer et découvrir qui était l’inconnu.

C’était Mina qui s’occupait du thé. Depuis que je la connaissais, hormis quelques soirées de beuverie réalisées dans les règles de l’art, nous nous retrouvions toujours autour d’une nouvelle saveur qu’elle venait de dégotter dans l’un des nombreux magasins de thé de la ville.

Alors qu’elle s’apprêtait à verser des feuilles dans l’eau qui bouillait enfin, le nouveau venu sortit un sachet de sa veste informe à motifs indiens. Elle se tourna vers nous pour résumer ce qui s’était dit en notre absence :

— Bastien est là comme nous pour vénérer Ponthus à Samhain.

— La forêt, en tout cas, compléta-t-il. Je suis herboriste et magnétiseur, et j’ai composé une infusion spéciale pour le 31 octobre.

— Vu que c’est aujourd’hui… Ça vous tente ? reprit Mina. Est-ce que je les mets direct dans la casserole ou bien vous préférez qu’on fasse ça chacun dans sa tasse, si quelqu’un ne veut pas en prendre ?

On était tous d’accord pour essayer. Bastien vida son petit sachet dans notre thé.

Prendre mon quart brûlant dans mes mains m’apporta tout de suite du soulagement : enfin un peu de chaleur pour mon pauvre corps engourdi ! Puis la vapeur réchauffa mon visage, et enfin quand j’avalai une gorgée je sentis son trajet jusqu’à l’estomac et, partout, cela réveillait mes cellules.

Le foyer était assez large, composé de gros cailloux vaguement carrés que nous avions rassemblés ; le genre de pierres responsables de la légende d’un château ayant existé en ces lieux et sur les ruines duquel l’arbre aurait poussé. Autour, nous avions aussi disposé des bouts de tronc, sans-doute issus des épicéas, pour pouvoir nous asseoir le plus près possible des flammes. Pour l’heure, tout-le-monde était silencieux, concentré sur la température du liquide entre nos mains.

Mes yeux dérivaient sur le visage de Louarna, en face de moi, dont j’avais quelque peu entendu parler mais que je ne connaissais que de la veille au soir, où il faisait déjà nuit. Elle était vraiment jolie, solaire. Derrière elle, je vis s’épanouir une fleur orange, façon rose trémière, alors que ce n’était ni la saison, ni une couleur que je connaissais à cette plante. Louarna regardait dans ma direction et ses traits marquèrent bientôt une surprise similaire à la mienne. Je me retournai : un chèvrefeuille à teinte d’améthyste buissonnait dans mon dos !

J’approchai mon nez car j’adore cette odeur d’habitude. Elle n’était pas très différente, peut-être un peu plus poivrée. Pouvait-on en sucer le nectar comme quand il est blanc ? Je refermai mes doigts sur un pédoncule et soudain le sol sous mes pieds devint translucide. Je voyais à travers le tapis d’aiguilles et la terre : des centaines de lombrics grouillant et de petits insectes qui s’affairaient ; les racines des arbres qui s’entremêlaient, celles du hêtre, majestueuses et formant comme un miroir de sa canopée, et celles, partant tout droit vers les profondeurs mais bien plus fragiles, de tous les conifères alentours. Bientôt je vis aussi des liens luminescents qui nous reliaient, nous, êtres humains. Mina et son copain avaient une corde bien épaisse mais souple. Louarna aussi avait un lien fort vers son compagnon. Bastien était relié à sa chienne par une liane spiralée, qu’elle pouvait allonger comme une laisse à enrouleur. Moi, j’avais des tiges de chèvrefeuille qui serpentaient depuis mes pieds, vers Mina, beaucoup, et vers Louarna, un peu, car elle me fascinait déjà.

Mon monde était devenu violet et blanc lumineux, avec les fleurs du thé qui donnaient de la couleur par endroits. Je suppose que les autres expérimentaient quelque chose de similaire. Mina s’était levée et marchait vers Ponthus, en regardant attentivement le trajet de ses racines, qui venaient presque jusqu’à nous, alors que nous avions construit le foyer bien à l’écart. Son copain avait sorti un appareil photo. Je ne sais pas si ce dont nous étions témoins pouvait impressionner une pellicule ou un capteur numérique…

Louarna s’était mise à danser avec son compagnon, et leurs liens s’entremêlaient en une résille claire, formant un cocon autour d’eux.

Un peu plus loin, j’aperçus comme une porte de caveau. La curiosité m’aiguillonna et je descendis bientôt les marches qui menaient à une crypte encombrée. On aurait dit une caverne au trésor : une multitude d’objets s’y amoncelaient, certains même emballés dans de jolis papiers ou de savants furushikis. J’approchais encore. Des bijoux côtoyaient des lampes et de la vaisselle, précieuse ou quotidienne. Des toiles de maîtres surplombaient des dessins griffonnés, et beaucoup, beaucoup de gribouillages d’enfants. Par une porte que je ne franchis pas, j’observais des voitures et même des bâtiments. En allant plus au fond, je découvris une immense bibliothèque remplie de livres qui n’avaient jamais été ouverts, des romans de gare comme des ouvrages recherchés. Une vaste penderie contenait la plus grande étendue de vêtements et d’étoffes que j’avais jamais vue. Puis des armes à feu, des épées, des boucliers, des morceaux d’armure. Partout, au milieu, se trouvait quantité de nourriture, figée dans le temps. Et de la végétation, plantes en pot ou arbres vénérables. Encore plus loin, je tombais sur des papyrus, et enfin des lames de silex et des coquillages troués. Un léger vertige s’empara de moi, je retournai vers le jour.

Je remarquai une étagère qui m’avait échappé quand j’étais entrée : là se trouvaient des objets que je connaissais bien, pour avoir un jour voulu les offrir à quelqu’un et renoncé. À côté, un autre meuble exposait des présents qui m’auraient pour la plupart fait plaisir si je les avais reçus, et je sus en les frôlant du doigt, qui en avait eu l’intention. Je dénichai un ouvrage dont j’avais envie depuis longtemps, un foulard et un pendentif en triskell, qui avaient évoqué à Mina une pensée pour moi.

Je ressortis de la crypte mélancolique mais galvanisée. Je marchai vers mon amie, tout en constatant que mon lien lumineux vers elle était plus épais que lorsque j’étais entrée. Elle jouait avec des clochettes de campanules vert fluo rayé de jaune. Je lui posai la main sur l’épaule et elle me serra dans ses bras quand elle se retourna.

Je murmurai à son oreille : « je sais ce qui nous lie ».

Son copain arriva et ajouta ses bras autour de nous, puis les autres personnes se joignirent aussi au tas, et finalement nous embrassâmes Ponthus et des tiges éthérées relièrent ses racines à nos pieds.

Voilà qui constituait une bonne entrée en matière pour la Samhain.


Texte publié par Lilitor, 13 mars 2025 à 09h38
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