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Poussé par la bise glaciale, Adrian déambulait au hasard dans les ruelles embrumées de son village natal, petit hameau perdu dans les Highlands. Pourquoi était-il revenu, déjà ? Ah, oui. La nostalgie. La mélancolie de ce tragique anniversaire. Non, ce n'était pas une bonne idée. Mais comme chaque année, il n'avait pu s'en empêcher.

– Bonsoir, vous cherchez quelque chose ?

Adrian ne sursauta même pas à cette arrivée inattendue, las de sa propre bêtise. Pourtant, il fut surpris par l'accoutrement de la demoiselle qui avait surgi face à lui, comme figée dans un autre temps avec ses longs jupons et son chaperon ouvragé. Remis de son étonnement, le jeune homme tenta un sourire :

– Bonsoir… Pas spécialement. Je suis de passage.

– Ce n'est pas un jour clément, aujourd'hui. Que diriez-vous de venir vous réchauffer devant un bon thé ?

Adrian fronça les sourcils, décontenancé par cette invitation. Décidément, cette rencontre devenait plus mystérieuse de secondes en secondes. Cette proposition attisait sa curiosité, et que risquait-il à accepter ? Le frisson qui le parcourut malgré son pardessus acheva de le convaincre.

– Avec plaisir, je vous remercie.

Pour seule réponse, la silhouette encapuchonnée hocha la tête et commença à s'éloigner d'un pas aérien. Hypnotisé un instant par la grâce de sa démarche, Adrian se secoua lorsqu'elle tourna au bout de la venelle et dû presque courir pour la rattraper. Un pan de robe disparaissant sous un porche lui indiqua le chemin. S’y engouffrant à son tour, il découvrit la jeune fille tout sourire qui l’invitait à franchir le seuil d’une porte dérobée. Elle avait dévoilé sa longue chevelure blonde tressée et Adrian ne put s'empêcher de noter sa beauté intemporelle.

Une douce chaleur l’envahit à peine entrait-il dans cette petite pièce épurée éclairée à la bougie. Seules une table et deux chaises y étaient installées. Au fond, un rideau de perles scintillantes laissait entrevoir un autre espace. Le cliquetis du loquet retentit dans son dos.

– Installez-vous, je vous prie, proposa la voix charmeuse de son hôte.

Adrian ne se fit pas prier et s’assit, sans même prendre la peine de retirer son manteau. Malgré l’attitude avenante de la mystérieuse inconnue, il restait aux abois. Ce n’était pourtant pas comme si elle l’avait contraint à entrer ici. Le timbre agréable de la jeune femme résonna dans la pièce attenante :

– Qu’est-ce que je vous sers ? J’ai un excellent thé au gingembre, si cela vous dit.

– Ce sera parfait, merci encore pour votre invitation.

En un rien de temps, elle était déjà de retour avec un plateau d’argent surmonté d’un service raffiné en porcelaine et s’installa avec légèreté sur le second siège. Sa cape avait disparu, découvrant un corset aux dentelles noires et parme.

– Il faut laisser un peu infuser, bien sûr. Qu’est-ce qui vous amène dans nos contrées reculées ?

– Eh bien… Comme je vous l’ai dit, je suis juste de passage.

– Pour aller où ? Ce n’est pas vraiment un lieu de passage ici…

C’est seulement à ce moment qu’Adrian remarqua la teinte inhabituelle des iris qui le fixaient avec intérêt, d’un bleu tirant vers l'améthyste. Cependant, il se sentait presque prêt à se confier à cette parfaite inconnue. Son rire cristallin le prit de court :

– Pardon, s’excusa-t-elle en plaçant ses doigts délicats devant sa bouche, c’est sans doute indiscret.

– Disons que je suis né ici, et que j’ai pour habitude de revenir de temps à autres.

– Intéressant…

Avec une fascination croissante, Adrian l’observa servir le breuvage avec doigté. Quelque chose en elle lui rappelait celle qu’il avait perdue, il y avait déjà tant d’années.

– Buvez, tant que c’est chaud.

Elle-même prit une gorgée en l’observant par-dessus sa tasse, comme pour l’encourager à l’imiter.

– Je sens beaucoup de nostalgie dans vos paroles, reprit-elle alors qu’il s’exécutait, pourquoi n’êtes vous pas resté ici ?

– Je suis parti pour oublier.

Adrian s’étonna de sa propre confidence. La jeune femme opina d’un air entendu, ses lèvres rosées s’étirant légèrement. La désagréable sensation qu’il ne lui apprenait rien déboussola le jeune homme. Elle se pencha vers lui et murmura :

– Je peux vous y aider.

Envoûté, il la laissa saisir ses mains et l’angoisse l’étreignit lorsque des visions lui revinrent en mémoire. L’incendie. Son impuissance. Son cri de désespoir lorsqu’il l’avait découverte, inerte. Les larmes affluèrent. Ces images le hantaient toujours, presque chaque nuit.

– Comment ? se risqua-t-il à demander.

– Je peux effacer ces souvenirs…

– Non.

Sa réponse catégorique ne laissait place à aucune tergiversations. S'il l’oubliait vraiment, ce serait comme si elle n'avait jamais existé. Cette idée lui apparut soudain insupportable.

– Alors… Je pourrais la faire revenir.

L'arrière goût épicé du thé crépita sur la langue d’Adrian au rythme des palpitations qui agitèrent son cœur. S'il y avait ne serait-ce qu'une chance… mais c'était insensé.

– C'est impossible, avança-t-il avec un sourire triste.

– Rien n'est impossible, tant qu'on en paie le prix.

Les yeux de la jolie blonde luisirent un instant. Ou bien n’était-ce que le fruit de son imagination ? Perdu, Adrian ne put s'empêcher de demander :

– Quel est le vôtre ?

– Tu souhaitais oublier, Adrian. Elle vivra, mais tu n’auras plus aucun souvenir d'elle. Oh, et aussi, ton âme m'appartiendra, ajouta-t-elle avec désinvolture.

– Comment pourrais-je savoir si vous avez respecté votre part du marché, dans ce cas ?

Elle haussa les épaules avec un air de défi, cette fois.

– Un mot de ta part, et j'exaucerai ton souhait.

– D'accord, s'entendit dire Adrian sans aucune hésitation.

Il ne pouvait laisser échapper cette chance, aussi improbable qu'elle lui parût. Peu importait le prix à payer. Tout à coup, un flash l'éblouit. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il se trouvait à l'extérieur, devant le porche. Derrière lui, plus aucune trace de la porte qu'il avait franchie quelques minutes auparavant. La ruelle apparaissait incroyablement déserte et silencieuse. Seul sous la bruine, Adrian se rendit à l'évidence : tout ceci n'avait été qu'un étrange rêve éveillé, un fantasme de son invention. Que faisait-il ici, d'ailleurs ?

Pourtant, alors que l'écho de ses pas s'éloignait déjà, un sourire satisfait éclairait des iris dont l’éclat violine brillait dans l’ombre.


Texte publié par Wildflower8906, 9 mars 2025 à 21h20
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