Je reculai de plusieurs pas, jusqu’à heurter le bureau de mon père. La main qui tenait mon épée tremblait, mais je serrais les dents avec rage et détermination. Je devais protéger le sceau. L’empereur Mordrith ne devait pas le prendre. Il ne devait pas s’emparer du royaume. J’entendis des cris à l’étage inférieur, suivis de fracas de métal s’écrasant au sol. Je sursautai, terrifié. Malgré moi, je fermai les yeux quelques secondes. Ses soldats investissaient la forteresse. Les miens mourraient.
Je resserrai ma prise autour de mon arme. Nous n’étions pas en position de faiblesse. Les hommes de Mordrith tombaient eux aussi comme des mouches. C’était sûr. Presque.
Je rouvris les yeux. Lorsqu’il viendrait, et il allait venir, je devrais le tuer. Mordrith mort, j’aurais gagné. J’aurais sauvé le royaume de mon père, et la tête de ce chien irait s’empaler sur la palissade, livrée aux charognards et aux vers !
Cette pensé me redonna du courage, m’arrachant même un rictus. Protéger le sceau. Et tuer l’ennemi. Moi, le prince d’Ondé, héritier du trône, je me battrai jusqu’à la mort ! Jusqu’à ce qu’il crève bouche béante, que son sang ruisselle sur ma lame ! Je le tuerai !
Un grand bruit éclata dans la pièce, me faisant sursauter. On défonçait la porte à coups de pied. Au deuxième coup, le verrou céda et le battant s’ouvrit. J’étais prêt. Mordrith avait intérêt à s’accrocher à ses basques.
Oh non.
Merde. Pas ça. Pitié, non ! Non, non, non !
Mes mains tremblèrent, de la sueur coula le long de ma tempe.
— Tiens, tiens, tiens… dit Mordrith. Si ce n’est pas ce petit Veylin. Il est mignon, avec sa petite épée. Toute blanche, toute éclatante. Sans une goutte de sang.
Je chancelai, me repris et fis un pas en avant. Son épée, à lui, n’était pas vierge. Ruisselante de sang, elle menaçait la gorge d’un homme éborgné, une plaie à la hanche.
— Alors, petit prince ? reprit l’empereur. On ne dit pas bonjour à son papa ?
— Vous… crachai-je. Lâchez mon père !
— Mmh… je ne sais pas… Qu’en pensez-vous, sire Agnor ?
Pour toute réponse son otage cracha par terre.
— Vous êtes bien malpoli avec vos invités, fit mine de s’offenser l’intrus.
Je m’approchai, épée brandie, avec l’intention de l’embrocher.
— Tatata ! m’arrêta l’empereur en tirant les cheveux de mon père, le roi Agnor, en arrière.
Du sang coula sur le fil de son épée.
— Pas un pas de plus, mon garçon. Ou ton cher papa mourra.
— Veylin… grogna le roi. Veylin…
— Ne t’en fais pas, le calma Mordrith, ton supplice prendra vite fin. Dès que ton précieux fils m’aura remis le sceau.
— Tu rêves ! crachai-je, bravache.
— Oh ? Tu ne veux pas ?
Il prit un air ennuyé.
— Je suis embêté, vois-tu… Mais bon, tant pis. Je suppose que je vais devoir prendre la tête du roi.
— Non ! criai-je alors qu’il faisait un geste pour lui trancher la gorge.
— Alors le sceau, et plus vite que ça ! cracha-t-il, cessant son petit numéro d’hôte courtois.
— Non, Veylin, bredouilla mon père avec le peu de force qu’il lui restait.
Je me mordis les lèvres pour ne pas hurler, en voyant mon père ainsi acculé, ruisselant de sang. Ce qui n’empêcha pas les larmes de me brouiller la vue.
— Allez, gamin !
Je reculai.
— Non… bredouilla le roi.
— La ferme, l’ancêtre !
— Veylin, tue-le !
Je m’arrêtai, hésitant. Mon père voulait que je… et je devais protéger mon royaume… mais…
— C’est ma vie contre la sienne, menaça Mordrith de plus belle. Allez, qu’attends-tu ? Remets-moi ce sceau ! Maintenant !
Sa lame s’enfonça un peu plus dans le cou du roi, qui grogna malgré lui. Je me remis à reculer. J’ouvris le tiroir du bureau, sans quitter l’empereur des yeux, tâchant de ne pas baisser mon regard sur mon père, et sortit le sceau.
— C’est bien, gentil garçon. Maintenant donne !
— Veylin ! gronda le roi, à moitié aveuglé. Si tu fais ça, je te tuerai, m’entends-tu ?!
Malgré ses blessures et sa faiblesse, sa voix irradiait l’autorité.
— Donne-moi le sceau !
Je regardai l’objet de pouvoir au creux de ma main. Je n’avais pas le droit de le lui donner. Je le savais, tout au fond, mais… j’étais faible.
Je n’étais qu’un enfant.
Je n’étais que le fils de mon père.
— Vous nous laisserez partir ? demandai-je. Vous jurez de nous laisser la vie sauve, à moi et mon père ?
— Je t’en donne ma parole d’honneur, proclama l’empereur.
Je lui lançai un regard hésitant. Il n’avait aucun intérêt à nous laisser en vie. Il se tenait le dos droit, le regard fier, l’air solennel. Cet homme avait de l’honneur. Il était cruel, malin, calculateur, mais il ne reviendrait pas sur sa promesse. Je me rapprochai lentement de lui, épée basse.
— Veylin… Veylin, je te jure… je te jure que je te tuerai ! cria mon père.
Je tâchai de l’ignorer.
— Tu sacrifie tout notre royaume ! Tu livres notre peuple !
Son peuple. C’était son peuple à lui. Pas le mien.
— Traître !
— Oh, la ferme !
Mordrith lui assena un coup de pied. Mon père ne flancha pas. Ce n’était qu’une chatouille face aux souffrances qu’il endurait. Son impassibilité me stoppa. Il voulait donner sa vie pour le royaume, et je lui refuserais ce sacrifice ? Je baissai les yeux sur ma lame. Vierge de toute trace de sang. Je n’étais pas digne de…
— Alors ?
Mordrith interrompit le cours de mes pensées.
— Viens, donne-moi le sceau. Si tu refuses, ton père mourra, et tu ne pourras me vaincre. Tu es faible. Tu n’es qu’un enfant.
— Tu es… un prince ! souffla mon père, sa voix éraillée. Ton devoir… Mille et mille… personnes… comptent sur toi ! Si tu les abandonne… je… te… tuerai !
Je resserrai mon poing autour du sceau. Agnor avait raison. J’étais le dernier espoir de tout mon peuple.
— Vous serrez épargnés. Tous les deux, me tenta l’empereur. Je vous laisserai fuir, vivre paisiblement pour le reste de votre existence. Toi et ton père. Vous serez enfin comme tout le monde.
Une larme roula sur ma joue. Oui. C’était ce que je voulais. Vivre avec mon père. Normalement. Mais…
— Tu n’as pas l’âme d’un prince, Veylin. Accepte la douceur d’une vie aux senteurs de rose.
Une vie aux senteurs de rose. Mère. Ma mère disait… Elle haïssait le pouvoir, la malice. Le meurtre.
— Que dirait-elle si elle te voyait tuer pour conserver ton statut ? demanda malignement Mordrith, sa voix un souffle glacé s’insinuant dans les tourments de mon esprit.
Un immense fracas de métal retentit alors que je lâchai mon épée, qui s’écrasa au sol. Je franchis les derniers pas qui me séparaient de l’empereur. Il tendit la main.
— Veylin… gronda mon père.
Je remis le sceau. Mordrith lâcha le roi qui, ses jambes faibles, s’écroula sur moi. Je le soutins, la tête basse, sombre.
— Bon garçon, commenta l’empereur.
Il tourna les talons et s’en alla. Je me laissai tomber à genoux, à côté de ma triste épée, et enlaçai le roi.
— Veylin…
— Père…
Je le serrai plus fort contre ma poitrine, les larmes ruisselant sur mon visage.
— Père, vivons…
J’entendis un raclement de métal derrière moi. Puis une vive douleur dans mon dos. Le roi Agnor se détacha de moi. Je toussai. Crachai du sang. Je portai des mains tremblantes à mon ventre. Mon épée avait gouté son premier sang. Je levai les yeux vers mon père, pâle et sévère figure me toisant.
— Je t’avais dit, souffla-t-il, que je te tuerais.
Je m’écroulai sur les dalles.
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