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15. Loyauté

Malgré leur coucher tardif, Justine et Amaryllis sont sorties se promener, contrairement à un certain Jeremiah qui peine à émerger. Son voisin de chambre finit par s'impatienter.

– Eh, mec… Réveille-toi ! Allez ! Je vais être en retard, moi !

– Mmmh…

Francis soulève sans pitié la couette du dormeur qui râle en défendant son bien.

– Tu peux pas m'laisser pioncer ? grogne-t-il. J'suis fatigué…

– Mais il est onze heures du mat ! Et vu que tu m'a encore saoulé avec tes cauchemars, t'as rien à dire.

Tiens donc, des cauchemars récurrents… Si en plus il dort mal, il ne va jamais s'en sortir.

– T'as qu'à mettre des boules quies… suggère-t-il en plaçant son coussin en bouclier sur sa figure. Allez, sois sympa, j’suis trop crevé…

– Non mais tu t’rends pas compte ! Heureusement que j'dors chez ma mère ce soir, hein… T'as pensé à t’faire soigner ?

Résigné, Jeremiah repousse sa couette et se redresse en soupirant.

– Bon… Tu veux quoi ?

– J'ai besoin de conseils en amour, annonce Francis de but en blanc.

– En quoi ?...

– Fais pas comme si t'y connaissais rien ! Toutes les filles sont à tes pieds !

– C'est pas d'l’amour ça, Francky… et puis t'es pas mal loti non plus.

– Ouais mais t'as plus d'expérience, c'est sûr, et avec tout ce choix, y en a forcément une qui te fait craquer !

– Non.

– Non ?

– Non.

– Tu crois que j'ai pas vu ton manège, hier soir ? T'es arrivé, t'as attendu pour l'inviter, t'as dansé avec elle, puis t'es parti, énumère-t-il sur ses doigts.

– Une conquête comme une autre.

Francis fait la moue, peu convaincu, tandis que Jeremiah se lève et s'approche du miroir. Moi, je m'indigne.

– Si t'avais vu la tête de Lucas…

– C'était pas de toi, qu'on devait parler ?

Belle esquive

Dom Juan

Jeremiah fronce les sourcils et jette un regard furtif à son ami qui fixe ses chaussures.

– Euh, ouais. On fait un pique-nique en amoureux aujourd'hui et… enfin tu vois, j'aurais voulu lui acheter un cadeau…

– Pourquoi tu me demandes ce genre de conseil ? s'agace Jeremiah en remettant de l'ordre dans sa chevelure d'ébène. Je peux pas t'aider sur ce coup.

– J'hésite, j'ai vraiment envie de lui faire plaisir… J'crois que j'suis amoureux, Jerem.

Le principal intéressé hausse les sourcils en tournant brusquement la tête vers Francis, choqué par cette révélation.

– Sérieusement ? Et comment tu peux le savoir, ça ?

– C'est simple ! répond son ami en regardant droit devant lui dans un sourire béat. Tu le ressens dans tes tripes, tu peux plus te passer d'elle, quand elle est avec toi tu te sens heureux, dès qu'elle part elle te manque, t'adores la voir sourire, et chaque fois que tu la vois ton cœur fait BABOUM, BABOUM…

– C'est bon, c'est bon… À ce stade, demande-la en mariage !

Jeremiah a beau paraître blasé, j'ai bien remarqué la lueur d'intérêt s'allumer dans ses yeux puis se tarir à mesure que Francis s'exprimait avec de grands gestes. Quant à ce dernier, son visage s'illumine à cette proposition.

– Tu crois ?? Ouais, t'as p’t’être raison !

– C'était une blague, Francky ! s'exaspère Jeremiah. Vous êtes ensemble depuis, quoi, trois semaines ?

– Ça fait exactement trente jours, quinze heures et…

– Ouais, bref, ça fait pas longtemps, quoi… Parfois, je me demande vraiment ce que t'as dans l’crâne !

L'expression de Francis change du tout au tout. Il se laisse tomber lourdement sur le lit de son ami, dépité.

– T'as raison, j’suis pas assez intelligent pour elle.

Jeremiah semble regretter ses paroles et se rassoit près de son ami, plaçant une main compatissante dans son dos. C’est comme si son masque tombait, seul avec son camarade, je découvre d’autres facettes de sa personnalité.

– T'as juste une intelligence… un peu différente. Et puis, elle doit déjà être au courant, ta dulcinée !

– C'est pas faux… Je crois bien que ça la fait rire !

Cette fois, c'est de l'inquiétude qui traverse les pupilles de Jeremiah.

– Fais quand même gaffe… T'es sûr que c'est sérieux, pour elle ?

– Certain ! C'est elle qui a proposé ce pique-nique, pour fêter notre premier mois ensemble.

– Ah… répond Jeremiah qui semble décontenancé. Félicitations, j'imagine… Amuse-toi bien.

– Compte sur moi ! On va passer l'aprem ensemble, mais on s’retrouve avant mon train, j’te fais un compte-rendu !

– Je pourrai pas, ce soir…

– Ah bon ? T'as un truc de prévu ?

– Ouais, des cours de rattrapage.

Francis s'esclaffe. Ce n'est pourtant pas loin de la vérité.

– Alors toi… C'est qui, cette fois ?

– Tu vas t'imaginer quoi ! s'indigne Jeremiah en poussant son ami vers la sortie. C'est vraiment juste pour des cours.

– Mais c'est avec une fille, chantonne Francis en faisant danser ses sourcils. Laisse-moi deviner…

– Non. T'es en retard, bouge-toi !

Juste avant que Jeremiah ne referme la porte sur lui, Francis forme silencieusement les syllabes sur ses lèvres en articulant avec exagération le prénom d’Amaryllis. Pas si bête, au final. En tout cas, Jeremiah m'apparaît capable de sincérité, de compassion et surtout de loyauté, ce qui est plutôt un bon point.

– Tu deviens sénile, A ? murmure-t-il en se tournant vers le miroir. Je croyais que tu voulais rester anonyme…

Tu étais juste devant le miroir

Et il observait ses pieds

Aucun risque qu'il ait pu voir

Pas de télépathie aujourd'hui ?

– Trop mal au crâne. Et je veux être en forme pour cet aprem.

Une conquête comme une autre

– Je pouvais pas lui dire la vérité !

Et c'est quoi cette vérité ?

– Tu vas pas t'y mettre aussi !

Tu te voiles la face

Ou tu me caches ton véritable objectif

– Tu connais déjà mon véritable objectif. Sauver ma peau, et accessoirement celle de ma cible.

Elle n'est plus une simple cible à tes yeux

– J'ai juste eu pitié de son innocence ! Si je peux l'aider à s'en sortir, tant mieux, sinon, advienne que pourra ! Dans tous les cas, j'aurais rempli ma mission.

Il me fatigue ! Quand cédera-t-il enfin ? Heureusement que j'ai convaincu Amaryllis de faire en sorte que ce premier rendez-vous se déroule entre mes murs. Je ne peux pas faire confiance à Jeremiah.

– Bon, moi, je vais finir ma nuit.

Tu manges pas un truc avant ?

– Pas la force, souffle-t-il en retournant se coucher.

Les couloirs sont assez déserts pour que je puisse remédier à ça, mais lorsque le plateau que je lui ai préparé arrive à destination, il s’est déjà rendormi.