Vidée de tous mes occupants, la raison pour laquelle j'évite de déclencher cette alarme me frappe de plein fouet. Je ne supporte pas la solitude. Oui, vous pouvez rire, un bâtiment autophobe ! Les périodes creuses durant les vacances sont ma hantise. Heureusement, ça ne dure jamais très longtemps. Il y a l'université d'été et certains professeurs habitant sur place ne partent pas durant toute la période. J'attends avec impatience que les responsables réalisent qu'il n'y a aucun danger. C'est long… trop long. Je me fais encore des films. Et s'ils finissaient par me trouver vétuste ? Qu'ils décidaient de déménager les locaux ou pire, de me détruire ? La détresse me submerge, mes volets claquent et cela n'a rien à voir avec le vent.
Enfin, le président lui-même se décide à revenir pour vérifier que tout danger est écarté. Je me tiens bien sage pour éviter d'attirer les soupçons. J'ai toujours eu un doute quant à ce qu'il sait de moi, cet homme grand et sec à la barbe blanche. Pourrait-il être au courant ? Serait-il le fameux commanditaire ?
Tu deviens sénile, ma pauvre Aeternalis…
Arthus Dawber est réputé pour sa générosité et son ambition de perpétuer la cohabitation pacifique entre magiciens et ordinaires. D'ailleurs, les élèves en cursus magique suivent des règles strictes afin de ne révéler leur secret à personne, règles bafouées en beauté par Jeremiah, soit dit en passant. Bien sûr, il y a parfois des fuites, mais chaque affaire est soigneusement étouffée, notamment par le département magique des services secrets, le MSSD. Ils usent parfois de techniques peu éthiques, comme effacer certains souvenirs, afin qu'aucun être dépourvu de magie n'en découvre l'existence. Tout ça pour dire qu'Arthus est forcément dans mon camp. Bientôt quarante ans qu'il régit cette université et il n'y a jamais eu d'incident majeur sous sa gérance.
Satisfait de son inspection, il donne le feu vert aux professeurs et étudiants qui souhaitent réintégrer les lieux en ce vendredi soir. C'est-à-dire pas grand monde. Amaryllis entre juste après Arthus, frigorifiée. Ses bras sont croisés dans une vaine tentative de se réchauffer et ses dents claquent sous ses lèvres violacées. Pourquoi Lucas n'est-il pas avec elle ? Ne l'a-t-elle pas recroisé, dehors ? Jeremiah traîne les pieds juste derrière.
– Je vous laisse quelques minutes pour vous changer, je vous veux à mon bureau dans un quart d'heure, précisément à 19h, intime le président de sa voix impérieuse.
Oups… J'avais omis dans mon plan qu’Amaryllis pourrait être soupçonnée avec Jeremiah, tous deux étant les seuls à s'être trouvés à l'endroit où l'alarme s’est déclenchée. Raison de plus pour regretter d'avoir usé de cette ruse...
– À tout à l'heure, Jolie Fleur, glisse Jeremiah au passage.
Son sourire m’horripile. Amaryllis frissonne, et pas seulement à cause du froid. Ils s'éloignent chacun vers leurs quartiers d'un pas décidé.
– À charge de revanche, vieille bâtisse vicieuse, ajoute-t-il en faisant crisser ses ongles sur mes murs.
Oh, mon petit gars, tu n'as pas idée de ce que je pourrais te faire subir ! En réponse, je bloque la porte de sa chambre. Il restera trempé jusqu'aux os, nah !
– Sérieusement ? s'exaspère-t-il après s'être acharné sur la poignée.
Il soupire lourdement et passe une main dans ses cheveux détrempés.
– Tu veux jouer à ça. Ok.
Il tente un sort tout simple pour débloquer la serrure. Que croit-il ? Avoir affaire à une débutante ? J'avoue que je m'amuse bien à l'embêter. Je n'ai rien à cacher avec lui et c'est la première fois que quelqu'un m'adresse la parole. Je trouve ça plutôt grisant.
– Allez… Sois sympa !
Tiens tiens, il essaie de m’apitoyer, maintenant.
– Je m'excuse, voilà !
Je ne m'attendais pas à ce qu'il capitule aussi vite. Toutefois, des excuses sont des excuses et je ne suis pas non plus sans cœur. Dans un petit cliquetis, la porte s'entrouvre. Méfiant, Jeremiah hausse un sourcil. Puis, il exerce une légère pression sur le battant pour l'ouvrir davantage, comme s'il s'attendait à recevoir le plafond sur la tête.
– J'imagine que je dois te remercier, maugrée-t-il sans conviction.
Je sens son hésitation lorsqu'il se dirige vers la salle de bain. C'est bon, je vais voir ailleurs, je ne suis pas une voyeuse non plus ! Je m'enquiers du sort de ma petite Amaryllis. Elle s'est déjà changée et s’affaire à sécher ses longs cheveux ondulés. De la buée macule son miroir, juste en face d'elle. Une idée me traverse, même si elle est peut-être un peu angoissante… mais j'ai assez traîné.
Aeternalis
La jeune fille suspend son geste et ses yeux s'écarquillent devant le mot qui prend forme, voilé par la condensation. Les miroirs représentent un vecteur spécial pour moi. Cependant, ça fait bien longtemps que je n'ai plus usé de cette compétence. Je dois me concentrer. Fort heureusement, Amaryllis n'a pas l'air effrayée.
– Aeternalis ? murmure-t-elle. C'est…
Je suis
Ah bravo… Si je commence à parler à l'envers comme l'autre sage tout vert, on n’est pas rendu ! Le visage d’Amaryllis s'illumine.
– Je le savais ! s'exclame-t-elle avec enthousiasme. Tu es vivante !
Perplexe, elle ouvre la bouche pour reprendre la parole mais la referme aussitôt et fronce les sourcils. Elle jette un coup d'œil à son téléphone, sans doute pour vérifier l'heure.
Vas-y
Tu vas être en retard
– L’alerte incendie, c'était toi ?
Tout à l'heure
Amaryllis sourit à nouveau avant de se diriger vers le bureau du président. Elle n'a pas l'air de m'en vouloir outre mesure. J'espère qu’Arthus sera indulgent…
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