Même les prières s’étaient tues. Tous les mouvements restaient suspendus, tous les yeux rivés sur les ouvertures. Se diriger vers ce lieu encore plus inconnu et si peu accueillant représentait une option peu alléchante. C’est là que je pris conscience de l’absence d’un chauffeur. Soudain, une voix claire et puissante retentit au dehors, m’arrachant en sursaut à cette constatation déstabilisante.
– Eh bien ! Allez-vous vous décider à descendre ou bien dois-je attendre le déluge ?
Le silence s’alourdit. Je n’osai esquisser un geste. Un étrange personnage se tenait au dehors, luminescent dans les ténèbres opaques. Sa carrure assez imposante et sa longue barbe blanche provoquèrent l’émoi de la femme qui priait tout au long du trajet :
– Mon Dieu ! C’est vous ! s’écria-t-elle.
Elle se jeta à genoux au milieu du bus, les mains jointes dans une position théâtrale. L’homme s’esclaffa d’un rire tonitruant qui résonna dans la nuit et réchauffa l’atmosphère.
– Elle est bien bonne celle là, on m’l’avait jamais faite !
Riant aux larmes, il éprouvait des difficultés à se calmer. Puis, il finit par reprendre la parole.
– On m’avait déjà pris pour le père Noël, et encore, c’était un gosse ! Mais quand même ! Dieu ! et il ricana de plus belle.
Au bout d'un long moment, il retrouva enfin son sérieux alors que la pauvre femme se relevait et s'époussetait, à la fois honteuse et outrée. Mon voisin affichait un léger rictus moqueur.
– Et bien ! Que ceux qui n’ont pas envie de moisir dans ce bus me suivent, alors ! Même si je suis pas Dieu ni l’père Noël, mon job c’est de vous guider dans ce labyrinthe. Mais si vous avez envie d’rester là, c’est vot’problème, les amis !
Sur ces paroles bourrues, il commença à s’éloigner.
~~~
Nous marchions depuis un bon moment derrière la silhouette fluorescente de notre guide qui se dirigeait comme s’il savait exactement où il allait. Pourtant, je ne distinguai rien d’autre que cette obscurité insondable autour de nous. Parfois, il semblait réfléchir, tournant la tête de gauche à droite, puis reprenait promptement son chemin, comme s'il évitait des obstacles qu’il serait le seul à repérer. Je m’efforçais de ne pas réfléchir et d’avancer. D’ailleurs, personne ne parlait. On n’entendait aucun son autour de ce convoi hétéroclite, alliant tous les âges et toutes les origines. Ma voisine de siège et moi-même fermions la marche.
Le silence commençait à peser. Même le bruit de notre marche était atténué sur ce sol invisible qui donnait l’impression de pouvoir se dérober à chacun de nos pas. Soudain, des contours un peu flou se détachèrent dans la brume. Enfin, je retrouvai la terre ferme avec soulagement, ou du moins quelque chose qui y ressemblait. Un imposant château se dressait devant nous.
– Nous y voilà ! déclara notre guide dont j’avais presque oublié la présence. Mon boulot est terminé, j’vous ai guidés jusqu’ici… et c’est ici que nos chemins se séparent, les amis ! J’en ai d’autres à aller chercher, vous comprenez…
Là dessus, il disparut avec son rire sonore qui aurait sans doute pu lézarder les murs du château. Cette étrange construction d’un bleu glacé paraissait se dresser jusque dans les nuages. Ses tours s’élançaient vers le ciel, semblables à d’immenses stalagmites de glace dont la plus haute resplendissait, surmontée d’un flocon géant. La plupart des membres de notre groupe fixaient cette bâtisse féerique, les yeux écarquillés.
Un homme grand et sec sortit de nulle part et s’avança vers nous. Puis une femme presque évanescente apparut d’une manière tout aussi inhabituelle et le rejoignit.
– Ceux que je vais désigner me suivrons, annonça l’homme d’une voix austère. Toi, toi, toi et toi. Les autres, vous partirez avec ma collègue.
Il avait désigné tour à tour un homme à la chevelure blanche, une jeune femme aux yeux verts, un petit bonhomme qui portait une moustache digne du colonel Moutarde et, enfin, moi. Puis il se retourna sans un regard de plus, si vite que sa longue cape virevolta autour de lui.
– J’ai été enchantée de vous connaître, affirma la jolie inconnue en levant les yeux vers moi.
Elle avait parlé sur un ton qui se voulait ferme mais trahissait son désarroi, reflet du mien, tandis que je déclarais simultanément :
– Ce fut un plaisir.
Puis, je m’éloignai rapidement pour rattraper les trois autres derrière notre nouveau guide qui avançait à grandes enjambées sans se soucier de savoir si tout le monde suivait.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3080 histoires publiées 1357 membres inscrits Notre membre le plus récent est mad.autrice |