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1. Un voyage inopiné

Je m'éveillai dans un bus. Un choc violent ébranla le véhicule et je me retins de justesse à l’accoudoir de mon siège. Deux personnes n’avaient pas eu cette chance ; je crus les voir disparaître. Comment m’étais-je retrouvé ici ? Je n’en avais aucun souvenir… Étais-je en train d’halluciner ? Je pris alors conscience des mains qui m’avaient agrippé avec force. La jeune fille assise sur le siège d’à côté m’apparut en état de choc. Elle avait les yeux rivés sur l’un des malchanceux, ou devrais-je dire sur l’endroit d’où il venait de disparaître. Jolie, la demoiselle, je dirais même très jolie. L’air de rien, je lançai la conversation :

– Je commence à avoir un peu mal.

Elle reprit ses esprits, se rendit compte de son geste déplacé et retira précipitamment ses mains restées crispées sur mon bras.

– Ex… Excusez-moi…

– Ce n’est pas grave, vous avez dû faire un cauchemar.

Sa confusion laissa place à un air outré. Je me contentai d’un sourire conciliant.

– Mais enfin, je ne dormais pas ! Vous n’avez donc rien vu ?

– Je ne crois pas. Il y a eu un choc, cela a dû vous perturber dans votre demi-sommeil et vous avez cru voir quelque chose, voilà tout. Où descendez-vous ?

~~~

La rapidité avec laquelle mon voisin avait débité ces affirmations et la soudaineté de cette question me prirent au dépourvu. Je devais sans doute être en train de sombrer dans la folie…

– Eh bien… Je ne sais pas…

– Ça tombe bien, moi non plus, me répondit-il avec un air nonchalant.

Le bus s’immobilisa et le silence s’imposa après l’agitation. Il n’y avait plus aucune lumière qui dansaient au dehors, rien que l’obscurité angoissante. Étrangement, je trouvais la présence de ce charmant inconnu assis près de moi plutôt réconfortante.

J’essayai de faire le point mais tout restait embrouillé dans mon esprit.

Bon sang, qu’est-ce que je peux bien faire dans ce bus bizarre ?

J’avais beau me creuser la tête, je ne me souvenais pas de comment j’avais atterri ici. Rien. Le néant. Un frisson me parcourut l’échine. Autant me concentrer sur l’instant présent, garder mon sang froid, analyser la situation. Observer les alentours me parut un bon point de départ. Ce véhicule paraissait ordinaire, d’une trentaine de places et rempli environ à moitié de personnes d’âges et origines variés. L’une priait dans une langue inconnue, un autre triturait ses doigts, les sanglots d’une petite fille résonnaient…

Déjà, nous sommes tous dans le même bateau, ou plutôt dans le même bus…

~~~

J’avais besoin d’un moment de réflexion. Du coin de l’œil, j’examinai ma voisine. Elle paraissait s’être calmée, même si de légers tremblements l’agitaient encore. J’aurais voulu lui passer un bras derrière les épaules pour la réconforter, mais je ne voulais pas la brusquer par une attitude qu’elle aurait pu mal interpréter.

Les autres occupants du bus avaient tous l’air choqué. Tout ceci m’apparaissait bien réel. Pourtant, j’avais bien vu ces personnes purement et simplement disparaître, même si j’avais prétendu le contraire pour rassurer la belle inconnue. D’ailleurs, ça me démangeait encore à l’endroit où elle m’avait agrippé.

Le plus inquiétant dans cette histoire, c’était mon amnésie partielle. Même si je pouvais être victime de certains effets secondaires, je n’avais jamais ressenti une telle confusion.

Un hoquet horrifié me secoua. J’avais oublié mon prénom. Mon nom… Mon identité ! La jeune fille sursauta.

– Que se passe-t-il ? s’inquiéta-t-elle.

Je tournai lentement mon visage vers elle et rétorquai par une autre question :

– Comment vous appelez-vous ?

Elle commença à ouvrir la bouche pour répondre, puis la referma, consternée. Un instant de silence flotta entre nous.

– Et vous ? répliqua-t-elle finalement.

Je ne pus réprimer mon éclat de rire. Indignée, elle me scruta avec un air de reproche. Cette fois encore, je m’armai d’un sourire que j’espérais avenant.

– Vous avez une bonne répartie.

Elle finit par me rendre mon sourire. Nous étions les seuls à avoir noué une conversation ; les rares passagers dont le siège voisin était occupé n’en semblaient pas enchantés. Une femme qui marmonnait des prières, les yeux fermés à s’en fendre les paupières, agaçait vraisemblablement son voisin au plus haut point. Au vu de la manière dont il louchait sur une place vide un peu plus loin, il n’allait pas tarder à se lever pour la rejoindre. Toutefois, il n’eut pas ce loisir.

Les portes s’ouvrirent avec fracas. Tous les regards se tournèrent vers les bouches de sortie béantes, comme prêtes à nous engloutir dans la nuit noire.