Capsule 3
A'Atèria, Énihi
Pérégrination
A’Atèria se glissa en silence de la couchée duveteuse qu’elles partageaient. Sans lumière allumer ; c’était inutile ; elle se dirigea vers la sortie de leur petit cocon. Passant à travers les voiles du nid troglodytique, A’Atèria prit une longue inspiration tout en écartant les bras, savoura l’air tout en accueillant le matin. Chargée de frimas piquant aux notes de mélèzes, une brise fraîche la titilla et couvrit son corps nu de rosée scintillante. Elle ne pouvait espérer mieux, surtout avec la vue qui s’offrait à elle ; les derniers instants avant que la nature ne s’éveillât. Le firmament étirait ses couleurs dans les rayons de l’aube, les cimes achevaient leur nuit sous leur couette nébuleuse, les bêtes nocturnes prenaient leur retraite, les premiers chants légèrement rauques d’oiseaux diurnes appelaient celles qui allaient peupler la journée.
Un léger bruissement dans son dos l’informa que quelqu’un répondait à cet appel ; elle se retourna. Vêtue d’une fine nuisette, Énihi s’approcha doucement, ses pieds nus faisaient danser et chatoyer l’herbe trempée. La légère brume dans ses yeux et ses antennes délicates encore lovées sur son crâne trahissaient qu’elle avait tout juste faussé compagnie à Morphée. Arrivée à hauteur d’A’Atèria, elles s’adressèrent un bref salut avant de retourner, avec empressement, à la contemplation du paysage, dans les ultimes instants de l’aurore avant le jour. Finalement, l’irruption du soleil au-dessus des crêtes mit fin au spectacle matinal.
« Il serait peut-être temps de s’habiller, tu ne crois pas ? remarqua Énihi en promenant son regard sur A’Atèria.
- Ce plus simple appareil ne me sied-il point ? » rétorqua malicieusement celle-ci, tournoyant pour mettre en valeur l’habit pailleté de gouttelettes.
Cela permit à A’Atèria d’apprécier la mine amusée de sa compagne, mais avant qu’elle eût le temps de percer les émotions que son minois cachait, cette dernière reprit un air plus sérieux et un peu désolé.
« Je doute qu’il te garde au frais toute la journée…
- Je sais, admit A’Atèria un peu à contre-cœur, mais c’était loin d’entamer sa bonne humeur. On va se préparer ? »
Elle ouvrit la marche vers la paroi rocheuse et leurs affaires, et, contaminant Énihi avec son sourire, celle-ci lui emboîta le pas avec entrain.
Alors qu’Énihi se faufilait dans l’abri, A’Atèria profita une dernière fois de l’étreinte humide, avant de la jeter dans le vent montagnard, comme un voile tissé d’Énergie et de perles aqueuses. Énihi ressortit avec des pièces textiles lui étant destinées au même moment. Après avoir vérifié machinalement, néanmoins consciencieusement, les runes réfrigérantes tapissant l’intérieur, elle aida A’Atèria à s’en vêtir.
C’était un rituel bien à elles ; A’Atèria tendit son bras gauche. Énihi enfila précautionneusement la première pièce, un gant complété d’une manche remontant et couvrant l’épaule, sur la peau sèche et violacée, brûlée et rêche. Une fois cette partie attachée par une lanière passant sous l’aisselle droite, vint la seconde couvrant la moitié gauche de son abdomen et de son dos, qui fut fixée au tissu de l’épaule et par une large bande ceinturant le ventre. A’Atèria s’assit sur un rocher plat à proximité, afin de permettre à Énihi de faire passer la jambière cachant la chair endommagée de la cheville à la gauche du bassin,où elle la boutonna à la couverture ventrale. Et enfin, ce fut le tour de dernière pièce, qui allait dissimuler la moitié mutilée de son visage, dont seule la zone autour de la bouche et du menton avait été épargnée, et le cou jusqu’au haut des épaules, où elle se solidarisait avec l’épaule gauche. Bien sûr, aucune ouverture pour l’œil ; elle n’aurait révélé qu’un renfoncement uniforme de chair où le globe aurait dû se trouver. Énihi attacha la cordelette finale, barrant le visage sous l’œil et l’oreille droits, pour fixer le voile. Son travail achevé, Énihi recula et tendit les mains pour aider A’Atèria à se relever. Le tissu, à l’origine uniformément noir, était désormais paré de lianes en arabesques, supportant moult feuilles et fleurs brodées. À la place de l’orbite vide s’épanouissait la fierté d’Énihi : une magnifique fleur blanche, aux grands pétales incurvés vers l’extérieur et superposés, se soudant dans une corolle aux teintes orangées, aux étamines dorées et au pistil vermillon allongés. Un symbole d’espoir et de force.
Le gel des runes engourdissait instantanément le brasier qui avait dévoré ses chairs et dévorait ses sens. Le soulagement était bien plus prononcé qu’avec la rosée ; elle pouvait baisser sa garde stoïque davantage et apprécier d’autant plus les mille et une sensations que le monde pouvait offrir. La première qu’elle choisit dans ce large éventail fut les cheveux d’Énihi, qu’elle commença à coiffer, en gage de reconnaissance pour son aide quotidienne, comme d’habitude. Cette dernière n’avait pas donné d’indication ; elle avait donc l’autorisation tacite de laisser libre cours à son imagination. Un court moment de contemplation devant la cascade lisse entre ses doigts lui rappela qu’elles allaient longer un petit torrent aujourd’hui, l’inspiration coula alors de source. Elle tressa les flots en flux se croisant, se joignant, se divisant au gré de ses mains, telles des rochers défiant le courant. Elle guida l’écoulement et le figea à l’aide des nombreux rubans que lui avaient confiés Énihi, piquant l’onde rose de nuances bleutées. Les entrelacs retrouvèrent leur unité et leur calme en contrebas de son dos, où ils se déversèrent dans un court tunnel tressé avec le ruban le plus long, bleu sombre comme un lac souterrain. Énihi, qui avait suivi l’ouvrage en écoutant ses sens, lui adressa un regard tendre et pétillant, l’œuvre achevée.
Ces attentions matinales échangées, elles s’habillèrent. A’Atèria enfila une veste anthracite sans manche, parcourue de bas en haut de lignes blanches parallèles se brisant au niveau de la poitrine en contours incomplets de losanges, plus grands plus loin ils étaient du centre du vêtement, avant de reprendre leur chemin par-dessus l’épaule, où elles répétaient le motif à l’identique dans le dos. Son pantalon était du même gris que la veste, sans les motifs. Énihi, quant à elle, fit tomber sa nuisette avant de remonter sa robe azurée, où de dodus nuages duveteux se mouvaient doucement, poussés par un vent invisible. Les bords étaient faits de brume blanche changeante, rendant impossible de définir précisément où se trouvaient ceux-ci. Ipso facto, les genoux d’Énihi apparaissaient et disparaissaient au gré des volutes, et les bretelles étroites se cachaient tant et si bien que la robe évasée, au décolleté rond, avait l’air suspendue à des cordelettes vaporeuses. Leurs habits étaient bien plus robustes qu’ils ne paraissaient, parfaitement adaptés à la marche et la randonnée, au plat comme à l’accidenté.
A’Atèria reboucha la cavité où elles avaient passé la nuit, après qu’Énihi eût rangé leurs affaires dans son espace personnel. La roche retrouva son état d’origine, effaçant la trace de leur passage. Elles se mirent en route ; leur chemin du jour longeait la montagne, restant peu ou prou à la même altitude, jusqu’à un col. On leur avait recommandé de l’atteindre avant que le soleil ne se perchât au zénith. Elles se hâtèrent d’un pas plus que tranquille, s’arrêtant de temps en temps pour cueillir et goûter quelques baies sauvages, ou admirer la flore parfois discrète, parfois ostentatoire. À cette altitude, la forêt était encore bien fournie, mais suffisamment clairsemée pour leur permettre de passer le plus clair du trajet côte-à-côte. A’Atèria et Énihi ne se privaient pas de se tenir la main dès qu’elles le pouvaient. Les antennes dressées d’Énihi se balançaient au rythme de la quiétude ambiante. A’Atèria y remarqua de rares frémissements du coin de l’œil ; cela n’arrivait généralement que si Énihi ressentait de l’excitation, de l’impatience ou de l’anticipation. Était-ce à cause du spectacle promis dans l’après-midi ? Cela semblait une raison peu probable, mais connaissant Énihi, cela restait possible. Elle cessa d’y réfléchir, distraite par la faune, plus curieuse que farouche face à ces deux étranges tourterelles. Quelques animaux, des plus petits aux plus gros, les accompagnèrent par moment sur une petite partie, avant de retourner à leurs occupations. En dépit de ces distractions, et malgré son inéluctable progression, l’astre solaire ne put que darder ses rayons sur les deux femmes lorsqu’elles atteignirent le passage avec une confortable avance.
Marquant une pause dans l’ouverture, elles sondèrent le paysage qui avait été jusqu’à présent dissimulé. Le relief semblait être l’exact opposé du versant qu’elles venaient de quitter : les flancs inclinés, aux contours arrondis couverts de forêts, derrière elles n’avaient rien à voir avec la large cuvette en pente douce devant. Peuplée de crocs minéraux difformes, elle ressemblait à une mâchoire géante, où le peu de végétation coincée entre les dents rocheuses, paraissait témoigner d’un festin monstrueux. Le terrain se soulevait irrégulièrement partout, à l’exception d’une crevasse non loin à gauche du couple, d’une largeur impressionnante, dans laquelle s’engouffrait un torrent dévalant des glaciers. La balafre se poursuivait jusqu’à s’effacer progressivement en approchant du centre de la dépression, où le même torrent ressurgissait pour finir sa course dans un lac, siégeant au cœur de ce qui ressemblait à une oasis boisée dans le chaos environnant. Une ceinture garnie d’herbe touffue encerclait les eaux lisses. En suivant le cours d’eau dans la fissure jusqu’au lac, A’Atèria et Énihi auraient pu aisément arriver dans le milieu de l’après-midi, avec la même allure que le matin. Cependant, le conseil, qui avait recommandé la hâte auparavant, les avait encouragées à s’attarder entre les parois à pic. « Tant que la magie durerait », avait-il dit ; celle-ci était censée se manifester peu après l’apogée du soleil, en amorçant sa lente descente.
A’Atèria fut tirée de sa contemplation lorsqu’Énihi agrippa son bras :
« La crevasse n’est pas loin, viens !, dit-elle en tirant avec insistance.
- Pourquoi es-tu si pressée ? Le soleil ne sera pas en position avant au moins une heure, remarqua A’Atèria , un peu surprise.
- Au cas où ! Je ne veux rien rater !, répliqua Énihi, affectant une petite moue boudeuse adorable.
- D’accord, d’accord ! On y va. », la rassura A’Atèria, amusée par cette fantaisie soudaine.
Satisfaite, Énihi fit deux pas et s’arrêta. Avant qu’A’Atèria ne pût s’enquérir de cette pause incongrue, elle se retourna avec le visage de l’espièglerie incarnée.
« On fait la course ? »
Sans même lui laisser le temps d’ouvrir la bouche, Énihi s’élança, sautillant et virevoltant de caillou en caillou. Il ne fallut pas longtemps à A’Atèria avant que l’envie de se prendre au jeu ne la précipitât derrière la toupie rose et azur qui slalomait entre les rochers. Se rapprocher, s’éloigner, se dépasser, sans se distancer ; telles étaient les règles de ce jeu complice où il n’y aurait aucune perdante, jeu qui prit fin bien vite tant la distance à couvrir était courte.
Elles se tenaient maintenant à l’entrée du couloir minéral qu’elles allaient emprunter, dont les murs montraient des strates brisées, décalées, aléatoires, désordonnées ; vestiges d’un passé aussi tectonique que chaotique. Ce patchwork rocheux donnait des airs de mosaïques aux parois, une fresque mélangeant carreaux colorés et vitreux. Le sol de cette exposition naturelle était tapissé de pierres et de cailloux aussi hétéroclites que celle-ci, anguleux sur les rives étroites du torrent, contrairement au lit de l’eau dont la caresse, mariée au temps, les avait adoucis et lissés. Le fond était un faux plat que le torrent descendait mollement jusqu’au lac, contrastant avec son impétuosité précédente, qui culminait en une cascade pour une entrée en pompe dans le musée à ciel ouvert. Des éboulis de part et d’autre offrait un escalier abrupt aux grandes marches irrégulières pour les autres visiteurs. Avec le havre au lac complétant en fond la toile, la scène dégageait déjà une aura et un charme envoûtants. « Mais alors, quel rôle doit jouer le soleil ? », pensèrent à l’unisson les deux femmes.
Sortant la première de sa torpeur hypnotisée, A’Atèria s’approcha du bord afin d’étudier la descente qui les attendait. Les degrés semblaient avoir été taillés pour des géants, mais elles n’auraient aucun mal à les franchir. Quand Énihi l’eût rejointe, elle entama la descente, sautant et se laissant tomber de palier en palier, avec efficacité et sans mouvement inutile. Arrivée en contrebas, elle observa Énihi la rejoindre. Cette dernière glissait de niveau en niveau avec la grâce et la légèreté d’une ballerine, atterrissant sur la pointe des orteils aussi silencieusement qu’une feuille. Mais alors qu’elle était sur la dernière marche, au de lieu de se poser à côté d’A’Atèria, elle bondit au milieu du torrent à pieds joints. Son rire cristallin éclata par-dessus le ronflement de la cascade et le clapotis des gerbes autour d’elle.
« L’eau est bien fraîche, ça va te plaire ! », appela Énihi en faisant signe d’approcher, le courant faible lui arrivant à mi-cuisse.
Un peu hésitante d’abord, A’Atèria se laissa tenter. Elle trempa un pied sceptique ; le bain était effectivement délicieux et les pierres douces au toucher. Convaincue, elle entra et alla à la rencontre d'Énihi qui, sans crier gare, l’éclaboussa généreusement lorsqu’elle fut assez proche. Aussi agréable la douche put être pour A’Atèria, un tel affront ne devait rester impuni ; elle riposta immédiatement. S’ensuivit une bataille où chacune se rendait gerbe pour gerbe, pouffant comme des enfants. Ce jeu les occupa tellement que le soleil arriva au point fatidique sans qu’elles s’en rendissent compte.
Le duo s’interrompit brusquement quand l’une et l’autre remarquèrent des lueurs danser sur la silhouette détrempée de leur adversaire. Reportant le regard sur la crevasse, elles se figèrent de stupéfaction et d’émerveillement. Baignant enfin dans la lumière solaire, la partie haute des parois bigarrées révélaient leurs couleurs, les pièces vitreuses réfléchissant et diffractant les rayons, se réverbérant et se réfléchissant d’un mur à l’autre, jusqu’à atteindre le fond pour l’illuminer de mille teintes, parant le couloir de lucioles, et le torrent animait par ses remous autant de feux follets multicolores sur ce champ bariolé. Les deux femmes subjuguées faisaient malgré elles partie de ce spectacle enchanteur, leur corps servant pareillement de toile au pointillisme des reflets des hauts murs et aux coups de pinceau des reflets de l’eau. Elles avancèrent en silence, très lentement, à petits pas au milieu du courant, totalement envoûtées, leurs yeux se baladant alentour et parfois se croisant pendant plusieurs secondes, comme pour s’assurer qu’elles ne rêvaient pas. Au fur et à mesure de leur progression, le nombre et la force des lumières augmentaient, puis diminuaient avec l’heure qui tournait. Quand elles atteignirent finalement l’extrémité de la crevasse et la quittèrent, le spectacle s’était réduit à des orbes fantomatiques, à peine visibles. À en juger par la position de l’astre du jour, la fin d’après-midi débutait.
A’Atèria et Énihi achevèrent le trajet jusqu’au lac tout proche et s’arrêtèrent à son bord, à côté du torrent qui terminait sa course dans l’étendue d’huile.
« Il faudra remercier Vularono de nous avoir planifié cette escapade, chuchota A’Atèria à l’oreille de sa compagne.
- Ça va de soi ! Il n’empêche, je me demande comment il fait pour trouver tous ces lieux. Je vais finir par croire qu’il est en bons termes avec les Vagabonds, s’interrogea Énihi.
- N’est-ce pas le cas ? lança A’Atèria, un regard entendu appuyant son propos.
- C’est même sûr, bien qu’il ne l’admettra jamais. », s’en amusa Énihi.
Cette dernière s’assit et invita A’Atèria à l’imiter ; elle s’exécuta. Elles restèrent quelques instants à profiter du paysage, découpé en couches de lac, d’herbe, d’arbres, de crêtes et enfin de ciel. Elles rejouaient la journée, pour l’immortaliser.
« Je vais aller préparer le bivouac, dit finalement A’Atèria en commençant à se lever, avant qu’une main ne la retînt et ne la força à s’allonger sur le tapis de verdure moelleuse.
- Non. Toi, tu fais une bonne sieste pendant que je m’occupe de tout. », lui déclara Énihi sans équivoque.
A’Atèria s’apprêtait à questionner cette répartition des tâches, quand elle vit les antennes d'Énihi vibrer vigoureusement : elle mijotait quelque chose, son hypothèse du matin était erronée
« Très bien, abdiqua A’Atèria, je te laisse faire. Mais quand dois-je me réveiller ?
- Tu sauras quand sera le bon moment. », fut la réponse énigmatique d'Énihi en lui faisant un clin d’œil.
Pendant qu'Énihi s’éloignait d’un pas vif, elle fixa la voûte céleste. Suite à une courte méditation, ses pensées s’y envolèrent, aussi sombra-t-elle dans le sommeil.
Ses oreilles s’ouvrirent sur les chuchotements d’une douce musique, ses yeux sur une toile étoilée aux dégradés crépusculaires. Ces sonorités familières ne pouvaient venir que des instruments enchantés d'Énihi. Elle s’assit et douta s’être réveillée. Énihi se tenait à quelques mètres devant elle, debout sur le lac, une tenue de danse s’était substituée à la robe. Constituée de bandes diaphanes superposées en tons de violet et de mauve, suspendues à des anneaux argentés sur son cou et ses bras, ainsi qu’aux chaînettes les reliant, mais aussi à une ceinture autour de ses hanches, elle était conçue pour suggérer et dévoiler les formes au gré des chorégraphies, même si les bras, la taille et les cuisses étaient largement découverts. Accrochés à des bagues et aux anneaux sur les bras, deux grands voiles translucides donnaient des ailes à la danseuse. Cet assemblage apparemment simple était enrichi de broderies en volute d’argent et de clochettes aux poignets, aux chevilles et aux hanches. Un bandeau de perles ceignant le front complétait le costume d'Énihi. Toute l’oasis était constellée d’insectes luminescents qui éclairaient d’une lueur mystérieuse et intime la piste, couronnée d’un halo vespéral par le soleil derrière les crêtes.
Voyant A’Atèria suspendue à la vue onirique, Énihi entama les premiers pas tout en dirigeant le petit orchestre, harpes et autres cordes, tambourins et autres percussions, flûtes et autres vents. A’Atèria reconnut immédiatement la danse langoureuse et aguicheuse : une jeune Énihi timide et nerveuse, un peu maladroite et un peu raide, lui avait en cette chorégraphie dansé sa flamme, la seule qu’A’Atèria eût jamais embrassé ardemment et qui avait embrasé son cœur. Elle se sentait revenir de nombreuses années en arrière, à l’exception qu'Énihi se mouvait aujourd’hui aussi naturellement qu’une brise, ses sentiments s’épanouissant clairement dans ses mouvements, son visage et ses yeux, dans toutes leurs couleurs et leur fièvre ; fièvre qui gagna petit à petit A’Atèria lorsqu’elle réalisa, au hasard de quelques pas, que la Énihi de maintenant avait troqué le corsage et la culotte assortis sous la tenue et n’était vêtue que de son audace. La scène miroitante restait de marbre face à cette cour, ne se ridant ni d’une vaguelette ni d’un remous, si bien que la danseuse semblait tenir en équilibre sur son reflet. Ce rêve éveillé se faisait de plus en plus féérique à mesure que le jour effaçait ses ultimes lueurs, laissant la place à un dôme sombre clignotant de mille feux, où trônaient deux grosses lunes pâles.
Énihi ralentit de concert avec les instruments, tout en se rapprochant. Elle s’immobilisa devant A’Atèria et la convia d’une main amplement tendue à se joindre à elle. Complètement ensorcelée, cette dernière répondit avec enthousiasme. Elles valsèrent un long moment dans l’herbe douce, perdues dans le regard tendre l’une de l’autre au point que la musique semblait bien ténue et distante. Cette nuit était menée par Énihi qui, penchant A’Atèria en arrière, l’abaissa doucement au sol en la suivant. A’Atèria était désormais allongée face à Énihi, perchée au-dessus d’elle sur ses bras tendus. Le visage d'Énihi descendit à sa rencontre et elles restèrent connectées pendant l’éternité d’un instant. A’Atèria fuyait ordinairement la chaleur, mais elle brûlait de tout son être d’un brasier qu’elle laissait la consumer avec félicité. Haletante, Énihi lui souffla fiévreusement :
« Je t’aime, ma douce dragonne.
- Je t’aime, petite phalène. », lui répondit A’Atèria, toute aussi essoufflée.
Alors qu’une main se faufilait dans sa veste, serpentant sur son ventre vers son jardin, A’Atèria vit une pomme ronde et rebondie se révéler entre les bandes de tissu, sur laquelle ses lèvres se jetèrent et croquèrent amoureusement.
Une couette nébuleuse recouvrait les cimes s’assoupissant, les bêtes nocturnes avaient investi leur royaume et les animaux diurnes pris leur retraite, et la température se rafraîchissait alors que commença l’heure la plus chaude de la journée.
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