Les rues de Colmar sont animées à cette heure matinale. Les parents conduisent leurs enfants à l’école avant de rejoindre leur travail, les bus traversent également la ville, ce qui créer un sacré remue-ménage et une odeur désagréable de pollution qui chagrine son nez. Il observe le ciel, pas tout à fait bleu, cherche un peu de réconfort dans l’épaisseur des nuages blancs, mais cela n’a rien à voir avec la beauté du Nil qu’il regrette au plus haut point, quand bien même il s’agissait d’un rêve.
Il pénètre dans le collège en saluant les surveillants scolaires à la grille et se dirige vers sa salle de classe pour organiser sa journée avant que les premiers élèves – une classe de sixième – n’entrent et que ce soit ainsi pour les quatre prochaines heures.
Le soleil matinal inonde la pièce, traçant des bandes lumineuses sur les murs et les pupitres. Debout devant le tableau noir, il attend patiemment que le brouhaha se calme.
Aujourd’hui, le programme est chargé : la Révolution française. Un sujet qu’il apprécie particulièrement, car il forme les prémices du monde moderne, avec ses idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité et qu’il en avait été témoin depuis l’Univers des éthérés.
— Bonjour à tous, commence-t-il d’une voix claire et posée. Je sais que c’est votre dernier jour avant les vacances et que vous êtes prêts à partir, mais avant cela, vous allez plonger dans l’histoire passionnante de la Révolution française.
Quelques soupirs se font entendre, mais Scael ne m’en formalise pas. Le passé peut paraître lointain et ennuyeux pour certains, mais il est convaincu de pouvoir le rendre vivant et intéressant.
— Imaginez, continue-t-il, un monde où les privilèges sont abolis, où les citoyens sont égaux devant la loi, où la liberté d’expression est garantie. Une société où le peuple a le droit de choisir ses représentants et de participer à la vie politique. Ce monde, mes chers élèves, c’est celui que la Révolution française a fait naître.
Il marque une pause, laissant ses mots résonner dans la salle de classe. Soudain, une image traverse son esprit : un visage souriant, des yeux pétillants, une chevelure sombre et ondulée. Son cœur se serre. Il secoue la tête pour chasser cette vision, mais le souvenir reste gravé dans sa mémoire.
Puis, lorsqu’il sent qu’il a capté l’attention de ses élèves, il se tourne vers le tableau noir et commence à dessiner un schéma afin de bien expliquer la situation de cette époque.
La cloche sonne, signalant la fin du cours. Les élèves se lèvent, rangeant leurs affaires. Certains s’approchent pour lui poser des questions supplémentaires, auxquelles il répond avec patience et bienveillance, heureux de voir leur intérêt pour l’histoire.
Il s’installe derrière son bureau, profitant pleinement de la pause méridienne en sortant un sandwich de son sac. Tout en le dégustant, il relit ses dernières notes en passant une main sur ses lèvres avant de la glisser dans ses cheveux.
Scael a l’impression de devenir fou. Tous ces rêves ne le quittent jamais. Des carnets remplis reposent sur la table basse du salon et chaque fois qu’il croit tenir une piste, celle-ci disparaît. Il se sent complètement vide et les cernes qui ornent ses yeux prouvent que ses nuits ne sont absolument pas réparatrices.
Pourtant, c’est plus fort que lui. Il ne peut s’empêcher de penser à ce rire, ce parfum et ce regard qui hante une partie de lui. Deux ans qu’il est revenu et sans piste pour la retrouver.
Il inspire profondément en déchiffrant les hiéroglyphes inscrits sur un vieux papyrus en quête d’un détail, même minime.
— Quelle sale tête...
Scael remonte les yeux du parchemin et hausse les épaules en guise de réponse.
— Tu sais qu’un peu de soleil ne te ferait pas de mal ?
— Je suis occupé, Valentin.
— Et, moi, je m’en fous. Axel, tu fais vraiment peur à voir.
Il repose la feuille sur son bureau et relève un sourcil à sa remarque :
— C’est très sympa…
— C’est surtout honnête, vieux. Il se passe quoi ?
— Rien, j’ai du mal à dormir en ce moment.
— C’est tout ? Tu es sûr qu’il n’y a rien d’autre ?
Il détourne le regard, mal à l’aise. Comment lui expliquer que cette vie ne lui correspond pas, que tout ce qu’il croit savoir de lui est factice et qu’il est à la recherche d’une femme, son égale, son âme sœur, depuis plus de deux ans ?
— J’avoue que je suis obnubilé par mes recherches.
Valentin fronce les sourcils, visiblement inquiets.
— Tu sais que tu as tendance à te perdre dans tes passions, Axel. Tu devrais faire attention à ne pas te brûler les ailes.
Il sourit tristement. Son ami n’a pas tort. Mais comment faire autrement ? C’est une obsession. Ce vide dans son cœur ne s’apaisera pas tant qu’il ne l’aura pas retrouvée.
— Je sais, Val, je sais, dit-il en posant sa main sur son épaule. Mais ne t’inquiète pas, je gère.
Valentin le regarde avec insistance, puis finit par soupirer.
— Si tu as besoin, je suis là, ok ?
Scael lui sourit, reconnaissant. Il est toujours là pour lui, même quand il est insupportable.
— Merci, Val.
Les garçons restent un moment silencieux, puis Valentin change de sujet et lui parle de sa dernière conquête. Scael écoute d’une oreille distraite, pensant systématiquement à ses rêves, à ces images qui le hantent. Son rire et ses lèvres embrassés un millier de fois se rappellent à lui et le fond soupirer.
— Tu recommences, souligne Valentin.
— Excuse-moi.
Scael glisse une main dans ses cheveux et tente de figer son attention sur un point réel pour ne plus divaguer. Plus de deux cents ans passés dans le monde des divinités ont quelque peu abîmé son esprit et sa concentration.
— Et ton voyage en Grèce ? Tu veux m’en dire plus ?
— Bien.
Il ne pouvait pas avouer qu’il est déçu de ne pas avoir trouvé ce qu’il avait été y cherché.
— C’est tout ? Attends, il y a deux mois c’était l’Égypte, cette fois la Grèce… Tu fais de super voyages et tu n’as jamais rien à en raconter…
— C’est très beau. Les villages sont atypiques, cela change.
Valentin soupire, comprenant que son ami ne dirait rien de plus.
— Tu fais quoi pendant tes congés ?
— Je ne suis pas là.
— Oh allez ! À chaque fois tu dis ça !
— Je vais en Italie.
Valentin ouvre en grand sa bouche ainsi que ses yeux :
— Encore des recherches, je suppose ?
Scael veut répondre, mais son collègue l’en empêche en reprenant :
— Hé ton collier ! Je ne savais pas qu’il pouvait s’illuminer !
Aussitôt, les doigts de Scael s’en emparent pour observer de plus près. Curieux, il ne l’avait pas fait depuis son revoir dans le monde des humains.
— Oh, on dirait qu’il s’est éteint… C’est peut-être un reflet des rayons solaires.
— Certainement, répond-il.
— Bon, on n’essaie de sortir demain soir. Bon courage pour l’après-midi.
Scael le salue d’un vague signe de main, observant toujours le verre entre ses doigts.
— Italie, murmure-t-il.
Le bijou brille de nouveau avec une légère vibration.
— Serait-elle…
Le froncement de sourcil entre ses deux yeux créer une ligne de ride sur son front :
— Grèce.
Le collier s’agite derechef.
— Égypte.
Même résultat.
— Irlande.
Toujours ce résultat. Mais un détail étonne le jeune homme : cette destination, ils ne l’ont jamais rejointe. Un éclair de suspicion traverse son esprit alors qu’il prononce un nouveau pays :
— France.
Le bijou s’apaise.
— Dois-je rester ici ?
La luminescence du collier disparaît définitivement et Scael écarquille les yeux. Depuis le début, il pouvait retrouver Yaissie rien qu’en interrogeant le cœur. Il se frappe le crâne en s’insultant d’imbécile et cherche une carte de France sur son bureau désordonné.
Il passe son index sur chacune des régions en prononçant son nom à voix haute, tenant le bijou entre son autre main et une zone qui ne vibre pas.
Il sort de son bureau à grandes enjambées pour trouver Valentin et le hèle lorsqu’il l’aperçoit au bout d’un autre couloir :
— Cela te dit, une petite semaine en Nouvelle-Aquitaine ?
Le jeune professeur affiche un grand sourire en secouant la tête :
— C’est quoi encore, cette idée de barge ?
Scael ne se sentait pas d’y aller seul cette fois. Et puis, il avait bien remarqué la lueur de tristesse dans son regard de ne pas pouvoir sortir avec celui qu’il considérait certainement comme un ami.
— On va changer d’air.
— Bordeaux ?
Le collier vibre et Scael refuse d’un signe de tête.
— Mais je suis con ! s’exclame Valentin. Il y a le super festival sur la plage à Biscarrosse ! Je t’ai montré les annonces en plus la semaine dernière !
Aucune réaction, un sourire victorieux s’affiche sur le visage de Scael alors qu’il accepte. Les battements de son cœur accélèrent. Encore quelques heures et il retrouverait l’amour de sa vie.
— Je réserve un logement et les billets d’avion, s’enthousiasme Valentin.
**
L’arrivée est dépaysante. Depuis qu’il a posé son pied sur le tarmac à Bordeaux, Scael ne parvient pas à maîtriser les coups qui martèlent dans sa poitrine. Cette excitation qui parcourt son être, lui a manqué et il se sent enfin vivant de la ressentir à nouveau.
Le taxi les dépose à un camping dans lequel son ami a réservé un bungalow pour la semaine, moins cher que les Airbnb et avec tout autant de confort. Ils passent à l’accueil pour terminer l’installation et récupérer les clés ainsi que le petit bracelet bleu qui ornera leurs poignets durant le séjour.
Scael inspire profondément, élargissant au maximum l’espace de ses poumons pour se satisfaire du parfum des pins de la région, tout en marchant sur le chemin caillouteux en tirant sa valise. Ils entrent dans la modeste maison sur roues et découvrent la cuisine ouverte sur un salon, la salle d’eau et les toilettes séparées et trois chambres, dont deux, avec grands lits.
— C’est chouette, dit-il.
— C’est vrai ! J’ai toujours eu un bon souvenir des campings avec mes parents, sourit Valentin. Tu partais souvent avec les tiens ?
Comment lui expliquer qu’il a beaucoup voyagé, mais pas avec ses parents qu’il fuyait avant de se transformer en une sorte de demi-divinité ?
— Pas vraiment, ment-il.
— Voilà pourquoi tu bouges autant maintenant ?
— Oui.
Rester vague. C’est devenu un point fort pour le jeune homme au bout de deux ans. Valentin l’observe une seconde avant de hausser les épaules et de décider quelle chambre il veut utiliser. Scael prend la seconde et se laisse tomber sur le matelas, un long soupire s’échappe de ses lèvres alors que la tension refait son apparition.
Valentin frappe timidement à sa porte avant de l’ouvrir.
— Il y a l’air d’y avoir de bons restaurants à proximité, ça te tente ? Il est presque treize heures.
— Pas de problème, sourit-il avant que son ventre n’émette un bruit de satisfaction.
Ils marchent dans les rues piétonnes du centre de la ville, éclairé par le soleil encore un peu discret de cette fin avril. Il fait doux, bien plus que dans leur région et les garçons regrettent d’avoir pris des gilets, les tee-shirts étant suffisants.
— Viens, on regarde dans cette boulangerie pour le petit-déj, propose Valentin.
Valentin est un amateur de sucré. Scael l’a constaté assez rapidement dans leur amitié :
— Tu ne veux pas déjà aller manger avant de penser à demain ?
— Non, je veux découvrir les viennoiseries de cette région.
Il secoue la tête en soupirant, un sourire au coin des lèvres en le suivant dans la boutique, curieux de repérer leurs spécialités.
Une vendeuse revient dans la pièce avec du pain qu’elle remet en rayon et se tourne pour s’occuper d’eux :
— Bonjour, vous avez choisi ?
Le cœur de Scael rate un battement. Ses doigts attrapent instinctivement le collier alors qu’il ne peut lâcher des yeux la demoiselle face à lui, la voix de Valentin lui parvient d’un autre monde.
Muet, incapable de prononcer le moindre mot, hypnotisé par son regard de jade.
Soudain, une image lui traverse l’esprit : un jardin fleuri, deux silhouettes qui dansent, un rire cristallin. Puis, de nouveau, le néant.
— Emera ? demande-t-il d’un souffle.
— Non, Emma, sourit-elle poliment en désignant son badge.
Il cligne des yeux, secouant la tête pour chasser ces visions troubles. La jeune femme le regarde, inquiète.
— Monsieur, tout va bien ?
Scael hoche la tête, incapable de répondre. Il recule, faisant signe à son ami qu’il a changé d’avis, et sort précipitamment de la boulangerie.
Dehors, il respire profondément, essayant de calmer les battements de son cœur. Il est perdu, désorienté et lève les yeux vers le ciel, cherchant une explication. Mais il reste muet.
Scael sait une chose : une ressemblance si flagrante ne peut pas être anodine. Il vient de découvrir la première pièce du puzzle.
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