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tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

Errer est ce qui existe de pire pour un être conscient. Les souvenirs défilent quotidiennement, la solitude et les émotions se ressassent inlassablement. À la différence des déités, Scael n’ignore rien : le manque est présent et étouffant, la tristesse puissante et ravageuse, l’espoir destructeur et salvateur.

Les éthérés, quant à eux, ne subissent aucun dommage, rien ne les atteint, leurs consciences se sont éteintes en même temps que leurs corps. Seule l’âme subsiste pour parvenir à ses fins. L’empathie les a désertées et ils n’agissent que pour leurs convictions. De l’extérieur, ils sont terrifiants à observer, tant les âmes cherchent à déchiffrer les mystères des émotions.

Certaines sont prêtes à rejouer des évènements vécus sur les êtres humains pour comprendre ce qu’il leur a manqué à cet instant, mais jamais elles ne saisiront que le passif, les sentiments, les pensées sont uniques et qu’une personne est différente d’une autre. Les déités ne possèdent que de vagues souvenirs de leurs vies révolues et ne peuvent se fier qu’à leurs sens, qui manquent cruellement de leurs enveloppes charnelles et d’intuition. Le corps, l’esprit et l’âme ne font qu’un, suscitant diverses réactions possibles.

Scael n’aime pas ce monde, il n’a pas changé malgré les siècles passés et sa décision de ne pas en faire partie avec Yaissie se confirme après ces cent dernières années écoulées ici. Tous deux avaient choisi de ne pas perdre leurs émotions, ne plus jamais pouvoir ressentir l’amour provoqué par l’être aimé, ni ne pas comprendre ce sentiment si magique et sincère. L’accord était donc plus que tentant pour eux et il savait que ce choix était le meilleur pour eux.

Il fait les cent pas, tel un lion en cage dans une pièce vide et froide, immaculée et sainte, lui donnant des frissons. Cette journée interminable joue sur son humeur qui oscille entre espoirs et désillusions.

À quatre reprises, son esprit lui a fait croire que le bijou s’illuminait et rendait ses nerfs à fleur de peau. Les pensées qui tournent en boucle dans sa tête et qui ne peuvent pas quitter ses lèvres ne l’aident pas à exprimer cette frustration grandissant dans ses tripes. Sans compter que son enveloppe charnelle n’est pas complète et qu’il est incapable de décharger sa colère en ces lieux.

Il s’approche de la balustrade dorée, s’y accoude, ses yeux percent à travers les nuages pour admirer le monde des vivants en espérant s’apaiser un peu. Le temps est long, bien plus que dans le monde normal, les journées n’en finissent plus, les rayons solaires illuminent sans fin ce paradis infernal. Les humains vivent leurs vies, se souciant de choses parfois futiles au péril de leurs propres vies, trop courtes.

Ils ont tant traversé ces dernières années : des famines, des éruptions volcaniques, des étés absents et des sécheresses, des révoltes et des maladies et pourtant, les humains continuent de garder de foi, de vivre en espérant des jours meilleurs. Décidément, les déités ne parviendront jamais à les comprendre. Scael doute même de leurs propres résistances s’ils étaient soumis à la souffrance qu’ils imposaient à ces pauvres individus qui n’ont rien exigé.

Son regard scrute le monde changeant, les prémisses de ce nouveau siècle n’ont rien à voir avec ce qu’il a déjà connu. Les progrès technologiques remplacent peu à peu le travail artisanal, les premières voitures apparaissent et Scael s’étonne de découvrir l’excitation des humains pour ces cercueils roulants. Marcher est sain pour le corps et le cœur et une certaine peur glisse dans son être d’imaginer les Hommes devenir dépendants de cette machine qu’il ne comprend pas réellement.

Ses pensées divaguent vers sa moitié : elle ne réfléchissait pas à l’évolution du monde, elle avançait avec lui, se plongeant entièrement en lui pour en profiter le plus possible. L’une des plus belles qualités de Yaissie. Elle voyait la pureté partout, cherchait n’importe quel signe dans la nature pour y apercevoir plus que ce que ses yeux le lui permettaient. Fascinée par ce que l’esprit humain était capable de créer, parfois horrifiée par le mal qu’il infligeait à ses pairs, également.

Mais elle gardait espoir.

Un long soupir amer quitte ses lèvres. Le manque est l’une des étapes les plus dures dans leurs vies, surtout celui-ci, dans lequel l’inquiétude et une profonde tristesse se lient pour enlacer son cœur. Machinalement, ses doigts jouent avec le collier avec ses prières pour la rejoindre rapidement.

Il s’éloigne de la balustrade pour regagner la fontaine au centre du palais et s’y asseoir. Ses yeux scrutent le bâtiment principal, dans lequel il évite d’aller, trop de déités se trouvaient à l’intérieur et toutes cherchaient à s’abreuver de ses souvenirs, l’épuisant.

À sa droite se situe un immense jardin, dont il cherche l’utilité tant il est peu usé. Il est certain que, s’il suit le chemin en dalle blanche et qu’il tourne à gauche avant le banc en gré, il trouvera encore les vestiges de sa première venue ici avec Yaissie.

Porté par une envie soudaine, il décide de s’y rendre pour savoir si son instinct se trompe ou non. Il s’agenouille, pousse l’herbe et découvre la gravure de leurs initiales dans le tronc autrefois naissant d’un arbre à présent millénaire. Caressant les lettres, un sourire s’installe sur ses lèvres, le laissant revenir à ce jour merveilleux qui les avait unis pour l’éternité.

Il se souvenait parfaitement de sa silhouette sur les hautes falaises, ses cheveux virevoltants au vent de la cote et de son envie de la rejoindre plus forte que tout. Il avait grimpé, courut jusqu’en haut du crêt caillouteux, manquant de tomber à plusieurs reprises, s’égratignant les paumes sur le sol, le vent fouettant son visage, extirpant quelques larmes de ses yeux. Il poussait sur ses jambes, les meurtrissant à chaque pas, le cœur battant à tout rompre de peur.

Le baiser passionné qu’ils avaient échangé la veille les avait marqués, ils le savaient. L’air s’était chargé d’une odeur sucrée, leurs cœurs se reliant d’un simple contact.

— Yaissie ! cria-t-il en haut de la falaise.

Elle se tourna lentement vers lui, les larmes ruisselant sur ses pommettes et ses battements accélérèrent dans sa poitrine. Il avança d’un pas, le souffle court, puis se précipita pour la prendre dans ses bras.

L’explosion fut la même que la veille, identique à celle qu’il ressentait à chaque retrouvaille. Leurs lèvres se scellèrent, les larmes dévalèrent leurs joues, mélange de tristesse, de plaisir et d’appréhension.

— Mon père, chuchota-t-elle.

— Enfuis-toi avec moi.

Leurs yeux s’accrochèrent pour ne plus jamais se séparer. Parcourant les mondes, fuyant des destins dont ils ne voulaient pas, pour se retrouver propulsés ici et passer un marché avec des divinités capricieuses.

La suite se partage entre joie et douleur. Mais toujours cet amour indéfectible que les déités jalouses profondément. Ils avaient la chance de presque toujours être ensemble et cela leur suffisait. Ils étaient des âmes sœurs éternelles et il comptait bien récupérer sa moitié pour le prouver aux dieux qui en douteraient encore.


Texte publié par Tynah, 5 mars 2025 à 18h36
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