Jouant des coudes à travers la populace, notre Homme progressait rapidement, récoltant quelques insultes au passage. La rue s’ouvrit bientôt sur une place fourmillante.
Se retournant, il aperçut les gardes du Gouverneur à bonne distance, leurs tricornes à plume blanche voguant parmi la foule. L’un d’eux, dont la tête les dépassait toutes, le pointa du doigt, sa face se déformant sous l’impulsion de paroles. Ils accélérèrent le pas, brusquant le monde devant eux.
Notre Homme esquissa un sourire. Il se faufila alors vers le centre de la place jusqu’à la bordure d’une fontaine, puis fit face à la troupe se rapprochant. Elle se déploya vite devant lui.
- Halte là ! ordonna le plus grand.
Il se voulait autoritaire seulement sa voix essoufflée ne l’aidait pas.
- Je me « Halte », je me « Halte », railla notre Homme.
- Au nom du Gouverneur, rends-toi !
Autour d’eux, les curieux du marché commençaient à former un demi-cercle à bonne distance.
- Quoi ! théâtralisa notre Homme. Moi qui essaye de manger tout simplement.
Il sortit de sa poche une pomme. Les soldats se regardèrent ne sachant que faire.
- Arrête ça, t’as compris !
Notre Homme leva les yeux au ciel.
- D’accord. Tenez, abdiqua-t-il.
Il tendit le fruit devant lui, baissant la tête faussement coupable. Le grand garde se rapprocha, menottes en main. Il entreprit d’attraper la pomme lorsque notre Homme la laissa tomber au sol. Elle roula à quelques pas de là, suivie par tous les regards.
- Oups, s’excusa-t-il narquois.
Puis son genou vint heurter l’entrejambe du soldat qui se recroquevilla les yeux écarquillés de douleur, bafouillant un quelque chose.
Il y eu un moment de battement sous l’effet de la surprise.
- Attrapez-le, vociféra le malheureux, se tenant les parties.
Les lames sortirent de leur fourreau. Les regards se croisèrent. Et l’affrontement débuta.
La rapière de notre Homme fouraillait celles de ses adversaires les obligeant à reculer. La foule derrière évoluait avec eux, s’écartant lorsqu’ils se rapprochaient, s’avançant lorsqu’ils s’éloignaient. L’affrontement n’en était pas réellement un. Notre Homme se jouait d’eux. Entre attaques et parades, il prenait plaisir à les provoquer d’une tape du pied ou de la main, déclenchant des rires dans le public.
Un coup de feu mit fin au spectacle. Derrière notre Homme une partie de la statue centrale de la fontaine vola en éclat. Le grand soldat tenait un pistolet en main, un sourire carnassier le défigurant.
- Arrête-toi, ordonna-t-il.
Sentant la situation prendre en proportion, notre Homme abandonna le combat en sautant dans le bassin pour le traverser en quelques enjambées. Il rejoignait la foule quand un autre coup de feu retentit. Un pauvre gars s’écroula juste à côté, l’épaule ensanglantée. Des cris s’élevèrent puis tous se mirent à fuir. Notre Homme fit de même, bousculant à droite, à gauche, luttant pour avancer. Il repéra une ruelle, s’y engagea sans plus tarder et découvrit une impasse. Au bas des murs, caisses, tonneaux et détritus. Au fond, une porte. Plein d’espoir il courut vers elle et testa la poignée. Fermée. Il insista, tenta de la défoncer du pied. Elle ne bougea pas. Il la maudit tout haut.
Un rire s’éleva derrière lui. La troupe lui barrait l’issue. Ils se rapprochèrent lentement, la lame au clair. Puis le grand leva une main afin de stopper ses compagnons. Le regard mauvais, il demanda qu’on lui donne un pistolet chargé. L’un de ses compagnons s’exécuta :
- Qu’est-ce que tu vas en faire ?
- Un trou dans la jambe, ça n’a jamais tué personne.
La situation devenait vraiment compliquée maintenant. Il était temps d’y mettre un terme. Notre Homme leva les bras au ciel et fit un pas en avant.
- Messieurs, messieurs, s’il vous plait.
- Ne bouge pas, cria celui au pistolet.
Il leva l’arme et …
***
Le tonnerre plongea la salle dans une stupeur paralysante. Je m’étais moi-même figé devant tant de fureur. La pluie tombait dru s’acharnant d’autant plus contre la toiture.
Puis, rompant peu à peu l’hébétude générale, les conversations reprirent.
L’un des trois hommes assis face à moi se passa la main sur le crâne.
- Ben merde alors. La Divinité, elle est pas contente.
Il lâcha sa nervosité par un rire.
- Bon, tu continues ?
- Ouais, t’arrête pas ! m’encouragea le second.
Il prit sa choppe et la termina d’un trait. Le troisième restait silencieux, sa boisson toujours intacte.
Je pris le temps de boire un peu de la mienne.
- Où en étais-je ?
- Le soldat allait tirer !
Je souris devant tant d’empressement.
- Oui, l’impasse, confirmai-je.
Je repris une gorgée de ma boisson, faisant durer l’instant. En face, mon auditoire s’impatientait.
- Vous ai-je raconté comment notre Homme s’est retrouvé là ?
Les trois se regardèrent paraissant chercher la réponse dans les yeux des autres.
- Euh, non, hésita l’un d’eux.
- Non, bien sûr que non, dis-je en riant.
***
C’était une journée comme tant d’autres. Notre Homme humait une tasse de café, profitant d’un instant de pause avant que les turbulences quotidiennes ne le rattrapent. L’arôme le revigorait déjà. Il but une gorgée et recracha aussitôt le liquide, une grimace de dégout peint sur le visage. Il s’apprêtait à appeler la serveuse quand la porte de la salle s’ouvrit sur quelqu’un de frêle aux chausses boueuses. Ses yeux cernés balayèrent la pièce jusqu’à trouver notre Homme. Il lui fit un signe et le rejoignit, jetant chapeau et veste sur le comptoir en passant. Sa chemise était aussi sale que le reste.
Il s’assit lourdement face à lui, lâchant un soupir.
- Bonjour Seamus. Tu as petite mine. Du café ?
- Je veux bien.
- Erika ! Café, tu veux bien ?
Seamus se rongeait les ongles le regard dans le vide.
- Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta notre Homme.
Dans ses pensées, son ami ne releva pas la question. La serveuse déposa une carafe fumante sur leur table ainsi qu’une tasse. Seamus réagit alors, se servant et buvant quelques gorgées, le regard toujours perdu. Il ne fit aucun commentaire au sujet du café.
- Quelque chose ne va pas ?
- Humm, fit-il paraissant revenir de loin. Quoi ?
- Je te demandais si tout allait bien.
- Oui, oui. J’ai mal dormi, c’est tout, éluda-t-il d’un geste de la main.
Notre Homme observa son ami de longue date se demandant de quel pétrin il devrait encore le sortir. Peu satisfait de sa réponse il voulut développer le sujet lorsqu’il fut interrompu par l’arrivée brusque d’une femme que tous deux connaissaient bien. L’un pour avoir fait appel à ses services, l’autre pour gérer lesdits services. Cette femme donc, que tout le monde appelait « Sirène » s’engouffra dans la salle commune en panique. Elle poussa un cri de soulagement lorsqu’elle les aperçut et se précipita vers eux, bousculant l’un des clients sans s’excuser.
- Vous êtes là ! Merci à la divinité ! Il n’y a pas de temps à perdre. Vous devez venir. Ma fille, ma fille !
Elle parlait hâtivement, le souffle court, si bien qu’ils ne la comprirent pas.
- Calme-toi Sirène ! Viens, assied toi et reprend.
Notre Homme se déplaça sur son banc, lui laissant un peu de place. La respiration difficile, les yeux rougis par les larmes, elle reprit :
- Ma fille…
- Quoi ta fille ! s’impatienta Seamus.
Ignorant la remarque, Sirène plongea ses yeux dans ceux de notre Homme. La détresse qu’il y lut le remplit de frissons.
- Ils ont enlevé ma petite Sélène, lâcha-t-elle avant de partir en pleurs.
Seamus leva les yeux au ciel.
- Ben voyons.
- T’aide en rien là, répliqua notre Homme le foudroyant du regard.
Il prit la main de Sirène dans les siennes.
- Dis-moi ce qui s’est passé ?
- Ma fille, hoqueta-t-elle.
Puis les pleurs reprirent le dessus. Seamus pouffa à nouveau. Ils patientèrent quelques instants que la crise passe.
- Sirène. Explique-nous. Ta fille a été enlevée, c’est ça ?
- Ou… oui. Elles jouaient dans la rue puis plusieurs types les ont prises de force.
- Tu es sûre de toi ?
- Oui. Son amie est arrivée à s’échapper juste avant qu’il ne soit trop tard.
Notre Homme interrogea Seamus du regard qui lui répondit d’un haussement d’épaule accompagné d’un regard dédaigneux. Exaspéré, il se leva alors de table et enjoignit Sirène de le suivre, l’entourant de ses bras.
- Erika, fit-il en se dirigeant vers le comptoir. Apporte-nous quelque chose de chaud s’il te plait. On va dans l’arrière-salle.
La jeune femme fut installée dans un fauteuil. Les yeux hagards, perdu dans ses pensées, c’est à peine si elle remarqua la couverture que notre Homme lui posa sur les épaules. Il alla chercher un tabouret et s’installa près d’elle. De la poche intérieure de sa veste il sortit une roulée qu’il se ficha entre les dents, l‘alluma puis la tendit à Sirène. Cette dernière la prit et tira fortement dessus. L’extrémité rougeoya, consumant rapidement la cigarette.
- Tu veux reprendre maintenant ?
Sa voix, pourtant douce, la fit sursauter.
- Qu…quoi ?
- Ta fille, Sirène.
Elle le fixa, le regard emplit d’une souffrance profonde.
- Son amie est venue me trouver ce matin. Ils ont voulu les prendre toutes les deux mais elle a réussi à s’échapper.
Ses yeux s’embuèrent puis les larmes se mirent à couler.
- Ils ont pris ma fille, sanglota-t-elle.
- Tu sais où ils l’ont amenée ?
- La caserne du quartier des Ballots. Juste avant qu’ils n’y rentrent, son amie s’est échappée. Ils l’ont poursuivie jusqu’au marais où elle a réussi à les semer.
- Merci Sirène.
Ses yeux rougis par les larmes imploraient notre Homme.
- Tu vas la retrouver n’est-ce pas ? C’est ça ton travail, nous protéger.
- Je ferai tout ce que je peux.
- Vrai ?
- Vrai, Sirène, vrai.
Elle sourit, voulant y croire de toute son âme.
- Merci.
- Repose-toi maintenant.
Il lui serra l’épaule tendrement puis quitta la pièce.
La salle commune s’était remplie depuis qu’il l’avait quittée. La serveuse s’affairait ici et là, ses voiles s’agitant dans tous les sens. Seamus buvait toujours son café fixant un point dans le lointain. Notre Homme s’installa devant lui.
- Ce n’est pas très net ce qui s’est passé !
Seamus grimaça.
- Des peurs de bonnes femmes. Sa fille reviendra. Elle doit jouer dehors c’est tout, répondit-il, détaché, en se rongeant un ongle. Ne perdons pas notre temps avec ça.
Il cracha un morceau de peau. Son doigt saignait.
- Non. Il y a autre chose. C’est n’est pas une peur non fondée. Tu as vu son état. Elle est en panique. Et puis il y a un témoin.
- Comment ça ?
- Oui ! Elles étaient deux. L’une d’elles est revenue.
- Tu ne vas pas croire une gamine ?
Il rit, mal à l’aise.
- On a d’autres affaires sur le feu. Les gars du quartier Sud par exemple. Ils rodent dans nos murs et violentent nos femmes. L’un d’eux est parti sans payer, laissant comme pourboire une jolie marque violette sur l’une d’elle.
Notre Homme planta son regard dans ceux de son ami.
- Arrête avec tes doigts bon sang !
Il lui enleva la main de la bouche.
- Il s’agit d’une enfant Seamus ! La petite a été amenée dans la caserne du quartier des Ballots. Je vais aller la chercher et toi, tu viens avec moi !
***
- C’est pour ça qu’ils se sont retrouvés dans l’impasse ! A coup sûr !
Sa bière à la main, il considéra ses deux comparses affichant une mine satisfaite.
- Exactement, validai-je. Les gardes ont été attirés dans l’impasse et après un tout petit tour de magie, hop, leurs uniformes étaient en leur possession.
- Quel type de magie ? demanda alors le troisième, sa boisson toujours intacte devant lui.
- Pas ce type de magie, aucune inquiétude ! Notre Homme trempait dans bien des choses mais pas celle-là. Il s’agissait d’une grenade fumigène chargée d’un gaz soporifique voilà tout.
La réponse parut le satisfaire.
- Il ne manquait plus qu’à trouver un moyen d’entrer dans la caserne, repris-je.
- Ben ils sont passés par la porte d’entrée avec leur uniforme, tenta le premier.
- Exactement. Mais plus discrètement que ça. Figurez-vous que l’ami d’un des amis de notre Homme était boucher et qu’il livrait régulièrement ladite caserne. Le hasard a fait qu’une livraison était prévue le lendemain.
***
Que ses yeux soient ouverts ou fermés ne changeait rien à l’affaire, l’obscurité serait sa compagne pendant un temps certain.
Genoux contre le torse, rapière glissée entre eux, tricorne posé dessus, notre Homme remua comme il put afin de soulager l’une de ses fesses. Il sentit un ralentissement, puis l’arrêt de son moyen de transport. Des voix étouffées lui parvinrent. Puis le mouvement reprit, vite suivi d’un nouvel arrêt. Ça s’animait autour de lui. Des chocs. Des discussions. « Viens m’aider pour celle-là ! ». Une réponse incompréhensible.
Un moment encore et il commença à être balloté dans tous les sens. Il se cala contre les parois pour éviter de cogner dessus. Cela cessa rapidement.
Un trait de lumière éclaira l’intérieur du tonneau. Quelqu’un au-dehors avait retiré la bonde. Les sons se percevaient plus clairement maintenant.
- C’est ok les gars, chuchota une voix, bonne chance.
Des pas qui s’éloignent. Une porte qui se ferme.
Notre Homme patienta dans ce silence nouveau. L’obscurité naissante lui indiqua enfin la tombée du jour. Il attendit encore. Et encore. Puis estima que la nuit fut bien avancée. D’un coup sec il frappa le fond de bois. Trafiqué, celui-ci céda facilement. Prenant soin de ne pas le faire tomber au sol, il le retira et le posa de côté.
Le corps engourdi, il s’extirpa péniblement de sa cachette, gémissant du réveil de ses muscles. Il détailla l’endroit. La seule lumière présente parvenait de l’imposte surmontant l’une des portes. De nombreuses caisses, sacs et tonneaux se devinaient dans la pénombre. Il examina ces derniers puis se déplaça vers l’un d’eux.
- Seamus, interpella-t-il.
Aucune réponse.
- Seamus, répéta-t-il plus fort, frappant légèrement sur le tonneau.
Un grognement en jaillit. Le fond se souleva bientôt. Notre Homme le retira révélant un Seamus maussade.
- Je sens plus mes jambes, grommela-t-il.
Soupirant, notre Homme le laissa se débrouiller. Il se dirigea vers ce qui semblait être la porte menant vers l’extérieur, coiffant le tricorne à plume et passant la rapière à sa ceinture. Il colla l’oreille contre le battant. Au-dehors, aucun bruit n’indiquait une présence quelconque. Il tourna lentement la poignée puis entrouvrit assez pour dévoiler une partie de la cour. Quelques lanternes à incandescence l’éclairaient péniblement. L’une d’entre elles se balançait paisiblement au-dessus d’une porte renforcée d’une armature métallique. Un garde fumait sur la coursive qui s’étendait au-dessus. Il jeta son mégot et reprit sa ronde, disparaissant de la vue.
- Seamus, chuchota-t-il, viens voir.
Ce dernier approcha.
- Si la description de Franco est bonne, les cellules m’ont l’air d’être au fond, là-bas. On longe le mur jusqu’à elles. Dans cette pénombre, nos uniformes devraient donner le change.
Notre Homme réajusta le col de Seamus puis, satisfait, lui donna une petite tape à la joue. « Parfait, un vrai petit soldat du Gouverneur ».
Pas convaincu, Seamus repoussa le bras de notre Homme dans un grognement.
- Tu passes en premier, se contenta-t-il de répondre.
- Mais comme toujours.
C’est ainsi qu’ils sortirent du dépôt et qu’ils se dirigèrent vers les cellules. La cour était effectivement vide. Aucun garde à l’horizon.
Ils atteignirent rapidement la porte entrouverte de la prison, y entrèrent refermant derrière eux. Les cellules s’alignaient de part et d’autre, toutes les grilles ouvertes.
- Ça m’a l’air vide ! s’alarma Seamus. Qu’est ce ça veut dire ?
- Sven, c’est toi ?
Nos compagnons se figèrent. La question venait d’une des geôles du fond.
- On se la joue comme au bal des Crapotes, réagit notre Homme.
Seamus se plaignit du regard. « Allez, en scène ! » enchaina-t-il en prenant le bras de son ami pour le passer sur son épaule tout en le soutenant par la taille.
- Eh ! On a besoin d’aide !
Maintenu de cette façon, ils progressèrent vers le fond de la pièce. Seamus dodelinait de la tête, faisant flancher ses jambes en s’agrippant à notre Homme.
Apparut alors un garde ensommeillé. Ses cheveux sales lui tombaient en cascade sur les épaules. Il chassa plusieurs mèches de devant ses yeux. « Vous êtes pas Sven ? ».
- Bien vu. Mais plus tard les présentations. Je ne sais pas ce qu’il lui arrive mais il est mal en point.
Ils reprirent leur progression. Seamus hoqueta, rota, et sembla se retenir de vomir.
- Je peux l’allonger quelque part ?
Surpris, le garde resta les bras ballant à les regarder.
- Tu me dis ou quoi ? Il n’en a pas l’air mais il pèse.
Après un sursaut, il indiqua une cellule. « Par ici ».
Ils s’y dirigèrent pour laisser tomber Seamus sur une paillasse. Ce dernier étouffa un cri.
- Et bien, j’sais pas ce qu’il a bu mais merci en tout cas, remercia notre Homme en tendant une main.
Le garde s’apprêta à la lui serrer mais se retrouva avec une clef de bras le maintenant plaqué face au mur.
- Ecoute attentivement, commença notre Homme, je suis à la recherche d’une enfant qui m’est très chère. Et visiblement, elle n’est pas ici.
Le gaillard tenta de se libérer mais la torsion sur son bras augmenta, lui arrachant un cri de douleur.
- Je n’ai pas de temps à perdre. Alors si tu veux t’en sortir sans trop de casse, je te conseille de nous dire où elle est !
Une pression supplémentaire lui extirpa une autre plainte.
- C’est… c’est dans la pièce du fond, hoqueta-t-il de douleur. Sous… sous la paillasse.
- Seamus, va voir.
Ce dernier sorti de leur cellule pour revenir quelques instants plus tard.
- Il dit vrai.
- Et bien, je crois que tu va t’en sortir sans trop de casse.
Un coup sec sur la nuque laissa le garde inerte au sol.
Notre homme se déplaça dans la pièce en question. Une trappe s’ouvrait sur quelques marches disparaissant dans l’obscurité. Plusieurs voix s’en échappaient.
- Tu entends ?
- Mouais, maugréa Seamus.
- Je descends voir ce qu’il en est. Garde l’entrée.
L’escalier menait sur un long couloir qu’une ampoule crasseuse éclairait à peine. Plus loin, il distinguait un trait de lumière dessinant le contour d’une porte. Les voix filtraient à travers elle, plus claires à présent. Il s’agissait d’appels à l’aide. Notre Homme se précipita dans leur direction et pénétra dans la pièce la rapière en main. Son entrée déclencha des exclamations de surprise.
La pièce comportait plusieurs autres cellules toutes occupées par des femmes et beaucoup d’enfants. Appuyé contre les barreaux, un garde gisait, un tissu autour du cou.
- Ne nous faites pas de mal, implora quelqu’un. C’est elle qui l’a tué !
- La ferme grognasse. Tu étais d’accord toi aussi.
- Non, j’ai été obligée, se défendit la première.
Une cacophonie emplit alors les lieux. Dans le tas, notre Homme reconnu l’enfant.
- Sélène ! appela-t-il. Sélène, c’est moi !
L’engueulade stoppa. Il enleva son tricorne et s’avança plus dans la pièce. L’enfant exprima sa joie en le reconnaissant.
- Il est venu nous sauver !
Elle s’approcha des barreaux et tendit les bras au travers. Notre Homme lui prit la main qu’il posa sur son cœur. L’autre caressant son visage. D’un geste, il essuya la crasse qui recouvrait une partie de sa joue.
- Tout va bien maintenant !
Sélène sourit, puis ses yeux s’agrandirent de terreur.
- Il y a quelqu’un !
Notre Homme se retourna nerveusement puis se détendit aussitôt. Il s’agissait de Seamus. Ce dernier grimaçait, secouant la tête.
- Ne vous inquiétez pas. Il est avec moi. Seamus vient m’aider.
Il prit position face aux barreaux, dos tourné à son ami, cherchant un moyen de les libérer.
Derrière lui Seamus se rapprocha.
- C’est lui, s’alarma l’une des femmes.
Les prisonnières reculèrent. Notre Homme n’eut le temps de rien. Au premier coup reçu, sa vue se flouta. Au second, le néant l’envahit.
***
- Je le sentais pas ce gars !
Levant sa choppe, il la termina d’un trait puis la reposa lourdement sur la table.
- Non. J’le sentais vraiment pas.
- Il lui faisait confiance, dis-je tristement. C’était comme un frère pour lui.
- C’est de la connerie tout ça. Moi j’dis, frère ou pas, si on veut te le faire à l’envers, on te le fait à l’envers.
Un rôt ponctua sa phrase. Il porta son boc à la bouche puis s’aperçu qu’il était vide. Il loucha sur celui de son compagnon, toujours pas entamé.
- T’en veux pas ?
- Non. Tu le sais. Pas pendant le service, rétorqua l’autre.
- Mouais, tu parles.
Le sérieux soupira.
- Et donc, qu’est ce qui s’est passé ensuite ?
Je me massai l’arrière du crâne inconsciemment. A l’extérieur, la pluie semblait avoir cessée et de la lumière perçait à travers les rideaux. Le temps des histoires touchait à sa fin.
- Et bien, repris-je, le réveil…
***
… fut glacé.
Quelqu’un se tenait devant lui, un seau en main. Malgré le froid ambiant, il ne portait qu’un pantalon grossier de cuir, son torse gras et poilu à découvert. Sa cagoule noire émit un grognement porcin.
Mains et pieds entravés, notre Homme se débattit en vain. Une douleur lancinante le tiraillait, lui donnant l’impression que sa tête allait exploser. Dans ce tumulte, sa mémoire revint lentement jusqu’à ce que tout se remette en place.
- Sea…Seamus, bredouilla-t-il la bouche pâteuse.
Un rire sortit du fond de la pièce, rejoint aussitôt par le bourreau à la cagoule.
- N’est-ce pas touchant !
Notre Homme plissa des yeux en direction de cette voix dédaigneuse. Une silhouette se dessinait dans l’ombre. Elle se déplaça dans la lumière qui dévoila une longue cape rouge dont la capuche rabattue cachait le visage.
- Vous vous inquiétez pour votre ami ?
Notre Homme cracha au sol une salive rougeâtre.
- Qu’est-ce que ça peut vous faire ?
La cape rouge rit encore, à nouveau imité par le gros porc. Elle s’approcha lentement de notre Homme. Un doux parfum emplit ses narines. Une senteur qu’il connaissait mais dont il n’arrivait pas à mettre le nom dessus. La main gantée de son ravisseur lui prit la mâchoire, relevant sa tête. La capuche ne suffisait plus à lui cacher son visage. Deux yeux verts l’observaient derrière un masque blanc.
- Rien, en effet, reprit-il en lâchant sa prise. Votre ami a fait le choix de la facilité me semble-t-il.
Il fit un pas en arrière pour le détailler de haut en bas.
- Et moi, j’ai fait le mien. Je te le laisse Piggs ! Amuse-toi avec.
- Rhooo, merci Maître.
Notre Homme se démena avec ses liens ne réussissant qu’à s’entailler les poignées. Le porc grognait de plaisir lorsqu’il se dodelina vers le fond de la pièce tandis que l’homme au masque les quittait refermant la porte derrière lui.
***
Je terminai ma phrase dans un chuchotement.
La salle s’était vidée depuis l’arrêt de la tempête et un soleil éclatant brillait au-dehors. Les trois s’étaient penchés vers moi, attentifs.
- Et ensuite, s’impatienta l’un d’eux.
- Ensuite…
- Qu’est que vous fichez ! s’énerva quelqu’un derrière.
Mon public se mit aussitôt debout, l’une de leur chaise se renversant dans la précipitation.
- Que faîte vous ? insista-t-il. Je ne vous paye pas pour boire !
- Euh… bafouilla l’un d’eux.
- Et qui est-il ?
Cette voix pincée réveilla en moi un mélange d’émotions vite submergé par la colère. Me contenant, je me levais, toujours de dos.
- Et bien messieurs, commençais-je, vous qui demandiez une fin à votre histoire.
Les trois se regardèrent dans l’incompréhension. Je me retournai lentement pour faire face au nouvel arrivant.
- Bonjour Seamus, dis-je sèchement.
Ce dernier fit un pas en arrière la stupeur au visage.
- To…Toi, tu étais sensé être mort.
Sa voix tremblait.
- Ce fut le cas. Enfin, je crois. Mais me voici maintenant. Et nous allons avoir une discussion toi et moi.
Seamus recula encore jusqu’à rencontrer une table derrière lui. Son regard apeuré me fixait puis glissa derrière. Il rit fébrilement. « Les choses ont changé tu sais ». Avançant d’un pas, il reprit un peu d’aplomb. « Je ne suis plus un sous-fifre maintenant ». Puis faisant signe à ses hommes : « Débarrassez-vous de lui » ordonna-t-il, rempli d’une assurance nouvelle.
Je me retournai alors vers les trois qui étaient jusque-là mon auditoire. Se faisant je fis glisser ma rapière hors de son fourreau et la pointai dans leur direction.
- On ne bouge pas messieurs !
Deux d’entre eux contournaient déjà la table.
- T’as entendu le patron, t’es foutu mon gars.
Il attrapa un tabouret et tenta de me frapper avec. J’esquivai facilement d’un pas en arrière. Emporté par son élan et aidé par l’alcool, l’homme s’étala devant moi. Mon pied rencontra sa mâchoire le laissant inconscient. Le second arrivait. Je dégainai mon pistolet et le visai. Il stoppa net sa course, louchant sur le canon.
- Deux possibilités se présentent à nous, tempérai-je. On se bat, vous mourrez. Vous partez, vous vivez. A vous de voir.
Dans la salle chacun retenait son souffle dans l’attente de la suite.
- C’est bon, on se casse, dit le troisième en se dirigeant vers la sortie. Viens Dan, on n’est pas assez bien payé pour crever comme ça.
Je cru que le Dan en question allait s’évanouir de soulagement. Il recula lentement de quelques pas puis courut vers son compagnon.
Entre-temps, Seamus avait disparu. « Bordel » grognai-je. Par chance, la serveuse m’indiqua l’escalier. Je la remerciai d’un signe de tête et couru en direction de l’étage. Un couloir terne éclairé par quelques ampoules jaunâtres m’accueillit. Quatre portes s’y trouvaient et derrière l’une d’entre elles s’échappait un fouillis.
- Seamus, appelai-je.
L’agitation se stoppa. Lentement je m’approchai, essayant de ne pas faire craquer le parquet. Au droit de l’entrée, je tendis l’oreille : rien.
- Seamus, tentai-je de le raisonner. Je sais que tu es là. Ne complique pas les choses.
Aucune réponse. Cette pourriture était peut-être sortie par la fenêtre. Je poussai légèrement la porte afin de jeter un coup d’œil rapide.
Un coup de feu déchira le silence. Le tir atteignit mon bras. L’impact me fit lâcher le pistolet, plus par surprise que par douleur. Furieux, je bondi dans la pièce. Il était là, caché derrière une table renversée, l’arme encore fumante dans ma direction. Me voyant arriver, il me la jeta dessus, me loupant en beauté.
J’enjambai l’obstacle qui me séparait de lui, l’attrapai par le cou et le soulevai haut sans effort, puis le jetai à l’autre bout de la pièce. Il s’écrasa au sol et glissa jusqu’au mur.
- Co…comment, bredouilla-t-il en s’appuyant contre la paroi.
- Comment quoi Seamus ? Comment je peux te soulever comme ça ?
Je relevai la manche de ma chemise révélant un bras mécanique.
- Impressionnant n’est-ce pas ?
En trois pas je fus de nouveau sur lui. Je le remis debout comme un rien et le plaquai contre le mur, l’immobilisant d’une main. Il n’essayait même pas de se débattre.
- Je peux tout t’expliquer, sanglota-t-il.
- Trop tard Seamus. Rien n’excuse ce que tu m’as fait.
Je resserrai un peu plus ma prise ce qui le fit hoqueter.
- Dis-moi ce qui est arrivé à Sélène ?
Ses yeux dans les miens, il ne me donna aucune réponse. Je serrai plus fort. La pression rendait sa respiration laborieuse.
- Je répète Seamus : qu’est-il…arrivé…à Sélène ?
- Elle est morte, parvint-il à dire difficilement.
- Et les autres ?
Le silence fut sa réponse. Le dégout m’envahit. Aucune raison n’expliquait qu’on puisse faire du mal à des enfants. Ces horreurs devaient être stoppées.
- Pour qui tu travailles ? demandai-je alors.
L’expression sur son visage passa de la peur à la terreur.
- Je ne peux rien dire. Il me tuera sinon.
Je ne pu m’empêcher de rire.
- Tu te fous de moi là ? Et que crois-tu que je vais faire ?
J’appuyai la pointe de ma lame au creux de son cou. Seamus rit nerveusement.
- Mourir de cette façon est un cadeau.
- Tu crois ça ? murmurai-je.
Il affirma de la tête.
- De toute façon, je sais que tu n’en seras pas capable.
- Ne me tente pas Seamus, criai-je. Ce bras n’est qu’une partie de ce que j’ai subi.
Je le soulevai alors jusqu’à ce qu’il pende à une vingtaine de centimètre du sol.
- Pour qui tu travailles ?
C’est lorsqu’il se mit à pleurer que je su que je n’aurai aucune information de sa part. Je devais trouver un autre moyen. Il était temps pour moi de lui dire adieu.
Le maintenant toujours contre le mur, je piquai son cœur de la pointe de ma rapière. Ses yeux s’agrandirent de surprise. « Pitié » implora-t-il. « On est ami ! ». Je me stoppai, repensant à ce qu’on avait vécu ensemble. Et merde ! Moi qui pensais que ce serait facile, je m’étais foutrement trompé. Il avait peut être raison après tout, je n’en serai pas capable.
Devant mon trouble, il eut un sourire malicieux. « Il y a beaucoup d’argent à gagner, tu sais ! » tenta-t-il. « Rejoins-nous, je te ferai travailler pour moi, nous deviendrons riche, beaucoup plus riche que tu ne peux t’imaginer ».
C’était les mots de trop.
J’avais été trahi, brisé et laissé pour mort. Tout ça pourquoi ? Pour de l’argent ! La douleur remonta en moi sous la forme d’une colère balayant mes dernières réticences.
- Tu te trompes sur moi, répliquai-je.
Mes convictions rassérénées, j’enfonçai lentement ma lame. Il hurla, commença à se débattre, attrapant mon bras, tentant de le repousser, sans succès. Je continuai encore et encore, jusqu’à ce que la garde atteigne son torse. Ses cris s’estompèrent peu à peu pour laisser place à une respiration sifflante.
- Cid, soupira-t-il, pourquoi ?
Mes yeux se plongèrent dans le blême des siens. Je pus voir la vie les quitter jusqu’à disparaitre complètement. Tout se termina après un dernier soubresaut.
Je m’écartai alors et me dirigeai vers la sortie. Sur le pas de la porte, je me retournai. Il était là, cloué au mur, la tête pendante. Une odeur nauséabonde embaumait la pièce. Il était mort comme il avait vécu, sans dignité. Le cœur lourd, je lui accordai un dernier moment puis, en guise d’adieu, je pris la peine de répondre à sa question :
- Qui sème le vent Seamus !
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